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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Des statues antiques perdues dans les eaux du Tigre
30.04.2018, par Cécile Michel
Mis à jour le 30.04.2018

Depuis l’Antiquité, Tigre et Euphrate ont servi de voie de navigation, en particulier pour le transport des biens pondéreux.

Toutefois, le Tigre est alors moins fréquenté car, non seulement son régime est très irrégulier, mais en outre il parcourt des régions morcelées politiquement et souvent en guerre, ce qui rend la navigation sur ce fleuve dangereuse. Il prend sa source dans le Taurus en Turquie, puis traverse la Syrie et l’Irak, en passant par Mossoul et Bagdad. Au sud, dans un paysage de marais, il rejoint l’Euphrate dans le Chatt-el-Arab qui débouche dans le golfe Arabo-persique. Au XIXe et au début du XXe siècle de notre ère, la partie basse du fleuve, vers la ville Bassorah, demeure une région troublée, parcourue par des tribus arabes qui se rebellent souvent. C’est dans cette zone qu’à plusieurs reprises des bateaux chargés de reliefs et statues antiques se sont abîmés dans les eaux du Tigre, provoquant la perte irrémédiable de vestiges assyriens et babyloniens.

Un premier naufrage d’antiquités eut lieu au milieu du XIXe siècle. Il s’agissait de rapporter en France diverses antiquités découvertes sur des sites mésopotamiens.  Le consul Victor Place avait repris les fouilles du palais construit vers 710 av. J.-C. par le roi assyrien Sargon II à Dûr-Sharrukîn (Khorsabad) et y avait mis au jour des statues monumentales de taureaux androcéphales ailés, des reliefs de génies décorant le palais et divers objets. Dans le centre de l’Irak, l’expédition de Fulgence Fresnel et Jules Oppert avait entrepris des explorations à Babylone. Les antiquités devaient être acheminées jusqu’à Bassorah, puis chargées à bord d’un navire français parti de Nantes en janvier 1855 ; malheureusement les embarcations n'atteignirent jamais leur destination. Victor Place, dans ses publications, resta très discret sur cet événement.

Maurice Pillet reconstitua les événements et présenta le résultat de son enquête devant l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres en 1916. Une quarantaine de caisses de la mission Fresnel, et des bas-reliefs provenant des fouilles anglaises de Ninive et Kalhu, cédés par les anglais à la France, étaient chargés sur un bateau loué à Bagdad. Les caisses d’antiquités de Dûr-Sharrukîn, ainsi que deux taureaux androcéphales ailés de 32 tonnes chacun, trouvaient place sur quatre keleks (radeaux de bois). Le transport comprenant 235 caisses en plus des sculptures monumentales fut confié à un dénommé Clément. Ce dernier joua de malchance. Le propriétaire du bateau lui avait substitué au départ une autre embarcation en mauvais état et l’avait surchargée de marchandises lui appartenant.

La digue de Om-el-Heunch qui avait cédé quelques années plus tôt, entraînant déjà la disparition d’un navire britannique chargé d'antiquités en 1850, n’avait toujours pas été réparée.  Les tribus arabes s'étaient rebellées et la cargaison fut pillée à plusieurs reprises ; le 21 mai 1855, au confluent du Tigre et de l’Euphrate, le bateau coula « à trois milles au nord de Kournah ». Trois des keleks furent également attaqués, les caisses débarquées et le bois des radeaux emporté. Le dernier kelek, portant un taureau androcéphale ailé sombra en eaux profondes. En définitive, seules 28 caisses furent sauvées, ainsi qu’un grand taureau ailé récupéré dans la vase six mois plus tard et un génie pesant 14 tonnes. Toutes les découvertes de la mission Fresnel ainsi que les bas-reliefs de Ninive et Kalhu furent perdus.

Un deuxième naufrage d’antiquités eut lieu à peu près dans la même zone, une soixantaine d’années plus tard, pendant la première guerre mondiale. Selon le directeur du nouveau musée de Bassorah, Qahtan al-Obaid, deux navires britanniques provenant du nord furent touchés par des tirs de l’armée ottomane et sombrèrent dans le Tigre. L’un était un navire de guerre, l’autre transportait du courrier. Une équipe d’archéologues japonais a mené des recherches dans les années 1970, pensant que les antiquités avaient été chargées sur le bateau postal. Néanmoins, Qahtan al-Obaid, qui espère retrouver l’épave avec les antiquités, pense que ces dernières, du fait même de leur poids, avaient été chargées sur le navire de guerre.

Selon les archives britanniques, le navire transportait un millier d’objets du patrimoine archéologique irakien, y compris des statues monumentales de taureaux ailés. Un canon, qui pourrait avoir été l’un des huit canons du navire militaire britannique, vient d’être découvert par des ouvriers travaillant à la construction d’un pont suspendu. Pour Qahtan al-Obaid, cette découverte suggèrerait que le bateau militaire avait tenté de continuer sa route vers un secteur tenu par les Britanniques. Il s’apprête donc à rechercher l’épave de ce côté-là en sondant les eaux profondes du fleuve à l’aide de radars.

Si l’un de ces navires qui a échoué était découvert, rien ne dit qu’il resterait quelque chose des statues et reliefs antiques, sans doute érodés par les eaux tumultueuses du Tigre.
 

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du journal CNRS