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Depuis 2013, les réformes de transparence au Parlement visent à renforcer la confiance des citoyens en leurs élus. Mais ces mesures suffisent-elles à améliorer la perception des parlementaires et de leurs pratiques ? Une équipe pluridisciplinaire de recherche s’est attaquée à la question.
Hémicycle, photo Sénat © Sénat
Rappelez-vous. Nous sommes en juin 2017, deux mois après l’élection d’Emmanuel Macron. Une vague de nouveaux députés du parti présidentiel, souvent jeunes et sans expérience, déferle à l'Assemblée nationale. Cette transformation massive de l’hémicycle s'inscrit dans une série de réformes destinées à transformer le Parlement. On peut citer, par exemple, la fin du cumul des mandats et l’interdiction des élus d’employer des membres de leur famille. À cela s’ajoutent des obligations nouvelles de transparence sur les intérêts et les activités des élus imposées par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Comment les parlementaires français s’adaptent-ils à ces bouleversements ? Ces nouvelles exigences répondent-elles aux attentes d’une société civile toujours plus critique ?
C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet POLIT-ECON1, dirigé par Benjamin Monnery, chercheur au laboratoire EconomiX2. Il réunit des experts en économie, en droit et en science politique qui ont décortiqué de multiples données ouvertes sur nos parlementaires. Jusqu’à présent peu exploitées, ces informations publiques peuvent nous renseigner sur les motivations des élus, les stratégies qu’ils déploient et la perception qu’en ont les citoyens.
Décrypter les motivations parlementaires
Que se cache-t-il derrière les actions de nos élus ? Quelles sont leurs intentions ? À qui bénéficient leurs décisions ? L’un des enjeux du projet était de mieux comprendre les comportements des élus. Pour cela, les chercheurs ont passé à la loupe leurs activités. Par exemple : les lois qu’ils proposent, leurs interventions à l'Assemblée ou dans les médias, etc. Avec ces indicateurs, les scientifiques mettent en lumière des dynamiques complexes mêlant motivations personnelles, pression publique et contraintes électorales.
Par exemple, lorsqu’un classement d’assiduité des députés est publié par la presse, certains élus modifient leur comportement. « Nous avons observé une augmentation de leur participation en séance après la diffusion de ces classements. Cela montre combien l’image publique et la réputation sont des leviers importants dans leurs actions », illustre Benjamin Monnery.
Les données sur des pratiques désormais révolues, comme l’attribution des fonds de la réserve parlementaire, mettent en avant d’autres stratégies plus électoralistes. Jusqu’en 2017, chaque parlementaire pouvait distribuer annuellement 150 000 € de fonds publics. « Aucun contrôle sur leur usage n’avait été mené. Nous avons montré qu’ils servaient à la fois lors des campagnes municipales et sénatoriales de sénateurs ayant cette double casquette », précise l’économiste.
Un outil clé pour la transparence et l’éthique parlementaire
Ces comportements sont également analysés à travers les données collectées par des institutions comme la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Créée en réponse à l’affaire Cahuzac – ex-ministre condamné pour fraude fiscale – elle incarne un tournant dans le contrôle des élus. En effet, depuis 2014, elle impose à chaque parlementaire de déposer une déclaration d’intérêts et d’activités, ainsi qu’une déclaration de situation patrimoniale. Celles-ci doivent être réalisées en début de mandat et actualisées en cas de changement substantiel. « En 2022, seulement 2 % des députés élus n’ont pas respecté les délais imposés. C’est une évolution spectaculaire, quand on sait qu’en 2014, près d’un tiers des élus étaient en retard dans leurs déclarations », souligne Benjamin Monnery.
Initialement peu mises à jour, ces déclarations sont également de plus en plus revues par les parlementaires, notamment lorsque des scandales éclatent. Les chercheurs ont ainsi noté une centaine de dépôts suite à la publication en janvier 2019 d’un rapport dénonçant plusieurs omissions des députés dans leurs déclarations d’intérêts. Ce document a été réalisé par le Projet Arcadie, une initiative citoyenne qui recense en ligne toutes les informations publiques sur les députés, les sénateurs et les députés européens.
Les chercheurs du projet ont également observé un nouvel élan déclaratif suite à la démission de Jean‑Paul Delevoye à la fin de la même année. La Haute Autorité avait alors révélé que le Haut-commissaire à la réforme des retraites avait omis plusieurs mandats et sous-évalué une partie de ses rémunérations. Ces résultats illustrent comment la HATVP s’est progressivement imposée comme une institution centrale dans la régulation du monde politique français. Mais ses actions sont-elles pour autant connues des citoyens ?
La colonnade © Assemblée nationale
Un défi de visibilité et de communication
En 2017, près de 90 % des électeurs pensaient que les élus ignoraient leurs opinions. Nombre d’entre eux pensaient également que les responsables politiques privilégiaient leurs intérêts personnels au détriment de l’intérêt général. C’est notamment en réponse à ces perceptions qu’a été créée la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Pourtant, en 2021, soit plus de 7 ans après sa création, 60 % des Français ignoraient l’existence de la HATVP. « Ce déficit de notoriété, mis en avant lors d’une de nos enquêtes, est un obstacle majeur à son rôle de lien entre les citoyens et leurs élus », explique Benjamin Monnery.
L’étude a toutefois montré qu’en informant les citoyens des résultats concrets obtenus par la HATVP, comme les condamnations pour omissions, alors leur perception de l’institution s’améliore. « Ces informations contribuent à rétablir la confiance politique, surtout chez les citoyens les plus sceptiques. Nous avons donc recommandé à la Haute autorité de mieux communiquer sur son bilan afin de mieux réconcilier les citoyens avec leurs élus », ajoute le chercheur.
Le cas particulier du Grand débat national
Par ailleurs, POLIT-ECON a été lancé en pleine crise des gilets jaunes. Pour répondre à leurs requêtes, le gouvernement français avait alors lancé le Grand débat national. L'objectif était d'offrir aux citoyens une plateforme pour exprimer leurs préoccupations, leurs propositions et leurs demandes directement au gouvernement. Cette démarche de démocratie participative a enregistré un grand succès quantitatif, attirant jusqu'à 1,5 million de participants en ligne et dans les réunions publiques.
Mais qui étaient-ils ? « Nous nous sommes rendu compte en analysant les données de la plateforme en ligne qu’il s’agissait principalement de citoyens favorables à Emmanuel Macron et opposés au mouvement des gilets jaunes », remarque Benjamin Monnery. L’échantillon de citoyens mobilisés n’était donc pas représentatif de la population française. « Cela montre les limites de la démocratie participative si certains groupes sont surreprésentés. C’est important, car cela vient fausser notre compréhension des enjeux et des réalités sociales », ajoute le chercheur.
En définitive, le projet POLIT-ECON a mis en lumière comment des réformes de transparence peuvent améliorer le contrôle des élus. Si ces réformes contribuent à renforcer la confiance, les élans politiques en faveur de la transparence semblent néanmoins ralentir ces dernières années.
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Comportements Politiques et Contrôle Citoyen – POLIT-ECON ».