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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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L’extinction des écritures cunéiformes
31.08.2020, par Cécile Michel
Mis à jour le 31.08.2020

En usage dans le tout Proche-Orient pendant plus de trois millénaires, les écritures cunéiformes se sont lentement éteintes au cours du Ier millénaire avant J.-C. pour finalement disparaître au 1er siècle de notre ère. Il fallut attendre le 19e siècle pour les redécouvrir. Comment expliquer cette disparition, et plus encore l’oubli complet d’une écriture qui avait servi à transcrire des langues appartenant à différentes familles linguistiques ? Comment les anciens Mésopotamiens, qui mettaient par écrit tout ce qui leur était nécessaire et archivaient scrupuleusement leurs textes d’argile, ont-ils pu abandonner leur écriture et la langue akkadienne ?

Le phénomène n’a pas eu lieu en un jour, mais s’est étalé sur tout le Ier millénaire avant J.-C. Dès le début de ce millénaire, l’araméen, une des langues sémitiques occidentales, est utilisée en Mésopotamie en parallèle avec la langue akkadienne. Cette langue s’écrit sur un support souple, papyrus ou peau, avec de l’encre, à l’aide de l’alphabet araméen, un alphabet consonantique de 22 lettres qui s’écrit de droite à gauche. Contrairement aux tablettes d’argile qui ont résisté au temps, les papyri et les peaux, des matières organiques, ont disparu. Les textes cunéiformes donnent le nom de scribes spécialisés dans l’écriture des textes araméens sur peau et témoignent de leur production. Ces textes étaient archivés sous la forme de rouleaux aux côtés des tablettes cunéiformes, et parfois, une étiquette d’argile rédigée en cunéiforme était accrochée à leur extrémité pour signaler le contenu du rouleau : c’est tout ce qu’il en reste aujourd’hui.
Scribes néo-assyriens. Dessin de Xavier Faivre.Scribes néo-assyriens. Dessin de Xavier Faivre.

Des fresques et des bas-reliefs datés de l’empire néo-assyrien (911-612) montrent l’usage concomitant des deux systèmes d’écriture. Le scribe en tête tient dans sa main gauche une tablette et dans sa main droite un stylet, tandis que le second scribe tient un support souple et y écrit à l’encre. Rares sont les textes araméens rédigés sur l’argile, exceptionnels sont les signes cunéiformes écrits en 2D ; ces écritures sont clairement adaptées à leur support.

Au cours de l’empire perse achéménide (529-331) l’écriture cunéiforme n’est plus utilisée que dans le sud de la Mésopotamie ; des tablettes ont été découvertes dans les temples ou dans les maisons de particuliers travaillant pour les temples. Il s’agit de textes administratifs et économiques, de lettres, mais aussi de textes littéraires et savants. Après l’arrivée d’Alexandre le Grand en Mésopotamie en 331 av. J.-C., l’akkadien noté par l'écriture cunéiforme n’est plus utilisé qu’à Babylone et Uruk dans le milieu du clergé. Conscient de la disparition de sa brillante civilisation, Bérose écrit pour le roi Antiochos Ier (281-261) les Babyloniaca (Histoire de Babylone) qui remonte avant le Déluge. L’ouvrage est perdu mais des extraits ont été copiés.

Les dernières archives cunéiformes datées des trois derniers siècles avant notre ère proviennent de bibliothèques de lettrés, de celle des exorcistes du temple d’Uruk, et à Babylone des archives administratives des temples et des notables travaillant pour le temple, comme par exemple les brasseurs et les astrologues qui ont laissé des relevés astronomiques. Les textes, souvent fautifs, montrent par là-même que leurs auteurs maîtrisent mal leur propre langue et écrivent aussi très régulièrement en araméen.

Tablette graeco-babyloniaca. Photo Cuneiform Digital Library Initiative © The Trustees of the British Museum (CC BY-NC-SA 4.0)Tablette graeco-babyloniaca. Photo Cuneiform Digital Library Initiative © The Trustees of the British Museum (CC BY-NC-SA 4.0)

C’est de cette époque que datent une vingtaine de textes appelés graeco-babyloniaca par les assyriologues. Sur une face, un texte est écrit en cunéiforme akkadien ou sumérien, tandis que sur l’autre, se trouve la translittération phonétique du texte en lettres grecques. Il s’agissait d’enseigner la prononciation de l’akkadien et du sumérien aux Babyloniens qui avaient perdu le contact avec leur langue.

Les derniers textes, datés des 1er siècles avant et après J.-C. sont des textes astronomiques : rapports d’observation, de tables, d’éphémérides et de textes de procédure. Il existait donc encore au moins un scribe dans un temple de Babylone capable d’écrire et comprendre l’akkadien. Le tout dernier texte que l’on ait découvert date de 75 après J.-C. Il n’est pas impossible que d’autres refassent surface. La civilisation mésopotamienne est alors tombée dans l’oubli jusqu’à ce que des voyageurs dégagent ses ruines et déchiffrent le cunéiforme il y a moins de deux siècles.

Pour en savoir plus, conférence « Extinction et renaissance des écritures cunéiformes », Marathon des sciences, Festival d’Astronomie de Fleurance, 8 août 2020.
 

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