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La mémoire est une fonction fondamentale pour la construction de l’histoire personnelle d’un individu. Elle nous permet d’acquérir mais aussi d’utiliser de façon efficace les informations apprises pour adapter notre comportement face aux situations de la vie courante. Pour cela, les informations apprises ont besoin d’être enregistrées puis stockées au sein des structures de notre cerveau pour ensuite être réutilisées. De nombreuses études montrent que, pour bien se souvenir, une bonne nuit de sommeil est bénéfique. En effet, une privation de sommeil peut entrainer des troubles attentionnels, de mémoire et d’apprentissage. Le sommeil est donc essentiel à l’apprentissage et à la consolidation des souvenirs. Bien que la forme prise par les souvenirs dans le cerveau reste méconnue, nous savons qu’ils impliquent des connexions entre les neurones d’un même réseau. Pour autant, la façon dont le sommeil favorise leur consolidation reste encore floue.
Afin de ne pas être submergé par la masse d’informations apprise chaque jour, notre cerveau doit faire le tri en permanence entre celles à conserver et celles à négliger. Le sommeil apparait comme un moteur essentiel dans ce choix ! Deux études récentes publiées dans la revue Science mettent en évidence ce rôle du sommeil dans le tri des souvenirs. Ces articles se sont focalisés sur l’analyse de l’évolution des connexions synaptiques lors des phases d’éveil et de sommeil. Les synapses sont des zones de contact fonctionnelles entre les neurones permettant une communication efficace entre eux. Lors d’un apprentissage s’opèrent des modifications des connexions synaptiques entre les neurones, en termes de nombre et de taille des synapses et de force de la transmission synaptique via notamment la mise en place de nouveaux récepteurs au glutamate permettant une transmission plus rapide et efficace des signaux neuronaux. Ces modifications conduisent ainsi au renforcement des synapses, notamment lors des phases de sommeil qui suivent l’apprentissage. Mais est-ce le cas pour toutes les synapses ? L’hypothèse de l’homéostasie synaptique propose que le sommeil permette à notre cerveau de réduire une partie des connexions synaptiques mises en place durant l’éveil (en termes de nombre, de taille et de force) afin de rendre nos souvenirs plus clairs. Bien qu’elle ne soit pas nouvelle, cette hypothèse n’avait jamais été mise en évidence.
Grâce à diverses approches méthodologiques (biochimie, protéomique, microscopie électronique et imagerie 2-photons in vivo), les deux équipes de recherche ont analysé les changements qui s’opèrent au niveau des synapses à travers les cycles éveil/sommeil. En utilisant la microscopie électronique en 3D, l’équipe du Prof. Chiara Cirelli de l’Université du Wisconsin a analysé la taille et la forme de quelques 7000 synapses (Figure 1A) chez des souris dans différentes conditions : sommeil, éveil ou souris gardées éveillées. Les chercheurs montrent que les souris qui dormaient possèdent, au niveau des cortex moteur et sensoriel, des synapses 18% plus petites que celles des souris éveillées, indiquant un affaiblissement des synapses durant les phases de sommeil.
Figure 1 : Exemples d’épines dendritiques A. Analyse des synapses par microscopie électronique, permettant de visualiser les différents éléments de la synapse avec une grande précision à l’échelle moléculaire. Sur cette photo, on visualise l’axone (vert), l’épine dendritique (jaune), ainsi que la zone de contact entre ces deux éléments (rouge). B. Analyse des épines dendritiques par fluorescence grâce à la microscopie 2-photons. La portion de dendrite analysée (violet) présente deux épines dendritiques (renflements) dans lesquelles sont exprimées des récepteurs glutamatergiques (vert). Cette photo est prise durant la phase d’éveil. C. Même portion de dendrite durant la phase de sommeil. L’épine dendritique apparait plus petite et l’expression des récepteurs glutamatergiques est moins intense. Modifiée avec la permission de American Association for the Advancement of Science: Science (Homer1a drives homeostatic scaling-down of excitatory synapses during sleep. (2017) Diering GH. et al. – Ultrastructure evidence for synaptic scaling across the wake/sleep cycle. (2017) de Vivo, L. et al.), copyright © 2017
L’équipe du Prof. Richard L. Huganir de l’Université John Hopkins a utilisé une autre méthode. Elle a marqué certaines protéines présentes au niveau des synapses avec un marqueur fluorescent (voir le billet : « Des outils innovants pour étudier les circuits neuronaux » par Antoine Besnard), pour ensuite regarder, grâce à un microscope 2-photons, directement dans le cerveau, l’évolution des synapses et ce en direct durant les phases de sommeil et d’éveil (Figure 1B et C). La microscopie 2-photons est une technique d’imagerie par fluorescence qui permet d’imager des tissus vivants jusqu’à environ un millimètre de profondeur avec une forte résolution. De la même façon que la première étude, les chercheurs montre une diminution de la taille des synapses au cours des phases de sommeil (figure 1C). Ils montrent également que ce sont les synapses présentant le plus de récepteurs au glutamate (neurotransmetteur excitateur) lors de l’éveil, qui sont affectées lors du sommeil, indiquant que certaines synapses semblent être ciblées pour être affaiblies. Les chercheurs se sont donc demandés ensuite comment sont ciblées ces synapses.
Pour cela, ils se sont focalisés sur le rôle d’un gène particulier, Homer1a, gène impliqué notamment dans la régulation du sommeil et de l’éveil, dans l’apprentissage et la mémoire et dans l’élimination des récepteurs glutamatergiques au niveau des synapses. Tout d’abord, les chercheurs observent que l’expression de ce gène augmente fortement de façon spécifique dans les synapses durant le sommeil. De plus, chez les souris qui n’expriment plus du tout ce gène, les synapses ne se modifient plus pendant le sommeil. Pour aller plus loin, les chercheurs ont traité des souris avec une molécule empêchant spécifiquement le passage d’Homer1a dans les épines dendritiques : les souris traitées durant le sommeil suivant un apprentissage, montrent une mémoire de peur exacerbée contrairement aux souris traitées durant l’éveil, indiquant que le blocage du passage du gène Homer1a dans les synapses pendant le sommeil perturbe la mise en mémoire correcte du souvenir.
Pour finir, les auteurs de cette deuxième étude se sont demandés par quels mécanismes Homer1a cible spécifiquement les synapses qui seront ensuite affaiblies pendant le sommeil. Alors que l’expression du gène Homer1a est faible lors des phases de sommeil mais forte lors des phases d’éveil, la présence d’Homer1a au niveau des synapses ne se retrouvent que durant le sommeil, semblant indiquer une régulation en fonction du cycle circadien. Les auteurs se sont intéressés au rôle de la noradrélanine (NA), neuromodulateur du système nerveux dont l’expression varie également en fonction des cycles éveil/sommeil et qui pourrait limiter le passage d’Homer1a dans les synapses pendant les phases d’éveil. Pour cela, ils ont modifié chez les souris l’expression de la NA soit pendant les phases de sommeil, soit pendant les phases d’éveil. L’augmentation de l’expression de la NA pendant les phases de sommeil, alors qu’elle est normalement faible, réduit le niveau d’expression d’Homer1a dans les synapses. Au contraire, la diminution de l’expression de la NA pendant les phases d’éveil, alors qu’elle est normalement haute, augmente le niveau d’expression d’Homer1a dans les synapses. L’ensemble de ces résultats suggère donc que Homer1a pourrait jouer un rôle d’intégrateur des phases d’éveil et de sommeil afin de cibler les synapses à remodeler.
L’équipe du Prof. R.L. Huganir propose le modèle suivant de l’action du gène Homer1a sur les modifications synaptiques pendant le sommeil :
Durant l’éveil, l’activité synaptique, suite à un apprentissage par exemple, conduit à l’expression du gène Homer1a, mais qui est exclue des épines dendritiques à cause de l’expression forte de la NA. Au début de la phase de sommeil, le niveau de NA diminue alors que celui de l’adénosine augmente, favorisant alors le passage d’H1a dans les épines dendritiques où il se fixe aux récepteurs glutamatergiques afin de diminuer leur nombre et ainsi affaiblir la force de transmission des signaux et donc in fine la force de la synapse. Modifiée avec la permission de American Association for the Advancement of Science: Science (Homer1a drives homeostatic scaling-down of excitatory synapses during sleep. (2017) Diering GH. et al.), copyright © 2017
Ces deux études apportent de nouveaux éléments pour mieux comprendre comment le sommeil participe à la consolidation des souvenirs. Alors que l’activité des synapses serait trop intense pendant les phases d’éveil car en permanence sollicitées, le sommeil permettrait au contraire de réaliser un tri efficace dans les informations journalières à retenir et celles à éliminer pour ne pas surcharger le cerveau d’informations inutiles et ainsi faciliter la rétention des informations importantes pour nous. En revanche, les auteurs n’ont pas exploré les particularités entre les différentes phases du sommeil – léger, profond et paradoxal – qui ne jouent pas le même rôle sur la consolidation de la mémoire. Par exemple, pendant le sommeil profond, les neurones impliqués dans un même souvenir s’activent de façon synchrone créant des ondes lentes qui représentent la somme de ces activités synchrones et qui permettent de renforcer la trace de ce souvenir et sa consolidation. Ces nouvelles études permettent néanmoins d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche pour mieux appréhender les troubles de la mémoire liées aux privations de sommeil et potentiellement de mettre en place et de tester de nouvelles thérapies.
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Alexandra Gros est docteure en neurosciences (Institut des neurosciences Paris-Saclay). Au cours de sa thèse, elle s’est intéressée au rôle de la neurogenèse adulte hippocampique dans les processus d’apprentissage et de mémoire, notamment épisodique. Alexandra est actuellement chercheuse post-doctorante à l’université d’Édimbourg où elle étudie comment la mise en mémoire et la persistance de souvenirs d’événements de la vie courante peuvent être affectées par un apprentissage ultérieur. Pour cela, elle cherche à élucider les mécanismes moléculaires et cellulaires sous-tendant ces processus, notamment via des mécanismes de « tagging » des neurones et synapses en utilisant l’expression des gènes immédiats précoces.
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