Donner du sens à la science

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Découvrez ici les recherches et le récit des expéditions du géographe François-Michel Le Tourneau, spécialiste de la Guyane et explorateur de la forêt amazonienne. A suivre également sur le compte Twitter @7bornes.
 

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François-Michel Le Tourneau
Géographe aventurier, membre de l'International Research Laboratory (IRL) iGLOBES

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Nos 450 km sur les rivières de Guyane, étape 1
12.06.2019, par François-Michel Le Tourneau
Après cinq intenses journées, l'équipe a progressé selon le plan prévu et se trouve maintenant sur la rivière Inipi. François-Michel Le Tourneau nous livre le récit de ces premières traversées dans des eaux au courant très fort...

Le lendemain de l’arrivée à Cayenne nous sommes partis vers Camopi, un voyage assez long : minibus jusqu’à Saint-Georges de l’Oyapock, puis camion militaire jusqu’au saut (rapide) Maripa, puis pirogue jusqu’à Camopi. Là, nous avons profité de l’excellente hospitalité du camp Maric (un grand merci au Major de camp !).

Quatre mètres de cartons de ravitaillement !

Notre ravitaillement est arrivé par avion une heure après nous et il nous a fallu préparer nos sacs pour les 4 semaines d’expédition qui nous attendaient. Livrées, les rations lyophilisées fournies par les Forces armées de Guyane (FAG) pour cette durée représentaient un mur de cartons de 4 mètres de long et 1,5 mètre de haut. Impossible d’emporter tout cela dans nos canoës avec en plus le matériel collectif (tronçonneuse et mélange pour ouvrir une clairière en cas d’urgence, communications, groupe électrogène pour le matériel scientifique et la caméra de notre ami Vincent, etc.) et le matériel individuel (bivouac et affaires personnelles)…

Nous avons donc passé pas mal de temps à tout reconditionner et trier. Puisqu’on ne pouvait pas tout emporter, il fallait choisir dans les rations les éléments les plus stratégiques : chaque personnel avait le droit d’emporter le contenu d’un sac étanche plein, mais pas plus ! Chacun a fait à sa manière. En ce qui me concerne je me suis assuré d’avoir un plat lyophilisé par jour, un petit-déjeuner et quelques compléments (bœuf séché, pains au chocolat déshydratés que j’ai reconditionnés pour gagner de l’espace).

Mon sac de rations est le plus petit…

Je compte sur les 3 kg de riz stockés dans ma touque pour me fournir le reste. Du coup mon sac de ravitaillement est le plus petit et je me demande chaque matin avec angoisse si je n’ai pas été un peu présomptueux ! Pour nos guides amérindiens Lucien et Patricia nous avions prévu des rations, mais ce type de nourriture leur convient peu. Ils préfèrent le couac, la semoule de manioc, dont nous avons aussi emporté une large provision. Ils pêcheront et chasseront partout où cela sera possible et autorisé pour compléter. La Camopi nous a déjà offert des pacous et un bel aymara, donc tout va bien.

 

Un aymara pêché dans la rivière Camopi. Un bon complément à nos repas !
Un aymara pêché dans la rivière Camopi. Un bon complément à nos repas !

Une fois le ravitaillement trié et emballé, nous avons conditionné le reste du matériel. Tout ce qui est sensible doit aller dans des emballages étanches, car il est facile de se retourner avec des canoës (nous ne tarderons pas à en faire l’expérience). Nous avons aussi regardé de près comment répartir les charges, les amarrer aux canoës pour ne rien perdre en cas de chavirage (une précaution utile !).

Puis est venue l’heure du départ, vendredi 7 juin au matin. Nous avons ramé jusque chez Lucien, qui faisait ses derniers préparatifs, notamment concernant la garde de ses enfants pendant son absence, puisqu’il vient avec Patricia, son épouse. Nous sommes d’ailleurs heureux que celle-ci puisse nous apporter son expérience et elle est pour nous un guide à part entière. Je pense que rares sont les « expéditions » en Amazonie qui ont conféré ce titre à des femmes, alors que beaucoup en ont été accompagnées. Pour nous, c’est donc un peu une manière de rendre justice à ce rôle, souvent peu souligné, des femmes dans l’exploration de la grande forêt (et de révérer les mânes d’Octavie Coudreau !).

Il a beaucoup plu, le courant est très fort

Dès le premier jour nous nous sommes rendu compte que le défi que nous nous sommes lancé est loin d’être anodin, particulièrement en ce moment. La saison des pluies a été tardive et il a beaucoup plu ces derniers temps. La Camopi est très haute, comme sans doute tous ses affluents. Cela nous avantagerait si nous voyagions en pirogue à moteur, car nous aurions assez de hauteur d’eau pour passer la plupart des sauts sans les voir. Mais à la rame cela se traduit par un très fort courant en face de nous sur l’ensemble du trajet et par des courants de travers dans les sauts, ce qui les rend difficiles à passer.

 

Nos canoës rangés à terre pour la nuit.
Nos canoës rangés à terre pour la nuit.
 

Malgré un passage un peu difficile sur le « saut mauvais » (toponyme IGN), nous avons avancé de manière satisfaisante. Même chose le lendemain, le 8 juin. Un chavirage sur le « saut diable » aurait pu nous coûter cher (perdre un sac de ravitaillement, par exemple), mais finalement aucun matériel ne manque à l’appel (car tout était bien amarré…). Si la rivière était plus basse, le problème serait moindre, car les objets flottants dériveraient gentiment en aval du saut et nous irions les repêcher. Mais avec le courant actuel, ils rejoindront Camopi plus vite que nous ne pourrons les rattraper.

Piqué par un scorpion

Le 9 au matin nous nous préparions à partir, mais Vincent, le journaliste qui nous a rejoints pour documenter notre expédition, a été piqué par un gros scorpion noir caché dans un repli d’un de ses sacs. Outre la douleur, il fallait parer à la possibilité d’une réaction violente face au venin. Ici encore la base de Camopi est venue à notre rescousse, permettant d’évacuer Vincent au dispensaire pour observation. Quant à nous, nous avons passé la journée dans l’abattis de Lucien, à attendre de savoir comment les choses allaient tourner. Nous avons été soulagés de savoir que tout allait bien et que Vincent pouvait reprendre sa place parmi nous. Il a été convenu qu’il reviendrait lundi 10 dans la matinée.

Ainsi fut fait, et nous avons profité des pirogues envoyées par le camp Mario pour monter d’un coup jusqu’à la tête de l’Inipi. Plusieurs raisons à cela. D’abord compenser le retard pris et éviter d’avoir à courir contre le temps dès maintenant. Ensuite, la rivière Camopi est bien connue et fréquentée jusqu’au saut Yanioué. Nous n’allions donc rien voir de nouveau. Enfin, il n’était pas très utile de risquer de nouveaux chavirages ou des pertes de matériel sur ce tronçon. Nous allons avoir largement de quoi user nos forces après, autant les économiser quand cela est possible ! Nous sommes donc arrivés à l’embouchure de l’Inipi, et nous y avons monté un bivouac.

 

En pleine traversée sur la rivière Inipi. Sa couleur «café au lait» est due aux sédiments charriés par les chantiers d’orpailleurs.
En pleine traversée sur la rivière Inipi. Sa couleur «café au lait» est due aux sédiments charriés par les chantiers d’orpailleurs.
 

La différence de couleur des eaux entre la crique Inipi et la Camopi est spectaculaire. En amont de la confluence, la Camopi est de couleur noire. Elle charrie de l’humus mais pas de sédiments. En revanche l’Inipi est couleur « café au lait » : c’est la marque de la présence des orpailleurs, dont les chantiers émettent de grandes quantités de sédiments qui obscurcissent l’eau de la rivière et en modifient l’écologie.

Aujourd’hui mardi 11, nous avons réalisé une première étape sur l’Inipi. Nous avons passé une roche qui comporte des gravures rupestres, appelée Tepokodzawat par les Teko (toponyme « roche jésuite » sur la carte IGN). Malheureusement avec le niveau de l’eau elle est submergée et nous n’avons pas pu la voir ! L’Inipi est bien moins large que la Camopi, à peine 20-25 mètres et beaucoup moins par endroits. Nous avons toujours un fort courant contre nous mais le débit est un peu plus faible donc nous passons plus facilement.

Compléter les travaux des ethnologues

Nos travaux commencent réellement ici. Nous espérons compléter les études en cours de Pierre Grenand (lire son billet sur ce blog) et Damien Davy (lire son billet sur ce blog) en recueillant des toponymes tekos dans certains lieux et en localisant des emplacements probables d’anciens villages, notamment des sites de « montagnes couronnées », c’est-à-dire des collines dont le sommet comportait un village en général entouré d’un profond fossé (qui donne l’allure d’une couronne posée sur la colline quand on le représente sur la carte). Nous verrons aussi si nous pouvons entrer en contact avec les orpailleurs illégaux pour continuer l’étude que je mène depuis trois ans sur le sujet en collaboration avec les FAG.

Malgré les petits accrocs du début, l’équipe a un très bon moral. Les légionnaires du 3e REI font comme d’habitude montre de beaucoup de discipline et d’efficacité et la partie civile en bénéficie à plein. L’aventure commence vraiment à partir de maintenant ! ♦

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Un court rapport quotidien et quelques photos sont postés chaque jour sur la page Facebook du Raid des 7 bornes et sur le fil twitter @7bornes ; les étapes sont à suivre en direct sur cette carte.

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