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Des chercheurs des Universités de Yale et de Harvard ont cuisiné trois ragoûts babyloniens dont les recettes sont extraites de quatre tablettes cunéiformes, datables du 18e siècle avant notre ère, conservées à la Yale Babylonian Collection.
Les plats ont été présentés fin avril dans le cadre d’un colloque intitulé « An appetite for the Past », organisé par l’Institut d’études sur les Mondes Anciens de l’Université de New York. Cette initiative n’est pas nouvelle. À la Brown University, A. Slotsky a organisé pendant des années une réception annuelle dont les mets étaient préparés à partir de ces recettes babyloniennes. Mais que servait-on à la table des anciens Mésopotamiens[1] ?
Recettes paléo-babyloniennes.
Ces recettes concernent surtout des préparations de bouillons et ragoûts de viande, mais aussi des tourtes. Elles ne précisent jamais les quantités des ingrédients aux noms parfois inconnus, ni les temps de cuisson. La recette de la tourte aux petits oiseaux est assez sophistiquée : les oiseaux et leurs abats sont cuits avec de l’ail dans un bouillon, puis déposés entre deux couches de pâte préparée à base de lait et semoule.
Des recettes de pâtisseries ont pu être reconstituées à partir de billets, d’époque contemporaine, précisant les ingrédients sortis des magasins du palais pour le repas quotidien du roi de Mari : il s’agit d’une pâte à base de farine et de beurre, fourrée de dattes, de raisin, de figues, de pommes ou de pistaches, sucrée avec du miel et aromatisée avec du cumin et de la coriandre, et cuite au four.
Au Ier millénaire avant notre ère, les annales royales et les bas-reliefs qui ornent les murs des palais des rois décrivent les somptueux banquets de la cour. Plusieurs d’entre eux célébraient une victoire ou l’achèvement de grands travaux. Ainsi, la stèle du banquet d’Assurnazirpal II (9e siècle) relate le banquet accompagnant l’inauguration de la nouvelle capitale, Kalhu. Elle détaille les aliments offerts par le roi pendant 10 jours à ses 69 574 invités.
Les repas des particuliers étaient beaucoup plus simples. Ils prenaient deux repas quotidiens, le matin au lever, à base de gruau, et celui du soir, plus copieux. Les céréales, surtout l’orge, moins souvent le blé amidonnier et l’épeautre, constituaient la base de l’alimentation, sous la forme de farines, gruaux et pains levés ou non.
Leur boisson principale était la bière, préparée quotidiennement par les femmes à partir de la macération ou fermentation d’orge. Il en existait de nombreuses variétés : bière noire, bière claire, bière rouge d’épeautre, bière de première qualité, bière triple, bière clarifiée...
L’huile de sésame servait à l’alimentation, à l’éclairage et aux soins du corps. Les légumes farineux, fèves, pois ou lentilles, employés en purées ou grillés, étaient complétés par divers alliacées : ail, oignons et poireaux. Les épices et les herbes aromatiques, également cultivées dans les jardins ou ramassées dans la campagne, intervenaient dans les plats pour en relever la saveur : sel, poivre, moutarde, thym, rue, coriandre, cumin… Les fruits qui poussaient dans les vergers étaient variés : dattes, figues, pommes, poires, grenades, raisin, noix, amandes et pistaches.
La consommation de la viande était répandue, mais devait être plus rare chez les gens de statut inférieur. Les ovins constituaient la base de l’alimentation carnée. Le porc était élevé et consommé jusqu’au Ier millénaire, surtout dans les zones rurales. À Nuzi, certains habitants goûtaient au cheval. Les canards et autres oiseaux étaient appréciés pour leur chair et pour leurs œufs. La viande était séchée, salée et fumée, accommodée en soupes, ragoûts, tourtes ou encore rôtie. Riches et pauvres mangeaient également les poissons frais, séchés, salés ou fumés.
Les recettes babyloniennes conservées à Yale sont les seules qui nous soient parvenues ; elles ont été magistralement traduites par l’assyriologue Jean Bottéro. Toutefois, bien qu’excellent cuisinier, ce dernier s’est toujours refusé à les tester expliquant que les goûts avaient trop changé en quatre mille ans. Il préférait en imaginer la saveur en goûtant les produits de la cuisine arabo-turque, libanaise ou proche-orientale, sans doute hérités d’une tradition multimillénaire.
[1] B. Lion et C. Michel (dir.), Banquets et Fêtes au Proche-Orient ancien, Dossiers d’Archéologie 280, février 2003.