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Depuis la saison 1 de la série Guyane, tous ceux qui savent que je travaille sur l’orpaillage clandestin en Guyane me posent les mêmes questions : « Alors, c’est ressemblant ? » ou « Dis, ça doit être terrible là où tu travailles, quand on voit comment c’est dans Guyane… » J’ai donc pris le temps de visualiser tous les épisodes, en mode binge watching, et je peux enfin répondre aux questions.
Soyons très clairs : personne ne demande à une série d’être un documentaire et on peut supposer que tous les téléspectateurs savent que le quotidien d’un commissariat de police à New York n’a pas grand-chose à voir avec celui de NYPD Blues ou que 99,999 % des médecins américains n’ont qu’un rapport éloigné avec le docteur House. Donc pas question ici de faire un procès en réalité au réalisateur ou aux scénaristes. La série sert à divertir. Pour raconter une histoire, elle doit utiliser des procédés qui exagèrent ou distordent le réel. Mais puisque Guyane est pratiquement la seule source d’information de la plupart des Français sur les garimpeiros, il est peut-être utile de faire le point sur certains éléments.
Un univers sans foi ni règle ou un système très codifié ?
Guyane repose sur une articulation de base selon laquelle les patrons (Serra ou la famille Quinteiro) exploitent de manière tyrannique les ouvriers de leurs chantiers. Or, bien qu’étant un monde parallèle, la société des orpailleurs dispose de règles qui s’appliquent à tous, patrons comme ouvriers.
Les travailleurs sont en général libres d’aller et venir, et ils savent très bien ce qui les attend. Devenir riche, avec un peu (beaucoup) de chance. Travailler beaucoup, un travail physique dur dont la plupart tirent une grande fierté, à l’instar des mineurs d’autrefois. Et puis vivre, un peu, pouvoir aller au cabaret quand la paye tombe (et, souvent, s’y soûler, il est vrai). Vivre sans trop penser au lendemain, mais avec la conviction absolue que l’orpaillage permet de tirer une subsistance meilleure que tout autre emploi au Brésil.
La circulation des hommes est aussi celle des rumeurs, et un placer qui rend bien est très rapidement connu. Non pas pour le prendre d’assaut, mais pour s’installer à côté. La notion de concession, bien qu’informelle et illégale, est présente chez les orpailleurs. Le découvreur d’un filon se voit reconnaître des droits sur la zone qu’il exploite. Mais il ne peut empêcher un concurrent de s’installer à côté si celui-ci le désire. Dans les zones de puits l’intervalle est de 10 mètres dans chaque direction. Dans les zones alluviales, on peut disposer de quelques dizaines de mètres de berge ou d’une petite crique pour soi seul. Mais pas plus.
Autre règle, la répartition des coûts et des bénéfices, point central du garimpo est, elle aussi codifiée et on ne peut y déroger. C’est 30 % de l’or pour les travailleurs, 70 % pour le propriétaire des machines. Cela peut sembler très inégal, mais le patron doit payer le fret, le combustible, l’alimentation des travailleurs, la cuisinière… C’est lui aussi qui prend le plus gros risque. En cas d’intervention policière il perdra le capital investi dans les machines, le quad, les marchandises. Dans certains cas, les patrons ne font aucun bénéfice alors que les ouvriers touchent leur paye, car leur part est distribuée immédiatement après la levée d’or et avant tout autre paiement (pour les cuisinières c’est un peu plus aléatoire…) !
Patrons maffieux vs autoentrepreneurs opérationnels
L’image d’un patron regardant ses ouvriers travailler du haut de sa chaise longue correspond à tout sauf à ce que l’on peut voir sur les chantiers. Quand il est là, le patron a toujours les mains dans le cambouis : s’il ne travaille pas, il faudra payer un ouvrier de plus pour faire son boulot… Par ailleurs il doit avoir l’œil sur tout, veiller à la logistique, compter le stock et négocier avec les fournisseurs. Tout cela n’a rien d’une sinécure et, dans la plupart des cas, le patron est lui-même un ancien ouvrier. Et il arrive souvent que la roue de la fortune le transforme à nouveau en ouvrier, par exemple s’il fait faillite.
La domination de type maffieux est très minoritaire dans le monde de l’orpaillage en Guyane aujourd’hui – même si elle peut bien sûr exister çà et là. On a plutôt affaire à une pyramide de très petites entreprises et d’autoentrepreneurs. Les commerçants brésiliens (aujourd’hui, d’ailleurs, bien plus souvent les commerçants chinois du Suriname) ne dominent pas les placers par la force ou la contrainte. Ils les tiennent par le crédit et la chaîne d’inflation qui touche toutes les marchandises qui entrent en direction des placers. Les orpailleurs ont besoin de flux logistiques considérables, et le plus vite possible. C’est leur transfusion sanguine. Ils sont donc prêts à la payer au prix fort. À proximité des chantiers, un fût d’essence vaut de 10 à 20 fois son prix (jusqu’à 10 € le litre !). C’est là qu’est la vraie mine d’or, dans le commerce. Et c’est bien moins risqué.
Une violence omniprésente, le reflet du passé
La forêt des orpailleurs n’est pas un bagne dans lequel chacun est enchaîné à son placer, au contraire. Les travailleurs vont et viennent, à la recherche d’une place ou d’un meilleur emploi. Chacun peut s’arrêter dans un campement quelques jours, y être nourri en échange de menus services, avant de continuer sa route s’il ne trouve pas son bonheur sur place. Cela vaut aussi pour les travailleuses, et il est important de souligner que, le plus souvent, cuisinières, vendeuses, patronnes de petits restaurants, etc. ne sont pas des prostituées.
Ces dernières officient dans les cabarets qui parsèment les « zones de vie » (appelées « curotels » en Guyane, déformation de corutela en portugais) en général placées au milieu d’une dizaine de chantiers et à proximité d’un axe logistique, rivière ou layon où circument les quads. Des commissionnaires viennent y faire les courses pour ravitailler tel ou tel chantier, chercher une pièce de moteur ; les ouvriers viennent à chaque levée d’or dépenser au cabaret ou chez les camelots une partie de ce qu’ils ont gagné. Difficile d’imaginer, donc, un chantier qui serait un huis clos, dont les ouvriers ne pourraient sortir.
La violence n’est certes pas absente, mais ce n’est pas tellement au moment de l’exploitation qu’elle frappe. L’or est souvent peu abondant, sauf en cas de gros filon bien sûr. On ne tue pas (ou rarement) pour quelques grammes. C’est plutôt après, une fois qu’il est épuré et concentré aux mains de quelques personnes qui peuvent transporter un ou deux kilos en une seule fois, voire plus. Un patron chanceux ou, un logisticien astucieux peuvent alors devenir des cibles idéales pour d’éventuelles bandes armées. Il leur arrive donc d’avoir des hommes de main pour protéger leurs transferts. En général, le segment le plus dangereux ne se trouve d’ailleurs pas au sein de la forêt, mais près des zones urbaines, sur le bas des fleuves, en particulier le Maroni en amont de la ville d’Albina, au Suriname (où les assaillants ne dédaignent pas non plus les travailleurs qui portent quelques centaines de grammes durement gagnés). Les chantiers, eux, sont bien plus paisibles, et dans les zones de vie ce sont surtout les rixes de fin de soirée qui défrayent la chronique. Pas très différentes des sorties de boîte de nuit sur la côte certains samedis…
Bien sûr les violences et les assassinats existent et des armes circulent (avec un arsenal bien moins développé que celui dont disposent les protagonistes de Guyane toutefois, sauf à proximité du fleuve Maroni, car le trafic d’armes est bien plus facile au Suriname). Il faut souligner que l’orpaillage en Guyane est bien mieux contenu aujourd’hui qu’il y a dix ou vingt ans. La pression des autorités fait que le phénomène reste sous un contrôle relatif et que les dérives liées aux bandes armées sont devenues assez rares (et heureusement). On pourrait dire que la série reflète plus le passé que le présent. Ainsi, Alias le personnage de Tomazinho est une allusion transparente à Manoelzinho, le caïd de Macapá qui sévit à Dorlin en 2010… Bien sûr, à chaque découverte d’un filon particulièrement riche, le phénomène peut resurgir tel le diable de sa boîte.
Logistique et sortie de l’or : des problèmes inversés
La logistique d’un chantier est considérablement sous-estimée dans la série. Les pirogues qui approvisionnent le site de Serra sont toujours à moitié vides ! Bien loin des chargements énormes que l’on rencontre en général, dans lesquels les fûts de combustible se comptent par dizaines. La logistique est le problème numéro un de tous les sites d’orpaillage, et aussi le segment qui réalise les plus gros bénéfices. La nourriture constitue un flux important, mais c’est le carburant qui est le point crucial. Dans les chantiers alluviaux, selon la puissance des moteurs, il en faut entre 50 et 200 litres par jour pour faire fonctionner les pompes. Certes, l’exploitation « en primaire » (c’est-à-dire dans des galeries souterraines) demande moins de carburant, mais il en faut tout de même afin d’alimenter les moteurs pour la lumière, la ventilation, les perforateurs et aussi les tronçonneuses pour découper les étais… Faire venir tout ce qui est nécessaire pour le fonctionnement des chantiers (y compris les pièces de rechange ou les moteurs pour remplacer ceux détruits par l’opération Harpie dans le cadre de la lutte contre l’orpaillage illégal) est l’obsession des garimpeiros, qui redoublent d’efforts : ouverture de dizaines de kilomètres de pistes de quad, layons de contournement des contrôles, utilisation des cours d’eau de nuit, camouflage des marchandises et organisation de dépôts dans la forêt, etc. C’est un aspect qui est peu mis en avant dans la série (c’est dommage, car il y a un côté romanesque et spectaculaire… qui sait dans la saison 2 !).
L’un des points saillants qui structure les derniers épisodes est l’utilisation d’une société-écran d’exportation de jus de wassaï (açaí en portugais) pour pouvoir écouler l’or trouvé dans les chantiers clandestins, un arrangement dont bénéficie non seulement Serra, le patron guyanais du chantier mirifique trouvé par Vincent, mais également la famille Quintero. C’est peut-être le point qui est le moins en phase avec la réalité de l’orpaillage. L’or sort, et il sort facilement. La plupart du temps en petite quantité, 100 ou 200 grammes, dissimulés dans les bagages des centaines d’orpailleurs qui vont et viennent plusieurs fois par an entre les zones d’orpaillage et les zones de repos au Brésil mais surtout au Suriname. Parfois plus, quand un logisticien ou un patron chanceux doit passer ses bénéfices et qu’il se risque à faire un transfert important. Cet or est facilement vendu dans les maisons spécialisées qui existent à Oiapoque, au Brésil, ou à Albina et Paramaribo, au Suriname. Le produit de la vente est directement versé sur le compte en banque du vendeur, au Brésil.
Contrairement à ce qui est montré, écouler l’or clandestin est donc l’opération la plus simple de l’ensemble du système de l’orpaillage. Et c’est justement cette grande facilité qui rend particulièrement compliquée l’éradication de cette activité en Guyane : l’or est peu volumineux, de très forte valeur, accepté partout, aisément transformable, difficilement traçable. C’est bien la raison pour laquelle il a longtemps constitué une monnaie d’échange presque universelle. ♦
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Plombier le 16 Janvier 2019 à 16h59Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS