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Les dernières avancées en intelligence artificielle (IA) permettent aux scientifiques des laboratoires CNRS en sciences du numérique de s'intéresser à son utilisation dans la gestion des espaces côtiers : ils racontent le projet FISH-PREDICT.
La biodiversité et les habitats des espèces se détériorent dans la plupart des écosystèmes mondiaux, mais nulle part aussi rapidement que sur les récifs marins côtiers. Pourtant ceux-ci sont d’une importance capitale pour le bien-être de près de 1,3 milliard de personnes dans le monde qui vivent à leur proximité et en dépendent pour de nombreux services. Ces récifs abritent plus de 10 000 espèces de poissons primordiales pour le fonctionnement des écosystèmes, la sécurité alimentaire et les revenus liés à la pêche. Ils sont cependant menacés par les activités humaines et le changement climatique. Leur conservation et leur gestion durable posent des défis majeurs auxquels les scientifiques, les nations, les organisations non gouvernementales et les gestionnaires de l’environnement sont confrontés aujourd'hui. Le projet se situe à la croisée des accords d'Aichi en matière de biodiversité[1], et des objectifs de développement durable[2].
Des indicateurs pour comprendre les écosystèmes
Étonnamment, il manque encore aujourd’hui un ensemble d'indicateurs écologiques pertinents et de modèles prédictifs pour aider à mieux comprendre la dynamique des systèmes socio-écologiques récifaux et ainsi mieux anticiper leur avenir dans un contexte de changement global (réchauffement climatique et surexploitation des ressources). Cette lacune est due au coût élevé du suivi de la biodiversité : cela nécessite un haut niveau d’expertise et des capteurs complexes. Les connaissances existantes en la matière sont centrées sur des zones géographiques restreintes et des périodes limitées. Or, nous avons besoin d'une nouvelle génération d'indicateurs permettant un suivi plus global et plus fréquent, ainsi que de nouveaux modèles permettant de mieux anticiper l'avenir de la biodiversité côtière et, en fin de compte, de mieux orienter les politiques de gestion.
Dans ce contexte, l’intelligence artificielle (IA) pourrait s’avérer un atout précieux. Les algorithmes d'IA ont en effet récemment révolutionné de nombreux domaines tels que la reconnaissance vocale, les véhicules autonomes, la découverte de médicaments ou encore le diagnostic médical. Les modèles d'apprentissage profond, en particulier, ont la capacité d’analyser très finement des données brutes non structurées telles que des images satellitaires, des vidéos sous-marines ou bien encore des données environnementales spatialisées (température de l’eau, profondeur des fonds marins, etc.). Leur mise en œuvre dans le contexte de l’écologie marine permet ainsi d'envisager une nouvelle génération d'indicateurs de biodiversité et de modèles prédictifs qui tirent parti de données massives, peu coûteuses, mais très difficilement exploitables avec des approches classiques.
Le projet FISH-PREDICT[3], en particulier, s’intéresse à l’analyse de données massives pour caractériser des écosystèmes côtiers de la mer Méditerranée et de l'océan Pacifique grâce à des modèles de distribution d’espèces (en anglais Species Distribution Models ou SDM). Les SDM couramment utilisés se basent principalement sur des informations environnementales ponctuelles associées à une observation d’espèces. Or, les niches écologiques d’espèces, c’est-à-dire leur habitat et leur environnement, ne se limitent pas à une donnée ponctuelle. Elles sont en réalité multidimensionnelles et font intervenir des facteurs évoluant de manière non linéaire et à de multiples échelles spatiales. Il faut donc prendre en compte l’écologie du paysage en s’intéressant à l’hétérogénéité spatiale et la structuration des variables environnementales. Les équipes de recherche impliquées dans le projet FISH-PREDICT mettront en œuvre pour cela des modèles de distribution d’espèces d’un nouveau type, qui se basent sur des modèles d’apprentissage profond tels que des réseaux neuronaux convolutifs ou des transformers[4]. Ils permettront d'analyser la variation spatiale des paramètres environnementaux et de mieux expliquer la distribution de nos espèces, mais aussi de capturer des interactions complexes comme l’influence des bateaux de plaisance sur la présence des poissons ou bien encore l’impact de l’aménagement de la côte sur la biodiversité marine. Un ensemble de quatorze indicateurs écologiques liés à la biodiversité des poissons de récifs et représentant les principales dimensions des priorités de conservation seront établis grâce à ce projet.
Légende : Exemple de détection automatique de spécimens de poissons dans des vidéos sous-marines.
© Valentine Fleuré
Préserver la biodiversité grâce à des solutions numériques intelligentes
En plus de ces avancées méthodologiques, le projet a vocation à remettre en question la vision classique et trop simpliste selon laquelle la dégradation des écosystèmes est le corolaire inéluctable du développement humain, en montrant que des solutions existent pour la durabilité à long terme des systèmes sociaux-écologiques. Ces travaux devraient contribuer à mieux planifier des stratégies de gestion qui soutiendront à la fois la biodiversité et le développement les pays émergents, tant au niveau de l’urbanisation des littoraux, des accès aux réserves marines, des plans de conservation des espèces que de l’économie des pêcheries.
Ce projet de recherche vise également à fournir des outils pour maintenir la biodiversité dans un contexte de changement climatique de plus en plus marqué. L’ajout des données issues de modèles climatiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) au projet FISH-PREDICT permettra de mieux anticiper les changements d’aire de répartition des espèces de poissons en danger et d'anticiper des actions de protection et de conservation. L'utilisation et le développement de l'intelligence artificielle en écologie s'avèrent indispensables pour analyser plus efficacement la quantité croissante de données disponibles et qu’il devient humainement impossible de traiter. Ceci permettra de comprendre plus finement et mieux anticiper les changements globaux qui nous attendent à court, moyen et long terme.
Ces ambitions sociétales, écologiques et scientifiques correspondent aux principaux objectifs du défi IA-Biodiv et de la stratégie nationale française en IA. Elles s'inscrivent également dans le cadre de l'Union internationale pour la conservation de la nature et d'autres organisations qui se sont engagées à faire en sorte que 30 % des zones côtières et marines du monde soient protégées de la pêche et d'autres formes d'exploitation d'ici 2030.
(*) Alexis JOLY, directeur de recherche Inria au Laboratoire d’informatique de robotique et de microélectronique de Montpellier (LIRMM – CNRS/Université de Montpellier)
(**) David MOUILLOT, professeur à l’Université de Montpellier et membre du laboratoire Biodiversité marine, exploitation et conservation (MARBEC – CNRS/Ifremer/IRD/Université de Montpellier).