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Découvrez ici les recherches et le récit des expéditions du géographe François-Michel Le Tourneau, spécialiste de la Guyane et explorateur de la forêt amazonienne. A suivre également sur le compte Twitter @7bornes.
 

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François-Michel Le Tourneau
Géographe aventurier, membre de l'International Research Laboratory (IRL) iGLOBES

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La rivière Camopi et les Teko
11.06.2019, par Damien Davy
Ce troisième volet nous emmène à la rencontre des Teko, peuple amérindien qui vit sur le territoire de Camopi. Gardiens de l’histoire des noms de lieux de la région, ils nous permettent de mieux comprendre la construction de leurs territoires actuels. Visite guidée avec l'anthropologue Damien Davy.

La rivière Camopi, le plus grand affluent rive gauche du fleuve Oyapock, tire son nom des langues Tupi-Guarani, ka’a pi signifiant herbes fines. Cette rivière prenant sa source plein sud dans les monts Belvédères est le territoire actuel du peuple teko et a donné son nom à la commune de Camopi. Avec les Wayãpi, vivant sur le moyen et le haut Oyapock, ils parlent des langues de la famille tupi-guarani.

Les Teko (nommés anciennement Émerillon) sont environ 700 aujourd’hui et ne vivent qu’en Guyane française, la majorité dans la commune de Camopi et une petite centaine dans les villages de Kayode et d’Elahe dans la commune de Maripasoula à l’ouest de la Guyane. Depuis quelques décennies de plus en plus de Teko habitent sur le littoral dans l’île de Cayenne.

Au XVIIe siècle, certains ancêtres des Teko, appelés Maouriou, vivaient près du littoral sur la rivière Comté, alors que d’autres groupes ancestraux comme les Aramiso vivaient en plein centre de la Guyane et vers le sud-ouest. À cette époque la rivière Camopi était peuplée par des groupes comme les Akokwa (rencontrés en 1674 par les pères Grillet et Béchamel), puis les Aramakoto et les Piriou.

Dépositaires de l’histoire

Au XVIIIe siècle, les pères Jésuites fondèrent plusieurs missions sur l’Oyapock, dont une appelée Sainte-Foy de Camopi qui subsistera de 1740 à 1765. Elle était implantée sur le site occupé près de l’actuel village mixte Teko-Wayãpi, Saint Soi, à la confluence de la Camopi et de l’Oyapock. Cette mission jésuite induira un regroupement de nombreux peuples vivant sur la Camopi et l’Oyapock et entraîna leur quasi-disparition en quelques décennies à cause des maladies que les blancs importèrent.

Les Teko restèrent longtemps les plus isolés d’un ensemble de groupes tupi-guarani s’échelonnant sur un axe nord-est/sud-est entre l’arrière-pays de l’île de Cayenne et les cours d’eau formateurs orientaux du Maroni. Ils purent ainsi drainer vers eux une partie des communautés survivantes de la mouvance des deux missions jésuites de l’Oyapock (Saint-Paul et Sainte-Foi de Camopi) ainsi que les survivants de groupes karib pris entre la migration des Wayana et les tracasseries avec les groupes Noirs MarronsFermerEn Guyane et au Surinam, descendants des esclaves noirs qui se sont révoltés et enfuis des plantations avant l'abolition de l'esclavage.. Issus de la coalescence de plusieurs groupes que la tradition orale continue de reconnaître, les Teko ont commencé à s’implanter dans le bassin de la Camopi au début du XIXe siècle, un groupe restant dans le bassin du Tampok, affluent du Maroni. Puis, à la fin du XIXe siècle, les Teko subirent la première ruée vers l’or avec l’envahissement de leur territoire par des orpailleurs créoles venant des Antilles.

La toponymie (ensemble des noms de lieux d'une région, d'une langue) actuelle de la rivière Camopi se compose principalement de noms teko ou provenant d’autres langues tupi-guarani et créoles, témoins des occupations successives de la région. Il s’avère que les Teko sont les dépositaires de cette histoire et demeurent les seuls à connaître les noms des lieux et leur histoire. Si cette toponymie reflète leur spatialité, elle dessine également toute une géographie mythique et culturelle de ce territoire. En voici quelques exemples.

Takulu tape (« Roche plate »). À l’époque du village d’orpailleurs de Camopi (1925-1953) situé en amont de la crique Alikene (sur la rivière Camopi et non à l’emplacement du bourg actuel à la confluence de l’Oyapock), les femmes des placers s’arrêtaient sur cette roche pour mettre leurs plus beaux atours avant de débarquer et d’aller danser au Casino ou dancing de ce village d’orpailleurs. En créole, ce site se nomme « Roche habillée des dames ». Ce toponyme est un bon exemple d’un pan historique méconnu de la Guyane, histoire conservée et transmise par les anciens Teko vivant actuellement sur cette rivière.

Dzawat a ɨtu Saut chien »). Ce saut (« rapides »), qui peut être difficile à franchir à la saison sèche, a été nommé ainsi en souvenir d’un accident de pirogue ayant causé la noyade d’un chien. Celui-ci a été enterré en tête de l’îlet du même nom. Précisons que les chiens sont des animaux très importants pour les Amérindiens. Les maltraiter peut entraîner l’errance de l’âme de son propriétaire après sa mort.

Takulu tsĩng Roche blanche »). Ce rocher blanchâtre, se distinguant nettement des autres roches du secteur, se situe sur le moyen cours de la rivière Camopi à deux heures de pirogue du bourg du même nom. Comme beaucoup d’éléments remarquables de la nature, cette roche possède des pouvoirs singuliers. Les Teko disent que si l’on montre cette roche du doigt ou si l’on prononce son nom, il va se mettre à pleuvoir.

La roche blanche Takulu Tsing possède certains pouvoirs, comme celui d’apporter la pluie si on la montre du doigt.
La roche blanche Takulu Tsing possède certains pouvoirs, comme celui d’apporter la pluie si on la montre du doigt.

Takulu palapi Assiettes de pierre »). Ces roches disséminées sur plusieurs centaines de mètres possèdent la caractéristique d’être plates pour certaines d’entre elles. Les Teko les comparent à des assiettes, anciennement en terre cuite et façonnées par les femmes, aujourd’hui achetées dans le commerce.

Takulu palapi, roches assez plates qui évoquent les assiettes anciennes en terre cuite façonnées par les femmes.
Takulu palapi, roches assez plates qui évoquent les assiettes anciennes en terre cuite façonnées par les femmes.

Takulu onaonan (« Caillou qui court, qui court »). Ce chaos rocheux situé sur la rive gauche de la Camopi proche de l’embouchure de la crique Tsitonõng tɨãkã (« crique Citron ») constitue aux yeux des Teko un lieu magique qui ne doit pas être cité et où il vaut mieux éviter camper. Les roches y sont animées d’une vie propre. En effet, une famille teko y a déjà été attaquée par de nombreux êtres dangereux. Déjà, pendant la période de la première ruée vers l’or de la fin du XIXe siècle, un obiaman (un guérisseur) saramaka aurait travaillé à cet endroit…

Dzaliwe ɨtu (« saut Yaniwe »). Situé à une journée de pirogue du bourg, c’est le plus grand saut de la rivière Camopi. Il apparaît déjà dans les textes du début du XVIIIe siècle comme un obstacle considérable pour les Français qui allaient collecter le cacao à la source. Autrefois, racontent les Teko, un caïman géant habitait dans une de ses passes nommée Dzakalekwat (« Trou du caïman »). Il dévorait les hommes qui passaient par là. Aujourd’hui, il a été rendu inoffensif par un charme. On notera que le teko dzaliwe renvoie à aliwe qui désigne le caïman en wayana. Il constitue la limite amont du terroir agricole des Teko actuels habitant cette rivière, leurs abattis et campements de culture s’étalant sur ses deux rives jusqu'à ce grand saut. Au-delà, seules la chasse, la pêche et la cueillette sont pratiquées, on ne rencontre plus ni village ni abattis contemporains. Divers villages anciens des Teko ont existé dans cette région, le dernier ayant été abandonné dans les années 1960.

Le saut Yaniwe, le plus grand de la rivière Camopi, constitue la limite amont du terroir agricole des Teko.
Le saut Yaniwe, le plus grand de la rivière Camopi, constitue la limite amont du terroir agricole des Teko.

Ĩdipi (« Inipi »). Le nom de cette rivière, déjà indiquée sous ce nom par les pères Grillet et Béchamel en 1674, est resté inchangé jusqu’à aujourd’hui. Les Teko ne le traduisent pas, bien qu’il ait été indiqué aux Européens par des populations parlant comme eux des langues tupi-guarani. C’est par cet affluent que les premiers explorateurs, en provenance de l’Approuague, pénétrèrent dans la Camopi et de là dans l’Oyapock. Cette rivière devint surtout le principal axe de circulation des Teko dont les villages étaient alors dans le haut Inini. Les deux bassins étaient reliés par ce que l’on nomma plus tard « ancien chemin des Émérillons ». L’actuel « chemin des Émérillons » allant de la Tamouri à la Ouaqui n’a été utilisé qu’à partir des années 1920.

Tɨpoko Dzawat (« Roche Crabe-jaguar »). Situé sur la rivière Inipi, cette roche remarquable est couverte de nombreux pétroglyphesFermerDessins gravés dans la pierre, souvent exécutés dans une intention religieuse.. En plus des polissoirs couvrant sa partie sommitale, en saison sèche, on peut admirer de nombreux motifs anthropomorphes accompagnés de dessins semblant représenter des macaques à la queue enroulée ainsi que des amphibiens. Comme tous les pétroglyphes, il est impossible de les dater et donc très difficile de les attribuer à tel ou tel peuple, quant à comprendre leur rôle... Elle est nommée Roche jésuite ou Roche crabe sur les cartes depuis que le Dr Heckenroth remonta cette crique en 1941. Le nom teko Tɨpoko dzawat rappelle son origine magique. En effet, au XVIIIe siècle, à l’époque où les Kali’na (appelés Taida par les Teko) venaient jusque sur la rivière Inipi pour guerroyer, un chamane teko créa un monstre anthropophage pour protéger les siens. Celui-ci dévora les guerriers kali’na et, depuis, demeure pétrifié et inoffensif. ♦

Damien Davy est anthropologue au CNRS au sein du Laboratoire écologie, évolution, interactions des systèmes amazoniens (Unité CNRS/Univ. de Guyane/Ifremer).

  
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Pour aller plus loin

« Pour une histoire de la cartographie des territoires teko et wayãpi (Commune de Camopi, Guyane française) », Pierre Grenand, Françoise Grenand, Pierre Joubert et Damien Davy, Revue d’ethnoécologie, 2017.

Guerrier de la Paix, les Teko de Guyane. Éric Navet, 40 ans d’ethnologie, dir. Colette Riehl Olivier, Boréalia, 2015.

« Construction et restructuration territoriale chez les Wayãpi et Teko de la commune de Camopi, Guyane française », Damien Davy, Isabelle Tritsch et Pierre Grenand, revue Confins, 2012.

Regard sur les Amérindiens de Guyane française et du territoire de l'Inini en 1930, René Grébert, Ibis Rouge Éditions, 2001.

 

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