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Donner du sens à la science

La neuvième planète

La neuvième planète

04.02.2016, par
Le monde scientifique est en effervescence, notre système solaire compterait une nouvelle et neuvième planète. Historien des sciences au CNRS, Denis Guthleben revient sur cette annonce au regard de l’histoire de l’astronomie.

Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.

Les amateurs de frissons le savent – et les autres trouveront eux-mêmes la référence : « Dans l’espace, personne ne vous entend crier. » Pourtant, une nouvelle y fait en ce moment grand bruit : la découverte d’une planète. Et pas n’importe où ! Là, juste devant nous, au seuil de notre porte, dans le système solaire. C’est l’ébullition au sein de la communauté savante, l’effervescence parmi les passionnés, la frénésie dans le public, l’hystérie générale ! Et chacun de contempler avec ivresse ce firmament qui continue de ne livrer qu’au compte-gouttes ses insondables mystères…

Une deuxième… neuvième planète ?

Bien, et maintenant on se calme et on reprend au début. D’abord, « découverte » est un grand mot. Cette planète, personne ne l’a observée. Il s’agit, pour l’heure encore, et pour longtemps peut-être, d’une supposition découlant des calculs d’une équipe de chercheurs américains du Caltech, dont l’article vient de paraître dans The Astronomical Journal. Car c’est bien cela, la Science : elle ne pond pas des certitudes absolues tous les quatre matins, mais elle émet des hypothèses, les compare, les analyse, les vérifie, les valide ou les rejette. Ensuite, rappelons-le, on nous l’a déjà fait une fois, le coup de la neuvième planète ! Elle s’appelait Pluton et était entrée par la grande porte du système solaire en 1930. Aujourd’hui, elle s’appelle toujours Pluton, mais elle a gentiment été raccompagnée sur le perron par une résolution de l’Union astronomique internationale qui, en 2006, l’a reléguée au rang de « naine ». Alors avant de scruter fébrilement le ciel, commençons par jeter un œil dans le rétroviseur…
 

Neuvième planète
Vue d'artiste de la 9e planète supposée du Système solaire. Gazeuse, située bien au-delà de l’orbite de Neptune, elle mettrait 10.000 à 20.000 ans pour effectuer une orbite complète autour du Soleil.
Neuvième planète
Vue d'artiste de la 9e planète supposée du Système solaire. Gazeuse, située bien au-delà de l’orbite de Neptune, elle mettrait 10.000 à 20.000 ans pour effectuer une orbite complète autour du Soleil.

Associer les planètes à des dieux : une vieille habitude

L’œil, justement. Il s’agit du premier instrument des astronomes. Il leur a permis d’apercevoir, depuis des temps lointains, cinq des planètes du système solaire : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Avec plus ou moins de facilité quand même : Jupiter, la plus grosse, est très brillante et aisément observable ; mais pour voir à l’œil nu Mercure, c’est une autre paire de manches. Une précision, au passage, sur les noms forgés au cours de ces « temps lointains » : associer les planètes à des dieux est devenu très tôt une habitude. Or il va sans dire que les Mésopotamiens ne parlaient pas de « Jupiter » mais de « l’astre de Mardouk », la divinité tutélaire de Babylone ; que Vénus, pour eux, était « l’astre d’Ishtar », leur déesse de l’amour ; et ainsi de suite pour Mars (« Nergal »), Saturne (« Ninib ») et Mercure (« Nabû », à prononcer « Nabou » comme dans Star Wars… et tant pis pour ceux qui ne suivent déjà plus !). Idem pour les Grecs, avec dans le même ordre les astres de Zeus, d’Aphrodite, d’Arès, de Kronos et d’Hermès. Et donc idem aussi pour les Romains, qui nous ont laissé leurs appellations en héritage. Un legs que nous, insipides et misérables monothéistes en panne d’inspiration, n’avons pu qu’imiter à mesure de la découverte de nouvelles planètes…

Fin XVIIIe, le système solaire ne compte que sept planètes

En commençant par Uranus, la première nouvelle venue. L’astre est mis au jour par William Herschel, qui croit tout d’abord observer une comète, en 1781. Treize siècles après la décomposition de l’Empire romain… On comprend mieux pourquoi la découverte d’une nouvelle planète provoque toujours son petit effet : l’événement n’est pas très courant ! C’est qu’il a aussi fallu, chemin faisant, un petit coup de pouce de l’instrumentation : la lunette astronomique puis le télescope sont passés par là. Le rôle précurseur de Galilée nous incite à lui rendre hommage, surtout en cette année 2016 qui marque le 400e anniversaire de son premier procès. Toujours est-il que, au soir des Lumières, le système solaire compte sept planètes, avec la nôtre, et voit ses dimensions étendues – l’orbite d’Uranus étant deux fois supérieure à celle de Saturne.

Rappelons-le,
on nous l’a déjà
fait une fois,
le coup de la neuvième planète !

Une autre précision avant de poursuivre : on lit souvent que la découverte d’Uranus a été le fruit du « hasard ». Certes, Herschel ne cherchait pas cet objet au moment de son observation. Mais il ne faut pas pour autant y voir un imprévu furtif : le savant s’était lancé depuis plusieurs années dans une vaste entreprise de recension des objets célestes. Bref, ce hasard-là est tout de même né d’une inépuisable curiosité intellectuelle. C’est cela aussi, la Science…

Uranus ne devrait tout simplement pas se trouver là où elle est !

Et c’est un peu plus encore, car les développements qu’elle a connus – disons, pour simplifier, de Newton à Laplace – offrent des capacités de prédiction qui conduisent, 65 ans plus tard, à la découverte d’une nouvelle planète dans le système solaire : Neptune. Pour la première fois, cette découverte précède l’observation elle-même. Cela appelle quelques explications. Dans son Traité de mécanique céleste, Laplace livre l’expression mathématique des perturbations qu’exercent les planètes en raison de leur attraction gravitationnelle. De doctes calculs, réalisés par le Bureau des longitudes mis en place par la Convention, permettent ensuite d’établir leur position au cours du temps. À partir du début des années 1820, l’un des membres du Bureau, Alexis Bouvard, s’attelle aux tables de Jupiter, de Saturne et d’Uranus. Pour les deux premières, tout est pour le mieux dans le meilleur des univers. Pour la troisième, en revanche, rien ne va plus : Uranus ne devrait tout simplement pas se trouver là où elle est ! Mais allez donc faire comprendre à une planète géante qu’elle ne respecte pas les calculs des savants français…
 

Urbain Le Verrier, ici reçu par le roi Louis-Philippe, aux Tuileries, après sa grande découverte de 1846 : la planète Neptune. (Gravure tirée de l'ouvrage "Les Merveilles de la Science", 1870).
Urbain Le Verrier, ici reçu par le roi Louis-Philippe, aux Tuileries, après sa grande découverte de 1846 : la planète Neptune. (Gravure tirée de l'ouvrage "Les Merveilles de la Science", 1870).

Quand le sage montre la Lune

« Si les faits ne correspondent pas à la théorie, changez les faits », conseillera Einstein un siècle plus tard. Sans l’attendre, les scientifiques s’y emploient. Le fait nouveau qui viendrait confirmer la théorie ne résiderait-il pas dans l’existence d’un corps inconnu perturbant le mouvement d’Uranus ? Un jeune astronome, Urbain Le Verrier, le démontre en 1846. En quelques mois, il parvient à calculer la masse et l’orbite de cette planète dite troublante. Dans la foulée, elle est observée à Berlin. Le directeur de l’Observatoire de Paris, François Arago, rend alors à l’Académie des sciences un bel hommage au découvreur : « M. Le Verrier a aperçu le nouvel astre sans avoir besoin de jeter un seul regard vers le ciel ; il l’a vu au bout de sa plume. » On savait la plume plus forte que l’épée. Désormais, on la découvre meilleure que l’œil et le télescope réunis. Et, en attendant la confirmation de la réalité ou de l’inexistence de notre deuxième neuvième planète, on peut aussi nuancer un vieil adage : quand le sage montre la Lune, il n’est pas forcément idiot de regarder aussi son doigt…

        
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