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Dans ce dicton sumérien, la grande déesse peut apaiser celui qui souffre en lui faisant une onction d’huile. Car l’huile végétale, qui partage un même logogramme (ì) avec les graisses animales, sert à de nombreux usages dans l’ancienne Mésopotamie, que ce soit en cuisine, aux soins du corps, en parfumerie, en pharmacopée ou encore à l’éclairage.
L’identification de la plante utilisée pour l’huile a fait couler beaucoup d’encre. Si le nom sumérien désigne la « plante-à-huile » (še-giš-ì), l’akkadien, šamaššammû, suggère qu’il s’agit de sésame. Pourtant, les fouilles menées en Irak au siècle passé ne livrent aucune graine de sésame pour les niveaux des IIIe et IIe millénaires ; en revanche les graines de lin y sont très présentes. Un texte sumérien, sorte de manuel à l’intention du fermier, documente le cycle de la « plante-à-huile », qui est semée au printemps et récoltée à la fin de l’été, ce qui correspond parfaitement au sésame, mais pas au lin qui pousse l’hiver. Les progrès de l’archéologie permettent aujourd’hui de découvrir des graines de sésame sur les sites irakiens, très petites comparées aux graines de lin.
Des lettres du début du IIe millénaire mentionnent la culture du sésame. Un fonctionnaire précise qu’il a cultivé un champ de 6,5 hectares de sésame et a produit 2100 litres de sésame. Un gouverneur écrit au roi de Mari, sur le Moyen-Euphrate (Syrie) : « À l’heure actuelle, j’ai entrepris d’arracher le sésame, selon les quotas des exploitations agricoles de mon district. Je ne suis pas négligent ! »
Les graines de sésame sont grillées dans un four, puis broyées à la main à l’aide d’une meule. Ce travail particulièrement physique permet d’obtenir une pâte, mise ensuite à bouillir avec de l’eau et de laquelle on extrait une huile de plus ou moins bonne qualité selon qu’elle est filtrée ou non.
En cuisine, l’huile de sésame sert, tout comme les graisses animales, à la préparation de certains mets. Par exemple, au début du IIe millénaire, pour confectionner un gâteau mersum, une sorte de pain d’épice, il faut préparer une pâte à partir de farine et d’huile, l’aromatiser avec du cumin et de la coriandre, la sucrer avec du miel, puis la fourrer de figues, dattes, raisins, pommes ou pistaches ; le cake est ensuite cuit au four. Dans la seconde moitié du Ier millénaire, dans les temples babyloniens, le gâteau mutqû, offert aux dieux, a pour ingrédients de l’huile de sésame, de l’épeautre, de l’orge et du miel. Les Mésopotamiens consomment aussi de l’huile d’olive ponctuellement, mais elle reste chère car importée depuis l’Ouest ; celle produite sur la côte levantine ou encore au cœur de l’Anatolie est particulièrement réputée.
L’huile de sésame sert aussi à l’éclairage, versée dans une lampe à huile équipée d’une mèche. Dans l’artisanat, on emploie de l’huile ou de la graisse animale pour tanner les peaux, décaper les pièces de métal ou encore lubrifier les bateaux, voire encore pour fabriquer du savon comme le détaille cette recette : deux mesures de plante alcaline, une mesure de résine de genévrier, une mesure d’huile de sésame pour faire du savon qui doit servir à nettoyer une pierre particulière.
L’huile est abondamment employée dans les soins du corps. Les habitants du Moyen-Orient ancien s’enduisent régulièrement la peau d’huile afin d’en éviter le dessèchement l’été et de se protéger contre le froid l’hiver. Cette huile peut alors être parfumée par des bois odorants ou de la résine : cyprès, cèdre, myrte, genévrier, ou roseaux odorants. Des recettes datant du milieu du IIe millénaire détaillent les étapes de fabrication des huiles parfumées. Les spécialistes pratiquent la macération à froid ou encore la décoction à chaud de ces bois et résines dans l’huile, puis celle-ci est affinée ; les opérations peuvent prendre jusqu’à trois mois. Ces huiles parfumées sont onéreuses et seuls les grands personnages se parfument régulièrement comme le suggère une lettre adressée au roi de Mari : « Je voudrais juste respirer la bonne odeur de mon Seigneur dans ma maison ! »
En pharmacopée, l’huile, éventuellement parfumée, sert à préparer des lotions à étaler sur une plaie ou encore des potions à ingurgiter par le malade. Elle intervient dans la divination : on verse de l’huile sur de l’eau et on observe les formes qu’elle prend pour en tirer des présages, c’est ce que l’on appelle la lécanomancie. Elle est aussi utilisée pour les libations aux dieux.
L’huile représente un produit indispensable à l’individu dans la vie quotidienne et, avec l’orge et la laine, constitue les rations versées aux travailleurs en guise de salaire. Un ouvrier reçoit entre un sixième de litre et un litre d’huile par mois. Dans les grandes institutions, comme dans le palais de Mari, il y a un bureau de l’huile qui gère les stocks. Conservée dans de grandes jarres, l’huile est distribuée de manière régulière aux cuisines qui préparent les repas du roi au quotidien, mais aussi aux femmes du palais, voire aux dieux.