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Qu’apporte cet ouvrage aux débats sur le changement climatique ?
Agathe Euzen : Ce livre est un objet assez inédit dans le paysage éditorial. Issu d’un partenariat entre le CNRS et le Comité 21 (réseau de près de 500 adhérents acteurs du développement durable), il est composé d’une quarantaine d’articles qui relèvent un triple défi : faire un état des lieux de chaque domaine, proposer des solutions et les mettre en perspective du changement climatique et des changements globaux. Les dimensions sociales, économiques, institutionnelles, environnementales et technologiques du changement climatique y sont abordées. Écrits dans un souci de vulgarisation, ces textes sont accessibles à tous ceux qui s’intéressent au sujet.
Pourquoi fallait-il intégrer autant de disciplines pour aborder ce sujet ?
A. E. : Le changement climatique nous impose de penser global. C’est valable pour nous aussi chercheurs. D’où l’importance d’oser nous aventurer au-delà de notre spécialité. En effet, la question du climat est interdisciplinaire par excellence et l’actualité en est la preuve : il est difficilement envisageable de proposer une solution au changement climatique sans avoir réfléchi à l’ensemble de ses effets sur les territoires, à toutes les échelles. Le fait de s’appuyer sur les connaissances les plus pointues et de les envisager dans une approche intégrée permet plus facilement aux chercheurs de se positionner dans le débat.
En quoi l’engagement des scientifiques, dont ce livre est un exemple, peut-il peser sur les décisions politiques ?
A. E. : Les scientifiques peuvent peser sur les décisions en s’impliquant dans des instances de pilotage, des collectifs, des associations ou auprès de jeunes. La collaboration avec le Comité 21 a permis d’intégrer la recherche aux réflexions multi-acteurs. De même, le dynamisme dont fait preuve la Plateforme Océan Climat contribue à faire accepter l’importance de l’océan dans la problématique du climat au niveau des instances internationales. C’est le résultat d’un travail de synthèse des résultats scientifiques mais aussi d’intense lobbying. Comme la société civile, le monde politique doit être sensibilisé. Pour cela, les scientifiques doivent vulgariser leurs savoirs et proposer des scénarios d’évolution. Ces actions portent leurs fruits. Sans le retentissement des travaux du Giec, il n’y aurait peut-être pas eu de COP21… Travailler avec les politiques est nécessaire, mais impose de la vigilance. La fameuse limite des 2 °C d’élévation des températures est un repère fixé pour l’action et non un résultat scientifique en tant que tel.
Pouvez-vous donner un aperçu des solutions proposées ?
A. E. : Le livre répertorie de nombreuses solutions, mais, d’abord, il pose des questions : qu’est-ce qu’une solution ? pour qui ? pour quoi ? dans quel contexte ? Car il n’y a pas de solution unique. Il s’agit de partir des sociétés, de leur évolution au regard des ressources disponibles et des modes de consommation. S’appuyer sur les modes de gouvernance des sociétés et sur leurs régulations trouve alors tout son sens. Ainsi, les économistes proposent des outils financiers qui pourraient devenir des instruments majeurs de lutte contre le changement climatique. Imposer un prix du carbone ou réduire les subventions aux énergies fossiles figurent parmi les pistes. Des solutions techniques sont aussi avancées et leur pertinence questionnée, certaines pouvant être très consommatrices de ressources et d’énergie. Un autre type de solution consiste à utiliser notre connaissance des mécanismes du vivant pour restaurer les milieux qui s’érodent du fait des activités humaines. C’est tout l’essor récent de l’ingénierie écologique qui permet, par exemple, de recréer des zones humides qui fonctionnent comme des puits de carbone. Enfin, les sociologues réfléchissent sur la difficulté de changer les pratiques de production et de consommation tout comme les comportements. Par-delà les incitations des pouvoirs publics, changer ses habitudes sans compensation, réelle ou symbolique, n’est pas si facile. C’est un des nœuds du problème qui concerne tous les acteurs.
Au-delà de la multiplicité des solutions existantes, l’ouvrage en appelle à un changement de paradigme…
A. E. : Faire face au changement climatique suppose de dépasser nos intérêts pour penser et agir différemment. La dimension religieuse joue aussi un rôle important. En effet, une réflexion œcuménique montre que les religions ont en commun de penser la fragilité humaine par rapport à la nature. Comment en finir avec la volonté de maîtrise absolue, l’oubli de la finitude, la surconsommation, les inégalités abyssales ? Tout cela se retourne contre nous. L’antidote proposé en filigrane du livre consiste à reconstruire des communs. Il s’agit de remettre sur le devant de la scène des valeurs humaines, spirituelles, esthétiques, symboliques et pas seulement économiques et techniques. Ce n’est pas une contrainte, mais une incitation à grandir vers un monde plus aimable. De nombreuses initiatives vont dans ce sens ces dernières années. Une prise de conscience généralisée de la dégradation de la qualité de l’environnement conduit à de nouvelles formes de responsabilisation. Ce livre est une pierre posée pour aider à mieux comprendre le monde qui nous entoure, à le penser autrement pour construire ensemble celui de demain.
À lire : Quelles solutions face au changement climatique ?, CNRS Éditions, nov. 2015, 22 €
Codirigé par Bettina Laville, cofondatrice du Comité 21, Stéphanie Thiébault, directrice de l’Institut écologie et environnement du CNRS (Inee), et Agathe Euzen, déléguée scientifique à l’Inee et chercheuse au Laboratoire techniques, territoires et sociétés.
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