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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Les djihadistes de Daesh ont découvert un palais assyrien
30.03.2017, par Cécile Michel
Mis à jour le 30.03.2017

La reprise progressive de la région de Mossoul, capturée par les forces armées de Daesh en juillet 2014, n’est pas sans apporter son lot de surprises.

À peine maîtres des lieux, les djihadistes avaient enchaîné les destructions, s’attaquant aux vestiges archéologiques des tells voisins Nebi Yunus et Kuyunjik, sur la rive orientale du Tigre, en face de Mossoul. Sur le premier, selon la tradition, se trouvait le tombeau de Jonas, un prophète reconnu par les trois religions juive, chrétienne et musulmane. Les djihadistes ont détruit la mosquée bâtie sur ce lieu saint, elle-même construite sur les vestiges d’une église nestorienne datant du VIe siècle.

Sur le second se situaient les ruines d'une partie de la ville de Ninive, devenue capitale assyrienne à la fin du VIIIe siècle avant J.-C., et qui incluaient les somptueux palais de Sennachérib (704-681) au sud-ouest et de son petit-fils Assurbanipal (668-627) au nord, vestiges mis au jour par les Britanniques dès milieu du XIXe siècle. Une vidéo circulant sur le net montrait les djihadistes détruisant au marteau-piqueur les statues de taureaux ailés androcéphales gardiens de la porte de Nergal, l’une des principales portes de la muraille protégeant la ville.

Courant janvier, les troupes irakiennes ont repris la zone de Mossoul-est incluant les deux tells, et une équipe d’archéologues, sous la conduite de Layla Salih, ancienne conservatrice du musée de Mossoul, est venue faire un premier état des lieux sur le terrain. Sous les ruines de la mosquée élevée à l’emplacement supposé du tombeau de Jonas, ils ont découvert un réseau de tunnels creusés en profondeur par les troupes de Daesh. Ces tunnels mènent à un palais assyrien datant du VIIe siècle avant J.-C. qui n’avait jamais été exploré auparavant.
Relief d'un palais assyrienRelief d'un palais assyrien mis au jour par Daesh.

D’après les témoignages des archéologues irakiens et les quelques photos publiées dans la presse, il en reste des murs, des statues monumentales de taureaux ailés androcéphales identiques à ceux que l’on trouve à l’entrée de tous les autres palais assyriens, un bas-reliefs figurant quatre femmes de face  – représentation plutôt rare pour cette période – et une plaque en marbre portant une inscription. Cette dernière a été attribuée à Assarhaddon (680-669) en raison de la titulature que l’on retrouve dans d’autres écrits commandés par ce roi, et aussi par la mention de la reconstruction de Babylone, détruite par son père Sennachérib.

Le tell Nebi Yunus n’avait pas fait l’objet de fouilles intensives en raison de la présence de la mosquée, lieu de pèlerinage, et d’un village construit en son sommet. Mais, les textes laissés par les souverains assyriens indiquent que Sennachérib y avait construit un arsenal (ekal masharti), dont l’entrée, gardée par des taureaux androcéphales, avait déjà été révélée par des fouilles effectuées dans la seconde moitié du XXe siècle, et un autre bâtiment résidentiel. Son fils Assarhaddon avait fait agrandir l’arsenal dans le but d’y garder chevaux, mulets, chars, équipement militaire et butin pris à l’ennemi, et avait transformé le second bâtiment en un palais royal de grande taille où il résida une partie de l’année. L’un de ces deux palais a été mis au jour par les combattants de Daesh. Diverses statues et des dizaines d’objets ont été exhumés par l’équipe de sauvetage, mais avant eux, les djihadistes ont sans doute pillé plusieurs centaines d’objets qui reposaient dans ce palais peut-être jusque-là inviolé.

À Nebi Yunus, le travail des archéologues est délicat en raison des tunnels improprement étayés qui risquent de s’effondrer à tout moment. Ailleurs, on fait l’inventaire des dégâts. Au cours d’une réunion qui s’est tenue à Paris fin février sous l’égide de l’Unesco pour dresser un état des lieux du patrimoine culturel dans les zones libérées d’Irak, nous avons appris que 70% des vestiges de Ninive et 80% de ceux de Kalhu ont été détruits. La reprise d’une partie de la ville de Mossoul a aussi permis de retrouver des antiquités volées par les djihadistes. Ainsi, dans la maison d’un commandant des troupes de Daesh, les Irakiens ont découvert une centaine de céramiques assyriennes. Comme cela a été annoncé au cours de la réunion de l’Unesco, il est plus que temps d’évaluer les dommages et de mettre en œuvre des mesures de protection et de conservation des sites, monuments et objets formant le patrimoine de l’humanité.
 

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du journal CNRS