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Aujourd’hui tout le monde écrit des lettres – ou plutôt des courriels ! Ce genre littéraire a une longue histoire ; selon les scribes du début du deuxième millénaire av. J.-C., l’écriture fut inventée spécifiquement pour les besoins de la communication à longue distance.
La légende d’Enmerkar et du Seigneur d’Aratta raconte la naissance de tels échanges entre rois, et donc de la correspondance diplomatique :
« (Enmerkar) façonna l’argile et y inscrivit un message comme on le fait sur une tablette. Avant cette époque, le fait d’inscrire un message sur de l’argile n’existait pas. »
Le seigneur d’Aratta, illettré, lorsqu’il reçut le morceau d’argile inscrit, le regarda interdit sans en comprendre le message. Une lettre n’est utile que si elle a un destinataire, et si celui-ci peut en lire le contenu. En réalité, le genre épistolaire apparaît relativement tard dans l’histoire de l’écriture cunéiforme, puisque les lettres les plus anciennes qui ont été découvertes ne datent que de la seconde moitié du troisième millénaire, soit environ un millénaire après l’apparition de l’écriture, dont le fonctionnement a alors suffisamment évolué pour permettre la notation de textes de ce genre.[1]
Lettre paléo-assyrienne en deux pages enfermées dans leur enveloppe en partie brisée. Deux sceaux-cylindres, appartenant aux deux expéditeurs, ont été déroulés sur l’enveloppe. Kültepe, 19ème siècle av. J.-C. Photo C. Michel, Musée d’Ankara. Credit: ©Mission archéologique de Kültepe.
Au début du deuxième millénaire av. J.-C., l’usage de la lettre s’est largement répandu. Les scribes utilisaient une grande quantité d’argile chaque jour pour façonner leurs tablettes, entre autres pour écrire des lettres, comme en témoigne celle-ci qui vient de la correspondance diplomatique de Mari (sur l’Euphrate, 18ème siècle) :
« J’ai épuisé tout l’argile de la ville d’Ashnakkum pour les lettres que je ne cesse de t’envoyer ! »
C’est une image bien sûr car l’argile était abondante en Mésopotamie et ne coûtait pas grand-chose. Toutefois, la qualité de l’argile était importante ; elle ne devait pas comporter d’impuretés.
En outre les lettres n’étaient généralement pas plus grandes que la paume de la main, les tablettes plus grandes étaient plus difficiles à transporter et risquaient de se briser plus facilement. On trouve des lettres de deux ou trois lignes seulement, comme celle évoquée par une femme de marchand assyrien qui se plaignait de ne pas avoir de nouvelles d’un proche :
« Pourquoi ne m’envoies-tu pas tes salutations sur une tablette, même de seulement deux doigts de long ? ».
À l’inverse on a quand même quelques lettres d’une centaine de lignes, mais cela compliquait alors la confection de l’enveloppe…
En effet, les lettres étaient envoyées sous enveloppe : une fois séchées au soleil, elles étaient recouvertes d’une fine couche d’argile.[2] Cette enveloppe protégeait la tablette et le caractère confidentiel de son contenu pendant son transport. L’expéditeur déroulait son sceau-cylindre personnel sur l’enveloppe, et il y écrivait son nom et celui du destinataire du message. Lorsque la lettre arrivait à destination, le destinataire brisait l’enveloppe pour lire la lettre.
Quelques lettres requéraient l’utilisation de deux tablettes, le scribe ayant mal calculé la surface d’écriture dont il avait besoin ; les deux « pages » étaient alors enfermées dans la même enveloppe. Naturellement, lorsque l’enveloppe était ouverte dans l’Antiquité, les deux pages étaient séparées et il est aujourd’hui difficile de les réunir à nouveau.
Normalement, la découverte d’enveloppes devrait être exceptionnelle, toutefois certaines lettres sont encore aujourd’hui conservées intactes dans leurs enveloppes. Il faut alors supposer que ces lettres sont arrivées alors que leur destinataire était absent ou décédé, et qu’elles ont été conservées en l’état, ou encore qu’il s’agit de copie de lettres, conservées par leur expéditeur.
[1] P. Michalowski, The Correspondence of the Kings of Ur. An Epistolary History of an Ancient Mesopotamian Kingdom, 2011.
[2] Les documents à valeur juridique étaient aussi enfermés dans une enveloppe d’argile sur laquelle le texte était recopié et où témoins et parties déroulaient leurs sceaux. L’enveloppe donnait alors sa valeur juridique au texte ; lorsqu’elle était brisée, le texte perdait son caractère juridique.
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du journal CNRS