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Nous voilà presque partis pour une nouvelle aventure, après le Raid des 7 bornes. Mais pourquoi donc remettre le couvert après l’extraordinaire aventure que nous avons vécue en 2015 ? En partie, bien sûr parce que justement une belle aventure en appelle une autre… Pourquoi en ce cas avoir attendu 4 ans ? L’un des écueils à éviter était justement de chercher à reproduire le même type d’expédition. Il fallait attendre qu’un projet émerge et mûrisse, qu’il rassemble assez de partenaires pour être vraiment riche et qu’il soit en même temps faisable. Tous ces éléments ont cristallisé fin 2018, nous permettant de proposer cette nouvelle expédition, ce qui tombait à pic pour les 80 ans du CNRS.
Une nouvelle expédition, pour quoi faire ?
L’expédition dont il s’agit est très différente des « 7 bornes ». Au lieu de se faire par la terre, nous utiliserons les rivières. Au lieu de disposer de ravitaillements réguliers, nous envisageons une autonomie totale. Au lieu de réaliser un parcours Est-Ouest, nous réaliserons un vaste transect Nord-Sud. Toutefois, la source d’inspiration est en partie la même, puisqu’il s’agit de tous les récits des expéditions héroïques des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Mais au lieu de réaliser un parcours qui (n’en déplaise à Henri Coudreau) n’avait jamais été fait par une seule expédition, nous suivrons cette fois-ci des traces glorieuses. Bien qu’il ne soit pas fidèle à 100 % à ce que nous pouvons en retracer, le parcours reliant Camopi à Regina correspond au voyage de retour des pères Grillet et Béchamel, deux missionnaires qui furent les premiers à « explorer » l’intérieur de la Guyane en 16741.
Ce nouveau voyage se situe à la confluence entre divers intérêts. En premier lieu, il y a ce qu’implique un tel parcours. Le concevoir comme une expédition à la rame et en autonomie totale implique de retrouver, bien que de manière atténuée, les contraintes et les manières de faire de ces expéditions du passé. Par rapport à une expédition motorisée, le rythme n’est pas le même, car il faudra prendre du temps pour compléter le ravitaillement aux endroits où il sera possible (et autorisé) de chasser ou pêcher. Prévoir de passer du bassin de la Camopi à celui de l’Approuague est une autre contrainte que rencontraient fréquemment ces expéditions anciennes. À l’époque, soit on avait la chance de trouver des canoës laissés par des voyageurs ayant fait le trajet en sens inverse, soit on réalisait rapidement les fameux canoës en écorces qui ont permis à tant d’explorateurs de se tirer d’affaire (grâce au savoir-faire de leurs guides, bien sûr).
Dans notre cas nous démonterons nos canoës pour les remonter une fois traversée la fine langue de terre qui sépare les deux bassins. Dans les deux régions, en remontant très haut sur des cours d’eau peu fréquentés, il nous faudra souvent ouvrir notre chemin et dribbler les arbres tombés. Le tout en ne comptant que sur nos bras, car les tronçonneuses et leur précieux carburant seront réservés pour le cas où un accident impliquerait d’ouvrir rapidement une zone de pose pour un hélicoptère. Les savoirs-faires impliqués dans une expédition de ce type intéressent tous les membres de l’expédition, et en particulier les Légionnaires du 3e REI (Régiment étranger d'infanterie). Un groupe de ceux-ci, issus de la section d’aide à l’engagement débarqué (pour faire court, les commandos de ce régiment) formera l’ossature de notre groupe, apportant, en plus de la sécurité, toute leur robustesse et leur capacité à affronter les situations difficiles.
Si nous avons tous à apprendre de longs séjours en forêt, les savoirs qui y sont liés ne seront pas nouveaux pour deux des participants, nos guides amérindiens Patricia Couchili et Lucien Civette. Grand connaisseur du passé de son peuple, Lucien souhaitait depuis longtemps pouvoir retrouver la localisation de villages évoqués par ses parents et grands-parents, et replacer les lieux qui peuplent les récits de ce grand voyage migratoire. Le territoire du haut Approuague était en effet celui des anciens Apulakawãkõ, les « gens de l’Approuague », décrits aux alentours des années 1700, dont les descendants font aujourd’hui partie du groupe des Teko2.
Que chercherons-nous ?
Avec Lucien, l’expédition cherchera donc à retrouver les sites d’occupations anciennes et à replacer les toponymes et les récits associés, en collaboration avec les ethnologues et grands spécialistes de la Guyane Pierre Grenand et Damien Davy, qui nous suivront à distance et nous aiderons à exploiter ce riche matériel une fois rentrés. Lors des pauses, ou lors des petites étapes, nous essaierons d’explorer les reliefs favorables à l’installation de villages ou de formations de type montagnes couronnées. Ces explorations légères s’appuieront sur les recherches en cours à l’interface entre écologie forestière et archéologie pour détecter et préciser l’influence des occupations anciennes sur la diversité actuelle. Tous les sites archéologiques de surface seront photographiés et localisés afin d’être rapportés au service régional d’archéologie de Guyane.
Sur le plan scientifique, une série d’autres actions seront coordonnées par Guillaume Odonne, autre vétéran du Raid des 7 bornes. Comme nous allons réaliser un vaste transect nord-sud, il sera possible de recueillir des données et des échantillons au profit de projets en cours de réalisation. Le premier (projet Palmonix, coordonné par Louise Brousseau) porte sur la diversité génétique des palmiers Oenocarpus bataua, dont la présence est fortement associée aux sites précolombiens.
Les tiques collectées lors du parcours seront également conservées pour analyse taxonomique et description des bactéries dont elles sont éventuellement porteuses dans le cadre d’un projet porté par Olivier Duron. En cas de chasse d’animaux lors des bivouacs, des prélèvements seront réalisés pour alimenter la base Jaguar de l’Institut Pasteur de Guyane (référent Benoit De Thoisy), et en cas de prélèvement sur des tatous, ceux-ci alimenteront le projet Epi-Lepre (référente Roxanne Schaub) qui vise à décrire le cycle sauvage de la lèpre et les animaux porteurs de la bactérie. Comme on le voit, bien que réduite en nombre de participants, l’expédition Camopi-Regina sera un outil au service des autres scientifiques exerçant en Guyane.
Approcher les orpailleurs illégaux...
Enfin, au-delà des dimensions historico-patrimoniale et environnementale, le projet aura aussi une composante de sciences sociales. Comme on le sait (ce blog s’en est fait l’écho à plusieurs reprises), l’intérieur de la Guyane n’est pas du tout inaccessible pour les orpailleurs illégaux qui installent leurs placers alluviaux ou leurs puits pour extraire l’or qui s’y trouve. Dans la lignée du travail effectué depuis plusieurs années en partenariat avec les FAG (Forces armées en Guyane), nous chercherons à entrer en contact avec les garimpeiros détectés à proximité de notre parcours et à documenter les effets de leur activité sur l’environnement.
En plus de ces activités, l’expédition devra réaliser un trajet de près de 350 km parsemés de sauts parfois redoutables en quatre semaines. Autant dire que nous serons bien occupés !
Des notes de blog seront postées ici de manière régulière et il sera possible de suivre notre trajet presque en direct, ainsi que de recevoir les tweets envoyés depuis le terrain (abonnez-vous à @7bornes !). Nous espérons que vous serez nombreux à nous suivre sur les rivières de Guyane !
- 1. Le mot « explorer » doit se mettre entre guillemets car tant l’exploration que le fait que ce soit une « première » ne valait que pour les Européens ; les Amérindiens faisaient régulièrement de grands voyages de ce type et ils auraient probablement été surpris de voir combien cela était considéré comme un exploit par les nouveaux venus sur leurs terres.
- 2. Grenand, P., Grenand, F., Joubert, P., Davy, D., 2017. Pour une histoire de la cartographie des territoires teko et wayãpi (Commune de Camopi, Guyane française). Revue d’ethnoécologie. https://doi.org/10.4000/ethnoecologie.3007
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