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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

Les auteurs du blog

Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Nouvelles inscriptions au registre Mémoire du monde de l’UNESCO
25.05.2025, par Cécile Michel
Mis à jour le 25.05.2025

Le 17 avril dernier, l’Unesco a annoncé les 74 nouvelles collections du patrimoine documentaire qui rejoignent le registre de la Mémoire du monde, portant désormais à 570 le nombre de collections inscrites. Parmi ces collections figurent deux inscriptions, l’une en cunéiforme, l’autre en hiéroglyphes louvites et en phénicien.
 
La liste du Patrimoine mondial de l’Unesco identifie les sites jugés exceptionnels d’un point de vue culturel ou naturel. Leur inscription a pour but de les préserver et les protéger ; cette liste comprend 1223 biens à ce jour. Les propositions envoyées par les 196 États parties qui ont ratifié la Convention du patrimoine mondial sont nombreuses et beaucoup de sites figurent sur les listes indicatives proposées par les États parties. L’Irak a ainsi proposé, entre autres, le site de l’ancienne Dur-Kurigalzu, moderne Aqar Quf, non loin de Bagdad, capitale Kassite au milieu du IIe millénaire ou encore Nippur, sur le Moyen-Euphrate, habitée en continu pendant six millénaires, et capitale religieuse culturelle pendant de longs siècles. La Turquie, pour sa part, espère le classement du site archéologique de Kültepe, l’ancienne Kanesh, non loin de Kayseri, comptoir de commerce Assyrien au début du IIe millénaire ou encore de Zeugma, dans la province de Gaziantep, site hellénistique à partir de 300 av. J.-C.

Le programme Mémoire du monde est moins bien connu. Lancé en 1992, ce programme a pour but de « lutter contre l’amnésie collective, en appelant à la préservation des précieux fonds d’archives et des collections des bibliothèques du monde entier et en assurant leur large diffusion ». Des collections sont inscrites sur le registre Mémoire du monde tous les deux ans, et la nouvelle liste pour 2025 vient donc d’être dévoilée, avec deux inscriptions découvertes respectivement sur l’île de Bahreïn et en Turquie.
//www.unesco.org/fr/memory-world/register2025Fragment de vase en pierre inscrit de Dilmun, © Bahrain Authority for Culture and Antiquities.

En 2012 une équipe archéologique locale a mis au jour des fragments de récipients en pierre déposés à l’origine dans la tombe d’un roi du 18e siècle av. J.-C. de l’antique Dilmun, correspondant à Bahreïn. Quatre fragments portent une inscription cunéiforme rédigée en langue akkadienne, avec le nom du roi enterré, Yagli-El, un nom d’origine amorrite, et qui relie donc la dynastie de Dilmun à celles de Babylone, Mari et Alep. Yagli-El est défini comme fils du roi Rimum, connu par ailleurs, et serviteur du dieu Inzak d’Agarum. Dilmun, alors royaume indépendant, contrôle les routes commerciales dans le Golfe persique, port stratégique entre la vallée de l’Indus et le sud de l’Irak, et entretient des relations avec les différents royaumes de Mésopotamie et Syrie. La dynastie locale s’effondre vers 1720 avant un renouveau au milieu du siècle suivant.
//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/fb/KaratepeNord7.jpgInscription en phénicien de Karatepe, © Klaus-Peter Simon.

 La découverte du site de Karatepe en Cilicie (Turquie), à une centaine de kilomètre au nord-est d’Adana, correspondant au site fortifié néo-hittite d’Azatiwadaya, remonte à plus de soixante-dix ans. Construit au 8e siècle par le roitelet Azatiwada, vassal du roi de Qué, le site est remarquable pour ses inscriptions bilingues gravées sur les portes et les bas-reliefs. L’inscription en phénicien – alphabet à l’origine de l’alphabet grec – représente l’une des plus longues répertoriées dans cette écriture et a permis le déchiffrement des hiéroglyphes louvites, en usage à partir du 15e siècle et notant une langue indo-européenne apparentée au hittite. L’inscription retrace les activités des rois de la région, désignés comme appartenant à la maison de Mopsos, et la fondation du site fortifié par Azatiwada. Parmi les mesures qu’il a prises, le roi prétend avoir amélioré la sécurité dans son royaume : « de sorte que les femmes se promènent aujourd’hui sur les sentiers isolés, là où les hommes craignaient d’aller », mettant ainsi en avant le rôle des femmes dans la société.
//upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/07/Karatepe_hyroglyphenluwisch.jpgInscription en hiéroglyphes louvites de Karatepe, © Blomberg.

Diverses collections documentaires en cunéiforme d’Anatolie figurent déjà dans le registre Mémoire du Monde de l’Unesco comme les archives de la chancellerie hittite de Hattusha (Boğazköy) depuis 2001, ou encore celles des marchands assyriens découvertes à Kanesh, depuis 2015. En revanche, très curieusement, aucun corpus cunéiforme d’Irak, comme la bibliothèque d’Assurbanipal à Ninive, ou de Syrie, comme les archives royales d’Ebla, ne figure dans ce registre. Alors que des guerres dévastatrices ont irrémédiablement endommagé le patrimoine culturel de ces pays, il me paraît urgent d’aider à la préservation de ces précieux fonds d’archives et de proposer leur inscription au registre Mémoire du Monde de l'Unesco.