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Donner du sens à la science

Germaine Tillion, une ethnologue au Panthéon

Germaine Tillion, une ethnologue au Panthéon

15.07.2014, par
Mis à jour le 22.05.2015
Figure de la Résistance, Germaine Tillion entre au Panthéon mercredi 27 mai, avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay. L’historien Tzvetan Todorov nous retrace le destin de cette ethnologue d’exception, que son engagement mena en prison puis au camp de Ravensbrück.

Germaine Tillion, ethnologue et historienne, résistante et déportée, est née le 30 mai 1907, à Allègre, dans la Haute-Loire. Après des études secondaires à Clermont-Ferrand, elle suit sa famille qui déménage dans la région parisienne. À partir de 1926, elle entreprend des études universitaires variées, d’abord en archéologie, préhistoire et histoire de l’art, puis elle suit des cours à l’Institut d’ethnologie et au Collège de France, où elle participe au séminaire de Marcel Mauss.

1934 : début de sa thèse sur les Chaouias d’Algérie

Tillion obtient son certificat de l’Institut d’ethnologie en 1932 et s’inscrit en thèse avec Mauss ; c’est lui aussi qui lui procure son premier travail. L’International Institute for African Languages and Cultures de Londres accorde deux bourses à des étudiantes françaises ; Mauss recommande Tillion pour l’une d’entre elles. Elle part en décembre 1934, en même temps que Thérèse Rivière, pour la région des Aurès, en Algérie, où elle restera jusqu’en février 1937, à étudier la société des Chaouias. De retour en France, elle transforme son sujet de thèse en « Éttude totale d’une tribu berbère », toujours sous la direction de Mauss, secondé maintenant par Louis Massignon. Elle publie ses premières études ethnologiques, consacrées à la population des Aurès.

Germaine Tillion, photographiée en 1935 en Algérie.
Germaine Tillion, photographiée en 1935 en Algérie durant ses recherches ethnographiques au sein de la société des Chaouias.
Germaine Tillion, photographiée en 1935 en Algérie.
Germaine Tillion, photographiée en 1935 en Algérie durant ses recherches ethnographiques au sein de la société des Chaouias.

En août 1939, elle repart sur le terrain avec une bourse du CNRS et y reste jusqu’à la fin mai 1940. Le travail sur la thèse est bien avancé, Tillion a rassemblé une abondante information sur la société qu’elle étudie, en mettant en pratique la méthode de Mauss et en cherchant d’abord la réponse à des questions concrètes : qui, quand, où, combien, comment, le tout conduisant à la construction du fait social total.

1940 : engagement dans la Résistance

Le retour de Tillion en France coïncide avec la débâcle, les armées allemandes déferlent sur le pays. Dès le mois de juin 1940, la jeune ethnologue cherche à participer à un mouvement de résistance. Elle monte un groupe qui entre en rapport avec le réseau dit du Musée de l’homme. Ce groupe aux dimensions fluctuantes se livre à des activités multiples : collecter des informations à envoyer à Londres, accueillir des soldats évadés ou organiser des évasions, fabriquer de faux papiers, diffuser des appels au combat, liquider des agents de la Gestapo. Plusieurs membres du réseau sont trahis et arrêtés, elle intervient pour essayer de leur sauver la vie, sans succès. En août 1942, à la suite à d’une trahison, elle-même sera arrêtée. Elle passe une année dans les prisons françaises, où elle a la possibilité de terminer sa thèse.

1943 : déportation à Ravensbrück

En octobre 1943, elle est déportée dans le camp de Ravensbrück, sa mère, arrêtée en tant que complice, l’y suivra quelques mois plus tard. Le manuscrit de sa thèse disparaîtra au cours de ce déplacement. Dans le camp, elle se comporte encore – dans une certaine mesure – en ethnologue : elle réunit des informations, les analyse et communique les résultats de sa recherche à ses camarades de détention, ce qui les aide à mieux supporter l’épreuve. « Comprendre ce qui vous écrase est en quelque sorte le dominer », écrira-t-elle plus tard. Au cours des mêmes mois, elle rédige aussi une « opérette-revue », Le Verfügbar aux enfers, parodie d’Orphée aux enfers, qui décrit sur un mode ironique la condition des détenues : celles-ci auront ainsi l’occasion de rire de leurs propres infortunes. Tillion subit un coup dur en mars 1945 : sa mère est raflée et envoyée à la chambre de gaz en tant que personne inutile parce que trop âgée.
 

La comédienne Roselyne Sarazin dans la pièce «Une opérette à Ravensbrück», montée d’après l’œuvre de Germaine Tillion «Le Verfügbar aux enfers».
La comédienne Roselyne Sarazin dans la pièce «Une opérette à Ravensbrück», montée d’après l’œuvre de Germaine Tillion «Le Verfügbar aux enfers».
La comédienne Roselyne Sarazin dans la pièce «Une opérette à Ravensbrück», montée d’après l’œuvre de Germaine Tillion «Le Verfügbar aux enfers».
La comédienne Roselyne Sarazin dans la pièce «Une opérette à Ravensbrück», montée d’après l’œuvre de Germaine Tillion «Le Verfügbar aux enfers».

1945 : réintégration de son poste au CNRS

En avril 1945, les détenues sont libérées du camp et envoyées en convalescence en Suède. Tillion revient en France en juillet de la même année et retrouve son poste au CNRS. Mais sa thèse est perdue, les Chaouias sont loin, et elle choisit de passer dans la section d’histoire moderne, où elle se consacre à l’étude de la résistance et  de la déportation. Elle a cependant l’occasion de revenir à son travail ethnologique en 1947, car l’Institute de Londres lui demande un rapport sur son travail d’avant-guerre. En le rédigeant, elle se rend compte que, après Ravensbrück, elle n’interprète plus la société chaouia de la même manière, alors même qu’elle n’a collecté aucune nouvelle information. Ce fait l’incite à interpréter la connaissance en sciences humaines comme une interaction entre les faits objectifs et la subjectivité du savant, irréductible. Mais ses principaux travaux du moment portent sur l’histoire immédiate : elle rédige un premier texte sur Ravensbrück, une étude aussi sur les débuts de la Résistance en France. En même temps, elle participe à la Commission créée par l’ancien déporté David Rousset, qui lutte contre les camps de concentration toujours en activité, notamment dans les pays communistes en Europe et en Asie.

1954 : en mission d’information en Algérie

En 1954, au début de l’insurrection algérienne, Tillion est sollicitée par Massignon pour se rendre en Algérie en mission d’information. À la suite d’un séjour de deux mois, elle élabore le projet des Centres sociaux, lieux d’éducation destinés aux enfants et aux adultes, aux hommes et aux femmes, qui leur permettent d’acquérir une formation de base et leur offrent en même temps une aide médicale et administrative. De retour en France, elle expose à ses camarades de déportation  la situation en Algérie ; le texte de son rapport sera publié originellement sous le titre L’Algérie en 1956. Au début de l’année suivante la répression de l’insurrection par l’armée française s’intensifie, l’usage de la torture se généralise. Tillion renonce à la poursuite de tout projet politique et se consacre essentiellement à la protection d’individus dont la vie est menacée. Elle rencontre des responsables des insurgés, essaie de faire cesser les attentats aveugles, d’un côté, la torture et les exécutions, de l’autre. Dans ses démarches, elle échoue souvent, mais d’autres fois réussit, et grâce à elle des centaines de personnes échappent à la mort, à la torture, à la prison.

1958 : inauguration de sa chaire de « Sociologie algérienne »

En 1958, Tillion est élue directrice d’études à la VIe section de l’École pratique des hautes études (plus tard EHESS). Sa chaire s’intitule « Sociologie algérienne » : le centre de gravitation de ses travaux s’est déplacé de nouveau, cette fois-ci de l’histoire moderne vers l’ethnologie. Elle dirige dans ce cadre des dizaines de travaux d’étudiants, accomplit de nombreuses missions scientifiques dans le Maghreb, en Afrique noire et au Moyen-Orient. En 1960, elle publie son livre sur la guerre d’Algérie, Les Ennemis complémentaires. Elle travaille ensuite à la rédaction d’un ouvrage sur « l’apprentissage des sciences humaines », qu’elle abandonnera plus tard. En 1966, elle publie un essai d’anthropologie générale intitulé Le Harem et les cousins, sur la condition féminine dans l’aire méditerranéenne. Elle part à la retraite en 1977, mais continue d’enseigner jusqu’en 1980.
 

Germaine Tillion, le 22 novembre 2000 à son domicile de Saint-Mandé.
Germaine Tillion, le 22 novembre 2000 à son domicile de Saint-Mandé.

2005 : réédition des « Ennemis complémentaires », son livre sur la guerre d’Algérie

Pendant les dernières décennies de sa vie, Tillion publiera plusieurs ouvrages de fond. En 1973 paraît le volume intitulé Ravensbrück, étude approfondie de ce camp. Il illustre en même temps la méthode de Tillion qui refuse de séparer l’histoire objective et le vécu subjectif (ce livre connaîtra une ultime révision en 1988). En 1999, elle publie une version enrichie et complétée de son premier livre sur l’Algérie, sous le titre L’Afrique bascule vers l’avenir. En 2000 paraît Il était une fois l’ethnographie, écrit à partir des notes préparatoires qu’elle avait accumulées en vue de sa thèse sur les Chaouias. Deux autres titres sont publiés en 2001 : À la recherche du vrai et du juste, reprise de ses publications disparates entre 1940 et 2000, et L’Algérie aurésienne, en collaboration avec Nancy Wood, à partir des photographies qu’elle avait prises au cours de ses enquêtes sur le terrain, dans les années 1930. En 2005 voit le jour une nouvelle édition entièrement recomposée et enrichie des Ennemis complémentaires et, pour la première fois, le texte de son « opérette » de Ravensbrück, Le Verfügbar aux enfers. Germaine Tillion est décédée à son domicile le 19 avril 2008.
 

À lire / À voir

Combats de guerre et de paix, Germaine Tillion, Seuil, 2007, 828 p., 30 €

Germaine Tillion. La pensée en action, Germaine Tillion, livre audio, texte de Tzvetan Todorov, Textuel, 2011, 96 p., 19,90 €
 

Le Siècle de Germaine Tillion, collectif, Seuil, 2007, 384 p., 21,30 €

Le Témoignage est un combat. Une biographie de Germaine Tillion, Jean Lacouture, Seuil, 2000, 348 p., 20,20 €

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