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Investir dans la modélisation du climat pour une action climatique efficace
Le changement climatique pose d'immenses défis aux sociétés humaines, questionnant leur développement, leur résilience et finalement leur pérennité. Ainsi que l’ont rappelé les récents rapports1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), les deux prochaines décennies seront cruciales pour limiter l’escalade des risques climatiques. Cependant l’action climatique ne pourra être efficace sans les éclairages de services climatiques adaptés aux besoins sociétaux. Or, seul un investissement massif et urgent dans la modélisation du climat et l’estimation des impacts du changement climatique, mobilisant un large panel d’acteurs et de disciplines scientifiques, permettra de bénéficier sans délai des nouvelles avancées technologiques (calcul, intelligence artificielle, …) et conceptuelles.
Les services climatiques : des outils incontournables
Avec la multiplication d’événements extrêmes hors normes, le changement climatique est aujourd’hui manifeste. De nouvelles conditions, plus extraordinaires encore, sont malheureusement à attendre dès la décennie à venir. Pour y faire face, les outils permettant d’anticiper l’impact du changement climatique et d’en réduire les impacts négatifs doivent être développés sans délai. Rendu public le 28 février 2022, le rapport du Giec sur les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité, démontre l’importance des outils permettant d’accompagner la décision politique pour mettre en œuvre une action climatique. Pour indispensables que soient les rapports du Giec en tant que base de connaissances sur laquelle se fonde l’alerte mondiale, ils ne sont pas – et ne seront jamais – suffisants pour mettre en place, à l’échelle des territoires, les actions qu’appelle l’urgence de la situation. Parmi ces outils, les services climatiques sont des outils cruciaux.
On entend par services climatiques « l’ensemble des informations et prestations qui permettent d’évaluer et de qualifier le climat passé, présent ou futur, d'apprécier la vulnérabilité des activités économiques, de l’environnement et de la société au changement climatique, et de fournir des éléments pour entreprendre des mesures d’atténuation et d'adaptation2. » Ils constituent en quelque sorte une traduction opérationnelle (institutionnelle ou commerciale) des études sur le changement climatique et ses impacts, dans un contexte fortement interdisciplinaire faisant appel à une co-construction avec toutes les parties prenantes.
Leur émergence et leur passage à l’échelle sont donc essentiels pour permettre aux acteurs de tous les territoires et domaines socio-économiques d’appréhender les conséquences du changement climatique sur l’ensemble des secteurs, échelles, et temporalités les concernant. Mais surtout, ils sont indispensables pour identifier les leviers d’action à mettre en œuvre à très courte échéance pour y faire face.
Développer, consolider et amplifier les services climatiques
Un exemple parmi d’autres, le service climatique ClimSnow, opéré par le bureau d’étude Dianeige, Météo-France et en collaboration avec Inrae, permet de quantifier l’impact du changement climatique passé et futur sur les conditions d’exploitation des domaines skiables. Résultant de plus d’une décennie de travail de recherche interdisciplinaire, il tient compte des pratiques de gestion de la neige (damage, production de neige) dans les projections climatiques de l’enneigement, et contribue ainsi aux réflexions sur les transitions du tourisme en montagne3.
Pour produire une information climatique pertinente, le croisement de données caractérisant l’évolution du climat physique et l'évaluation de ses conséquences pour les systèmes humains et naturels est donc indispensable. Cela doit mobiliser une vaste gamme de disciplines scientifiques, incluant les sciences humaines et sociales, les sciences de la nature dans toutes leurs dimensions, et le calcul scientifique de haute performance appliqué à la modélisation climatique.
L’émergence des groupes régionaux d’experts sur l’évolution du climat (Grecs) illustre la possibilité de produire collectivement une information climatique territoriale en croisant disciplines et expertises complémentaires4. Énergie, agriculture, santé, milieux urbains : d’autres exemples démontrent, à des degrés de maturité divers, un tel potentiel, dans des secteurs multiples5. Toutefois, de nombreux défis scientifiques, techniques et organisationnels limitent le passage à l’échelle d’une telle dynamique. La mise en place d’une adaptation efficace ne pourra se faire qu’au prix du développement de ces services climatiques, adossés aux modèles de climat.
Les progrès en modélisation climatique, un enjeu crucial
Concentrant la plus haute technologie disponible et reposant sur des décennies de développements scientifiques dans un cadre très collaboratif, les modèles numériques de climat constituent des outils incontournables pour la compréhension et l’anticipation des impacts et risques climatiques. Développés initialement dans un cadre de recherche pour les besoins de la modélisation à grande échelle et pour améliorer la compréhension de l’évolution du climat, ils sont les atouts maîtres de notre pays pour mettre en œuvre les services climatiques. Mais afin de mieux les employer pour ces besoins nouveaux et nourrir l'action climatique avec des informations pertinentes, il est indispensable de continuer à les faire progresser sur les plans scientifique et technique.
En effet, les outils actuels de modélisation du climat ne permettent pas encore de caractériser finement la vitesse et l’ampleur de l’évolution climatique des phénomènes les plus extrêmes opérant à l’échelle locale (vagues de chaleur, précipitations intenses, combinaison de phénomènes extrêmes), ni l’articulation entre cycle de l’eau, du carbone et autres éléments critiques pour l’habitabilité des milieux. Les représentations physiques des processus de petite échelle doivent également progresser, ainsi que celles de l’impact de ces processus sur ceux de grande échelle. L’intégration de nouvelles composantes du système climatique, telles que les calottes polaires, doit également être réalisée afin d’anticiper la montée du niveau des mers et l’impact d’interactions avec les processus atmosphérique et océanique sur le niveau marin local, par exemple lors de tempêtes ou cyclones.
De surcroît, les avancées technologiques en calcul intensif et le développement de l’intelligence artificielle – bien qu’ils soient autant d’opportunités à saisir pour améliorer les modèles et accélérer la production de connaissances –, font peser un risque sur leur pérennité. En effet, du fait de leur complexité scientifique et technique, ces modèles numériques pouvant atteindre plusieurs millions de lignes de code ne peuvent être adaptés à ces nouvelles architectures et paradigmes de calcul sans ressources substantielles dédiées.
Les prochaines années seront donc déterminantes pour réussir la montée en puissance de la production d’informations climatiques pertinentes, adaptées aux enjeux et à leurs porteurs, facteur clé pour pouvoir contribuer efficacement à la transition écologique, et identifier et mettre en œuvre les actions d’adaptation les plus efficaces, en France comme à l’étranger. Mais cette montée en puissance de la production d’informations climatiques ne sera possible qu’en renforçant substantiellement les moyens humains et techniques des communautés impliquées dans le développement, l’évaluation et la mise en œuvre des modèles de climat. Pérenniser ces outils est la condition sine qua non du développement des services climatiques pour une trajectoire d'adaptation plus ambitieuse et efficace. Il serait paradoxal que la France, dont l’excellence dans le domaine des sciences du climat et de la modélisation climatique est reconnue internationalement, ne puisse se placer en capacité de produire les services climatiques qui permettront l’adaptation de ses territoires, faute de moyens de calculs performants ou des ressources humaines nécessaires à l’implémentation des technologies numériques émergentes, et faute de la massification du dialogue et de la construction interdisciplinaire indispensables à la co-production de ces informations. ♦
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
- 1. Bases physiques du changement climatique (août 2021), Impacts, vulnérabilité et adaptation (février 2022). https://www.ipcc.ch
- 2. https://www.allenvi.fr/allenvi/actualites/archives2/actualites-2011-2020...
- 3. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-eco/l15b5127_rap...
- 4. https://www.cnfcg.fr/index.php/grec-en
- 5. https://www.ecologie.gouv.fr/parution-du-rapport-annuel-lobservatoire-na...
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Joao Traguedo le 11 Avril 2022 à 11h34