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La semaine dernière, un communiqué du journal Science intitulé sobrement « Neanderthal brain organoids come to life », indiquait que des chercheurs ont réussi à faire grandir des « mini-cerveaux » en utilisant l’ADN de l’homme de Néandertal, une espèce éteinte du genre Homo qui a vécu en Europe, au Moyen-Orient et en Asie centrale, jusqu’à environ 35000 ans avant le présent. Mais que se cache-t-il réellement derrière cette annonce ?
Dans l’article de Science, on apprend donc que des chercheurs veulent mieux comprendre le cerveau de Néandertal et comment celui-ci diffère de notre cerveau. Mais alors comment étudier cela ? En utilisant les recherches sur l’ADN de Néandertal (ADN ancien), la technique de CRISPR et celle des organoïdes cérébraux, les chercheurs auraient réussi à faire grandir des « mini-cerveaux » en utilisant l’ADN de Néandertal afin de visualiser l’influence de cet ADN sur la croissance du cerveau. Alysson Muotri, généticien à l’université de San Diego (Californie, USA), allant même jusqu’à dire : « Nous essayons de recréer l’esprit de Néandertal ». Néanmoins, aucune recherche n’a été publiée pour le moment et les résultats ont uniquement été présentés lors d’une conférence.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un organoïde ?
C’est une structure multicellulaire en trois dimensions qui reproduit in vitro la micro-anatomie d’un organe. Au cours des 10 dernières années, l’utilisation de cultures cellulaires tridimensionnelles à la place des traditionnelles techniques de culture cellulaire en couche a permis de faire un bond en avant dans la génération d’organoïdes. Ils sont utilisés comme modèle d’un organe dans de plus en plus d’études et représentent une alternative importante pour la réduction du nombre d’animaux de laboratoire. Ils sont produits à partir d’une ou des cellules précurseurs d’un tissu donné, de cellules souches embryonnaires ou de cellules souches pluripotentes induites. Dans des conditions de culture adéquate, ces cellules prolifèrent et peuvent s’auto-organiser en trois dimensions. Dépourvues de vaisseaux sanguins, les cellules de l’organoïde sont alimentées en oxygène et nutriments, éléments indispensables à leur survie, par le milieu de culture. Ainsi, lorsque la taille de la masse cellulaire devient trop importante, l’oxygène et les nutriments ne peuvent plus alimenter correctement les cellules qui se situent au centre de l’organoïde, ce qui limite in fine leur taille. La culture de ces organoïdes est particulièrement complexe et nécessite plusieurs mois de culture pour les obtenir.
Il existe différents types d’organoïdes, mais celui qui nous intéresse ici est l’organoïde cérébral. C’est un ensemble de cellules nerveuses, d’environ 100 000 neurones, ce qui est beaucoup pour une culture cellulaire mais aussi bien peu par rapport aux quelque 100 milliards de neurones dans le cerveau humain. Ce « cerveau miniature » mesure environ 4 mm de diamètre (la taille de la tête d’un stylo à bille), bien loin des 1 200 cm3 du cerveau humain. Bien que ces organoïdes ne possèdent pas l’anatomie réelle d’un cerveau ni ces connexions, ils permettent d’étudier le développement précoce du cerveau ainsi que l’impact de certaines maladies sur celui-ci (autisme, schizophrénie, sclérose en plaques ou encore certains virus comme Zika qui induit une microcéphalie), mais également pour tester certains traitements pharmacologiques. Néanmoins, ces organoïdes ne sont pas des mini-copies d’un cerveau entier puisqu’ils ne possèdent pas de cellules vasculaires, ni de cellules immunitaires, ou de barrière hématoencéphalique qui sont très importantes pour les fonctions cérébrales. Par ailleurs, la division des cellules au sein des organoïdes est dépendante des facteurs fournis dans le milieu de culture qui peut alors influencer le processus de différenciation. Enfin, chaque organoïde est unique ce qui limite considérablement leur utilisation à grande échelle pour étudier le développement du cerveau. Il faut donc bien prendre cet organoïde pour ce qu’il est, c’est-à-dire un modèle in vitro pour l’étude du cerveau, notamment humain.
Et Néandertal dans tout ça ?
Mais revenons à nos moutons ou plutôt à Néandertal ! En 2006, le projet génome de Néandertal s’est attelé à séquencer son ADN et a permis dès 2009 de connaître la séquence complète de son génome. La connaissance du génome de Néandertal permet alors de le comparer avec celui des humains modernes. En utilisant ces connaissances, les chercheurs se sont focalisés sur un gène particulier, le gène NOVA1, qui joue un rôle important dans les premiers stades de développement du cerveau et qui est également impliqué dans l’autisme et la schizophrénie. La différence entre le gène NOVA1 de l’humain moderne et celui de Néandertal n’est que d’une seule paire de base. En utilisant la technique CRISPR, qui permet de modifier très facilement une séquence d’ADN, les chercheurs ont modifié le gène actuel dans des cellules souches induites pour qu’il corresponde avec la séquence observée chez Néandertal. Ils ont ensuite observé le développement des organoïdes cérébraux pendant plusieurs mois. Même si les résultats ne sont pas encore publiés, les chercheurs rapportent qu’ils ont observé que la migration des neurones au sein de l’organoïde était plus rapide avec la version mutée de NOVA1, ce qui modifie la structure de l’organoïde, sans savoir pour le moment ce que cela implique. Ces recherches sont importantes pour mieux comprendre l’influence de certaines mutations génétiques lors du développement précoce du cerveau et de certaines maladies.
Mais peut-on vraiment parler de mini-cerveaux Néandertalien ?
En fait, pas vraiment… Les études sur la comparaison du génome de l’humain moderne avec celui de l’homme de Néandertal montrent que chaque individu n’a pas plus de 1 à 3% de gènes de Néandertal dans son ADN et qu'au total, 20% du génome de l’homme de Néandertal subsisterait dans le génome de la population humaine moderne. Les différences entre les deux génomes sont donc très importantes ! D’ailleurs, Svante Pääbo, généticien à l’institut Max-Planck, rappelle dans le journal The Guardian qu’il faudrait réaliser 30 000 modifications génétiques du génome de l’humain actuel pour obtenir le génome de Néandertal, ce qui est impossible avec les techniques actuellement disponibles. Par ailleurs, le séquençage du génome d’une espèce ne suffit pas à la définir ni ne permet de préjuger de l’expression des gènes dans un tissu et un environnement donné, puisque les modifications épigénétiques ainsi que la relation d’un organisme avec son environnement contribuent fortement à la mise en place de toutes sortes de mécanismes adaptatifs. Donc la modification d’un seul gène pour le rendre « néandertalien » permet uniquement d’observer l’influence de cette mutation sur le développement du cerveau des humains modernes dans des organoïdes cérébraux. Mais créer une copie d’un gène unique ne permet pas de prendre en compte l’environnement génétique et épigénétique dans lequel il se trouvait chez l’homme de Néandertal, donc parler de mini-cerveaux de Néandertal est clairement exagéré. Quant à recréer l’esprit de Néandertal, nous en sommes bien loin !
Quelques définitions :
Cellule embryonnaire : cellule souche pluripotente issue d’un embryon d’âge de 5-6 jours
Cellule souche pluripotente : cellule indifférenciée capable de générer tous les types cellulaires d’un organisme
Cellule souche induites : cellules souches pluripotentes générées en laboratoire à partir d’une cellule somatique
Cellule somatique : cellule constitutive d’un individu (cellule de peau, d’intestin, cérébrale…)
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Alexandra Gros est docteure en neurosciences (Institut des neurosciences Paris-Saclay). Au cours de sa thèse, elle s’est intéressée au rôle de la neurogenèse adulte hippocampique dans les processus d’apprentissage et de mémoire, notamment épisodique. Alexandra est actuellement chercheuse post-doctorante à l’université d’Édimbourg où elle étudie comment la mise en mémoire et la persistance de souvenirs d’événements de la vie courante peuvent être affectées par un apprentissage ultérieur. Pour cela, elle cherche à élucider les mécanismes moléculaires et cellulaires sous-tendant ces processus, notamment via des mécanismes de « tagging » des neurones et synapses en utilisant l’expression des gènes immédiats précoces.
Commentaires
Cerveau ancien et moderne
Therese le 24 Juillet 2018 à 10h27Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS