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Le 28 mai 2016, la goélette scientifique Tara quitte son port d’attache de Lorient pour sillonner l’océan Pacifique sur près de 100 000 km afin d'étudier la biodiversité des récifs coralliens et leur évolution. Suivez sur ce blog cette formidable aventure scientifique, soutenue notamment par le CNRS, et jour après jour sur le site de Tara  et sur sa page facebook.

 

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Le bilan à mi-parcours de l’expédition Tara Pacific
07.09.2017, par Anne-Sophie Boutaud
Alors que la goélette Tara Pacific vient de mettre le cap sur la Grande Barrière de corail (Australie), les chercheurs ont fait le point, à mi-parcours de l’expédition, sur leurs premières observations scientifiques à l’occasion d’une conférence de presse tenue le 6 septembre au CNRS. Avec un constat sans appel : la dégradation massive des coraux en raison du réchauffement climatique.

15 pays, 50 000 kilomètres et plus de 15 000 échantillons prélevés : Tara vient d’achever sa première année d’exploration du Pacifique, d’est en ouest. Partie en mai 2016, la goélette Tara sillonne l’océan Pacifique afin de dresser un état de santé général des récifs coralliens et de leur biodiversité, et de mesurer leur capacité de résilience face aux menaces locales et globales. Restée quelques semaines à quai à Whangarei, en Nouvelle-Zélande, pour son entretien annuel, Tara sillonne actuellement la Grande Barrière de corail – la plus grande construction animale au monde, qui s’étend sur plus de 3 000 kilomètres, au large du Queensland, en Australie. L’objectif de cette seconde année de campagne scientifique : ausculter le Triangle du corail, l’un des épicentres de la diversité corallienne, une zone qui baigne l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines et qui accueille près de la moitié de toutes les espèces de coraux. Arrivés à mi-parcours de l’expédition, les scientifiques ont pu établir plusieurs constats.

Des épisodes de blanchissement de plus en plus fréquents

Depuis 2015, les coraux connaissent des épisodes de blanchissement sans précédent, « et ces processus ne sont pas seulement imputables au phénomène El NiñoFermerPhénomène de courant chaud équatorial. », souligne Serge Planes, chercheur au CNRS1 et directeur scientifique de la mission. En 1997-1998, El Niño avait fait grimper les températures de l’océan Pacifique : 18 % des coraux étaient morts en six mois. En 2015-2016, avec près de 70 % de taux de blanchissement, ce sont 50 % des coraux qui ont disparu. « Auparavant, ce phénomène ne se reproduisait que tous les 20 à 25 ans, ce qui laissait au corail le temps de se régénérer », explique le chercheur. Ces épisodes de stress sont devenus de plus en plus réguliers. Principale cause, le réchauffement de la température des eaux océaniques. « Plus l’augmentation de la température dépasse les normales attendues, et plus les durées d’exposition à ces fortes températures de l’eau sont longues, plus le blanchissement est fort », indique Serge Planes. Les chercheurs ont par ailleurs observé un blanchissement massif dans des zones isolées et très peu polluées : en Polynésie, par exemple, il frappe 30 à 50 % de la couverture corallienne dans certaines îles des Tuamotu. Aux Îles Samoa, le blanchissement a atteint un taux de 90 % et provoqué la mort des colonies coralliennes.
 

Blanchissement du corail observé dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française.
Blanchissement du corail observé dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française.

Une base de données inédite

Sur les 35 000 échantillons attendus, plus de 15 000 ont été prélevés dans l’océan Pacifique, dont près de 2000 ont déjà été traités par le Genoscope, le Centre national de séquençage d’Évry (Essonne). Si les chercheurs n’annoncent pas encore de résultats, les premières analyses leur ont permis de vérifier et valider les protocoles de transport et d’extraction des échantillons de coraux. Il s’agira, par la suite, de séquencer la totalité des génomes afin de cartographier ces écosystèmes et d’obtenir de nombreuses informations sur le mode de vie des coraux ou leur métabolisme. Cette bibliothèque d’échantillons permettra d’établir une base de données inédite à destination de la communauté scientifique. Ils pourront, à terme, comparer les récifs et distinguer leurs capacités de résistance aux bouleversements climatiques.
 

L’équipe de chercheurs traite les échantillons de corail collectés au cours d’une plongée matinale.
L’équipe de chercheurs traite les échantillons de corail collectés au cours d’une plongée matinale.

Le corail du Pacifique pourra-il s’adapter ?

À cette question posée par Denis Allemand, directeur du Centre scientifique de Monaco et codirecteur scientifique de l’expédition, la réponse demeure pour l’instant incertaine : « Les plus pessimistes avancent que le changement climatique est si rapide qu’ils n’en auront pas le temps. D’autres, que les mutations ou des modifications épigénétiques leur permettront de ne pas disparaître », énonce-t-il. En effet, l’altération des récifs coralliens pourrait entraîner la disparition de nombreuses espèces de coraux et une transformation écologique des récifs. Ces nouveaux équilibres pourraient affecter directement l’espèce humaine : c’est 8 % de la population mondiale, soit 500 millions de personnes, qui dépend directement de ces écosystèmes, que ce soit pour la pêche ou le tourisme. « Les services que ces écosystèmes nous rendent seront-ils les mêmes dans 20 ou 30 ans, lorsque les récifs coralliens auront été chamboulés par les changements climatiques ? » s’interroge Serge Planes.

Deux ans après la signature de l’Accord de Paris négocié à la COP 21, il apparaît nécessaire de sensibiliser le grand public autour de ces enjeux environnementaux. Une occasion en est donnée : 2018 a été désignée comme l’année internationale des récifs.
 

Notes
  • 1. Serge Planes est directeur du Criobe, Centre de recherche insulaire et observatoire de l'environnement (CNRS/Univ. de Perpignan Via Domitia/EPHE).

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du journal CNRS