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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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À chaque jour son activité
26.02.2025, par Cécile Michel
Mis à jour le 26.02.2025

Les calendriers des habitants de l’ancienne Mésopotamie donnent la liste des jours (hémérologies) ou encore les mois (ménologies) favorables ou défavorables pour entreprendre certaines activités, à commencer par les actes rituels.  

Ces calendriers des jours fastes et néfastes existent sans doute dès le début du IIe millénaire avant J.-C., toutefois le plus ancien manuscrit date de la première moitié du 14e siècle et a été découvert à Dûr-Kurigalzu, capitale du roi cassite Kurigalzu Ier, qui se situe à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Bagdad. C’est cependant au Ier millénaire, sous Sargon II et ses successeurs, que ces textes jouent un rôle de premier ordre dans la vie quotidienne comme en témoignent les nombreuses allusions qui y sont faites dans les lettres des astrologues et devins de la cour royale. L’un d’eux écrit au roi : « C’est écrit ainsi dans les hémérologies du mois Nisanu (mars-avril) : ‘Il ne doit pas prêter serment le 15e jour, car le dieu le saisirait’, par conséquent ils peuvent rédiger le traiter le 15e jour, mais le conclure seulement le 16e jour. »

Les jours des mois, ou encore les mois eux-mêmes, étaient donc considérés comme véhiculant des influences positives ou négatives affectant les événements ou les activités entreprises. Les hémérologies (calendrier des jours) et ménologies (calendrier des mois) devaient être consultées avant de connaître les meilleures périodes pour réaliser une action. Les jours 7, 14, 21 et 28 de chaque mois semblent systématiquement néfastes, or ces jours correspondent aux phases de la lune ; celle-ci avait donc une influence non négligeable sur les activités humaines.

Hémérologies, tablette KAR 178, copie par Erich Ebeling, Vorderasiatisches Museum, BerlinHémérologies, tablette KAR 178, copiée par Erich Ebeling et conservée au Vorderasiatisches Museum, Berlin, en Allemagne.

Dans les hémérologies (biblānu), les activités autorisées ou non portent d’abord sur la vie religieuse, comme faire des offrandes à diverses divinités, se rendre au temple, s’oindre et porter des vêtements purs, ou encore réciter des prières. Certains jours sont indiqués comme entièrement ou à moitié favorables. Ainsi, le 4e jour du premier mois de l’année (Nisanu) a une demi-journée favorable, tandis que le 10e jour du troisième mois (Simanu) est entièrement favorable. En d’autres occasion, l’endroit où l’action peut avoir lieu est précisé : le 13e jour du mois Simanu « dans la rue, c’est favorable ».

Certains jours comportent des restrictions alimentaires : il convient de s’abstenir de consommer certaines nourritures avec le risque parfois évoqué de conséquences néfastes. Au mois de Nisanu (mars-avril), les jours 2e et 3e jours, il ne faut pas manger de poisson et de poireau. Au mois de Teshritu (septembre-octobre), le 2e jour : « l’homme ne mangera pas d’oignon : dans sa famille un vieillard mourrait ; il ne mangera ni fenouil, ni cresson : il y aurait de l’hostilité contre lui ; il ne mangera pas de viande cuite : il se couvrirait de lèpre », le 7e jour, « il ne mangera pas de pigeon : il tomberait malade ; il ne mangera pas de poisson ni du poireau : un scorpion le piquerait », le 28e jour « il ne mangera pas de viande de porc ». Le mois suivant, le 10e jour « il ne mangera pas de dattes : ses dents branleraient ».

Les autres thèmes abordés concernent la santé et le mariage. Ainsi, au mois Nisanu (mars-avril), le 3e jour « il prendra femme : cet homme sera en bonne santé et son cœur ira bien. Cet homme vivra vieux ». De même, le jour 8 du mois suivant, Ayyaru, « il pourra prendre femme et son cœur ira bien ». Il faut bien faire attention à ne pas se tromper de jour, car la veille, le jour 7, c’est exactement l’inverse : « il ne prendra pas femme, la détresse tomberait sur lui ». Le mois de Nisan connaît aussi de nombreux jours défavorables, pour les 7, 9, 14, 19, 21, 28, 29, 30, on trouve la mention « jour dangereux, gémissements pour le malade, le médecin ne portera pas la main sur le malade ».

D’autres activités humaines sont également évoquées, comme les déplacements. Le 23e jour du troisième mois de l’année (Simanu) : « il ne montera pas en barque, la barque coulerait, il éprouverait un dommage », et le 4e jour du mois suivant (Tammuzu) : « il ne sortira pas sur la route sinon perte, un lion bondirait devant cet homme ». Figurent aussi des actions en justice, le 5e jour du premier mois de l’année : « il n’intentera pas de procès : il éprouverait un dommage », ou encore la richesse, le 4e jour du troisième mois : « il aura de l’orge et de l’argent ».
 Ménologie, iqqur īpuš, @The Trustees of the British Museum (CC-BY-NC-SA-4.0) Ménologies (iqqur īpuš), British Museum @ The Trustees of the British Museum (CC-BY-NC-SA-4.0)

Les ménologies, plus tardives, sont connues par la série intitulée « s’il détruit, s’il construit » (iqqur īpuš) qui existe sous deux formes différentes selon qu’elle est organisée en fonction des activités entreprises, ou encore en fonction des mois de l’année. Les activités peuvent être domestiques, cultuelles, ou encore porter sur des travaux de construction, des travaux agricoles, etc.

Ces calendriers des jours et mois fastes et néfastes intègrent déjà les présages liés aux naissances et représentent alors les précurseurs des horoscopes qui apparaissent au 5e siècle avant J.-C. et lient les destins des individus à l’observation des astres.

Aujourd’hui, dans certaines cultures, le vendredi treize est considéré comme un jour néfaste, tandis que pour d’autres, c’est un jour de chance. Le vendredi treize puiserait ses racines dans le christianisme avec la crucifixion de Jésus un vendredi, et la veille, le repas partagé avec ses apôtres comptant treize convives, dont le treizième serait le traître Judas.