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Ausculter la face cachée des orages
Dans la mythologie celtique gauloise, Taranis désigne le dieu du ciel, de la foudre et du tonnerre. Rien d'étonnant donc si le Centre national d'étude spatiale (Cnes) a choisi d'attribuer le nom de cette divinité à un satellite dévolu à l'étude de phénomènes lumineux associés aux orages. Après avoir été reporté à maintes reprises, le lancement du satellite Taranis (Tool for the Analysis of RAdiation from lightNIng and Sprites) depuis le centre spatial guyanais de Kourou est désormais planifié pour le mois de novembre. Une fois atteinte l'orbite héliosynchrone à près de 700 km d'altitude1, le satellite aura pour mission d'étudier les transferts impulsifs d’énergie qui se produisent au-dessus des orages à la frontière entre la haute atmosphère terrestre et l’environnement spatial.
« Taranis sera non seulement dédié à la traque de tout un corpus de phénomènes lumineux transitoires rassemblés sous le terme générique de TLE (Transient Luminous Events) mais aussi à celle de brèves bouffées de rayonnement gamma en provenance de la Terre appelées TGF (Terrestrial Gamma ray Flashes) durant lesquelles un orage se comporte comme un accélérateur de particules », détaille Jean-Louis Pinçon, chercheur CNRS au sein du Laboratoire de physique et chimie de l'environnement et de l'espace (LPC2E)2 et responsable scientifique de la mission.
Une première découverte totalement fortuite
Le tout premier TLE a été mis en évidence un soir d'été 1989. Cette découverte totalement fortuite a été réalisée par des chercheurs de l'université du Minnesota souhaitant tester la sensibilité d’un nouveau modèle de caméra destiné à être installé sur une fusée sonde. Pour cela, l'équipe avait dirigé l'appareil vers une étoile de luminosité bien connue depuis un poste d’observation terrestre sans savoir que l’astre visé cette nuit-là se situait juste au-dessus d’un orage. De retour au laboratoire, les scientifiques ont découvert avec étonnement que leur caméra avait capté d’étranges flashs lumineux au-dessus de la masse orageuse. Il s'agissait en fait de la toute première image d’un sprite.
Au cours des années 1990, trois autres catégories de phénomènes lumineux transitoires liés aux orages vont être identifiées : les elfes, qui se caractérisent par un anneau lumineux en expansion se formant à près de 100 km du sol ; comme leur nom le laisse deviner, les jets bleus se matérialisent par des panaches de couleur bleutée ; à la fois plus rares et imposants que les précédents, les jets géants se développent quant à eux entre 15 et 90 km d'altitude. « Bien qu'on estime à plusieurs centaines de milliers le nombre de TLE se produisant chaque jour dans la haute atmosphère, ils ne peuvent être observés depuis le sol qu’à la condition de se trouver en hauteur et à une grande distance du foyer orageux en raison de la barrière visuelle constituée par le nuage d’orage, explique Jean-Louis Pinçon. L’éloignement, combiné à l’absorption par les couches denses de la basse atmosphère, rendent par ailleurs très difficile l’obtention de données pertinentes pour l’étude de la microphysique de ces phénomènes à partir de la surface terrestre. »
Un microsatellite bardé d’instruments
En venant se positionner à plusieurs centaines de kilomètres au-dessus des nuages, Taranis va donc pouvoir collecter des données beaucoup plus précises et complètes sur tous ces phénomènes. Pour mieux percer les mystères qui les entourent, ce microsatellite de 180 kg regroupe six expériences scientifiques distinctes3. Constituée de deux caméras associées à quatre photomètres, l'expérience MCP (MicroCameras et Photomètres) sera entièrement dédiée à la caractérisation des TLE selon la longueur d'onde de leur spectre lumineux et à celle des orages qui leur donnent naissance.
En tant que détecteur gamma, l’instrument XGRE (X-ray, Gamma-Ray et Electrons relativistes) aura pour objectif de déterminer les différentes composantes des flashs de rayonnement gamma terrestres. « Contrairement aux détecteurs gamma actuels, qui ont été développés pour identifier les sources lointaines de rayonnement cosmique, XGRE sera extrêmement rapide afin de repérer la moindre particule de lumière en provenance des orages se formant à quelques kilomètres de la surface terrestre », souligne Jean-Louis Pinçon. Outre ce détecteur gamma ultra-rapide, le satellite disposera de détecteurs d’électrons énergétiques ainsi que de capteurs électriques et magnétiques qui permettront d'enregistrer les signatures électromagnétiques et celles des particules associées aux TLE et aux TGF. « L’ensemble de ces appareils aura la particularité de fonctionner en simultané et de façon synchrone pour ne rien rater des caractéristiques de ces événements dont la durée peut être inférieure au millième de seconde », complète le chercheur.
Une masse d'informations sans précédent
À raison de quatorze orbites terrestres quotidiennes, Taranis sera en mesure d'identifier chaque jour des centaines d'événements liés à des transferts impulsifs d’énergie tout en enregistrant leurs données physiques et le contexte dans lequel ils se produisent. À l'issue de la mission, qui devrait s’achever fin 2024, le satellite aura ainsi accumulé une masse d'informations sans précédent sur les phénomènes lumineux transitoires et les flashs de rayons gamma terrestres.
Une fois analysées, ces données contribueront ensuite à clarifier leurs mécanismes de génération tout en identifiant les signatures électromagnétiques et les différentes particules impliquées dans ces processus. « En croisant les informations recueillies par Taranis au nadir des orages avec les mesures obtenues en parallèle par les réseaux d’observation terrestres, nous serons capables de déterminer dans quelles circonstances et avec quelle intensité ces événements et les mécanismes physiques qui les sous-tendent peuvent affecter la constitution chimique et la dynamique de la haute atmosphère », conclut Jean-Louis Pinçon. ♦
- 1. Située entre 400 et 900 km, l'orbite héliosynchrone permet à un satellite évoluant sur cette trajectoire de passer toujours au-dessus du même point du globe à la même heure. De cette manière, il est possible d'observer les modifications subies par la région survolée en ayant toujours les mêmes angles pour la lumière et les ombres.
- 2. Unité CNRS /Cnes/Université d'Orléans.
- 3. Outre le LPC2E, la conception des différents instruments de Taranis repose sur le travail de chercheurs et d'ingénieurs du CEA, de l'Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap – CNRS/Université Toulouse Paul Sabatier/Cnes), du Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (Latmos – CNRS/Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines/Sorbonne Université), du Laboratoire astroparticule et cosmologie (APC – CNRS/Université de Paris), de l'université de Stanford (États-Unis), de l'université Charles de Prague, de l’Institute of Atmospheric Physics de Prague (République Tchèque) et du Space Research Centre de l’Académie polonaise des sciences.
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Auteur
Grégory Fléchet est né à Saint-Étienne en 1979. Après des études de biologie suivies d’un master de journalisme scientifique, il s’intéresse plus particulièrement aux questions d’écologie, d’environnement et de santé.
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