Donner du sens à la science

A propos

De la santé à l’énergie en passant par l’informatique ou la chimie, les recherches menées dans les labos trouvent régulièrement des prolongements dans le monde socio-économique. Découvrez sur ce blog des exemples de valorisation des recherches menées au CNRS, une des institutions les plus innovantes au monde.

Les auteurs du blog

La rédaction de CNRS le journal

A la une

Un test pour évaluer les troubles de la prise de décision
17.01.2022, par Martin Koppe
Issu de la start-up It’s Brain, le test numérique MindPulse aide les cliniciens à évaluer les capacités de réaction des patients en mesurant avec précision les troubles cognitifs impliqués dans de nombreuses pathologies comme la dépression ou certaines maladies neurodégénératives.

Rangez les évaluations poussiéreuses et les tests presque centenaires, MindPulse rénove les examens neurocognitifs. Les cliniciens, qu’ils soient médecins, psychologues, orthophonistes ou psychomotriciens, ont besoin de détecter et comprendre les pertes anormales de l’attention. Ces difficultés, présentes dans de nombreuses pathologies, peuvent se montrer bénignes comme être le signe d’atteintes cérébrales bien plus sérieuses. « Malgré les avancées rapides du domaine des neurosciences, nous avons constaté que les tests de l’attention manquaient de nouveauté, déplore Sandra Suarez, psychologue, neuropsychologue et ancienne chercheuse en neurosciences. Le test de Stroop, le plus utilisé du monde, date ainsi de 1935, tandis que les tests les plus récents sont souvent de simples rééditions sur ordinateur de vieux tests et de concepts qui ne correspondent plus aux modèles actuels en neurosciences. »

Un jeu pour détecter les atteintes cérébrales en quinze minutes

Plutôt que d’attendre l’outil de ses rêves, Sandra Suarez a monté une équipe avec Bertrand Eynard de l’Institut de physique théorique1 (IPhT) et Sylvie Granon de l’Institut des neurosciences Paris-Saclay2 (NeuroPSI). Ils ont élaboré pendant huit ans un nouvel outil beaucoup plus pertinent qui s’est concrétisé avec la fondation de la start-up It’s Brain, d’où est sorti le test breveté MindPulse3. Celui-ci se présente sous la forme d’un jeu sur ordinateur où le patient doit réagir, selon des critères précis contrôlés par des algorithmes, à l’arrivée d’images sur un écran en allant le plus vite possible sans se tromper.

Un jeune patient en téléconsultation s'apprête à démarrer le test sur son ordinateur.
Un jeune patient en téléconsultation s'apprête à démarrer le test sur son ordinateur.

L’examen s’effectue en trois parties d’un total de quinze minutes, une durée volontairement réduite car l’attention se modifie si l’opération se prolonge trop. Le clinicien obtient moins de deux minutes plus tard un compte rendu, divisé en quatorze indicateurs, via un serveur protégé par un code d’accès. MindPulse est un test particulièrement fin, adapté à la détection d’atteintes cérébrales modérées, voire mineures. Alors que de nombreux cliniciens mesurent encore les temps à la main avec un chronomètre, MindPulse se déroule sur ordinateur et offre une précision d’un centième de seconde sur les temps de réaction. Ce qui permet d’obtenir des résultats beaucoup plus fins, capables de déceler des atteintes légères.

Un outil pour toucher le plus grand nombre

MindPulse est pour l’instant calibré pour des patients de 13 à 65 ans, la pandémie ayant stoppé l’accès aux personnes plus âgées. L’équipe est cependant en train d’établir les normes pour les enfants à partir de 9-10 ans et pour les séniors, car MindPulse pourrait aussi aider à repérer les premières atteintes neurodégénératives. Toujours dans le contexte sanitaire actuel, MindPulse est adapté aux téléconsultations. « Notre test s’inscrit dans la transition vers des parcours de santé numériques, qui s’est accélérée avec la crise sanitaire, détaille Guillaume Simon, directeur général d’It’s Brain dont il a piloté le passage du programme de recherche au projet entrepreneurial. MindPulse est parfaitement adapté pour fonctionner à distance, avec un accès sécurisé pour télécharger le compte rendu du patient. »
 

D'ici peu, les seniors de plus de 65 ans pourront aussi faire le test.
D'ici peu, les seniors de plus de 65 ans pourront aussi faire le test.

L’équipe précise cependant que, comme tous les tests cognitifs, MindPulse ne donne en aucun cas un diagnostic. Il reste un outil parmi d’autres pour aider le clinicien de n’importe quelle spécialité où se pose la question du ralentissement psychomoteur, ou d’une plainte attentionnelle ou exécutive.

Un nouvel indicateur découvert : la réaction à la difficulté

Mais le test va bien plus loin, car le ralentissement de la réaction et l’affaiblissement de l’attention peuvent venir de plusieurs facteurs qui doivent être démêlés. La perception et la motricité prennent ainsi les deux tiers du temps de réponse. Il faut donc pouvoir différencier ce temps du temps exécutif, lui-même influencé par différents facteurs comme la situation émotionnelle de la personne. « Avec MindPulse, nous décomposons en profondeur des données de temps et de précision, explique Bertrand Eynard, professeur de physique mathématique et membre de l’IPhT. Ces données sont composites, elles varient si on ne regarde que le temps global et elles ne permettent pas de comprendre avec précision quels fonctionnements sont altérés. La construction du test nous permet d’extraire, mathématiquement, des informations poussées sur les systèmes sous-jacents. Nous pouvons alors mesurer, par exemple, la vitesse exécutive, c’est-à-dire celle avec laquelle on réfléchit. »

Lors de la conception du test, l’équipe a en plus mis en évidence un nouvel indice du fonctionnement cérébral, la réaction à la difficulté, puis montré qu’il était corrélé à l’anxiété et à la dépression. Des études sont encore nécessaires pour établir et comprendre ce lien. MindPulse prouve ainsi qu’il est plus qu’un outil d’aide au diagnostic clinique, et qu’il peut servir en contexte scientifique.

MindPulse ne délivre pas de diagnostic mais un rapport complet pour aider les cliniciens.
MindPulse ne délivre pas de diagnostic mais un rapport complet pour aider les cliniciens.

Les membres d’It’s Brain ont même décidé de mettre MindPulse à disposition des équipes françaises de recherche publique pendant l’année 2022, via une procédure dite de mécénat d’entreprise à la recherche publique, et reste plus généralement à l’écoute des collaborations.

Une aide clinique et scientifique

Quatre programmes scientifiques sont d’ailleurs en cours au sein de la start-up, grâce à la bourse obtenue en remportant le concours i-Lab 2021 de la Banque publique d’investissement. Ils traitent du Covid long, de la dépression résistante, de l’application du modèle aux souris et, enfin, de la validation du fonctionnement interculturel de MindPulse en étudiant son utilisation en Afrique. Les travaux sur le Covid sont motivés par la bibliographie scientifique, qui montre que les personnes avec un temps de réaction lent sont plus à risque des formes graves alors que des corrélations étaient déjà connues entre la lenteur et les atteintes inflammatoires. Mieux comprendre ce phénomène et ces liens est devenu un enjeu de société.

« Nous sommes aussi en train de créer une version animale de MindPulse, avec une tâche adaptée aux souris, ajoute Sylvie Granon, professeure à l’université Paris-Saclay et directrice d’équipe à NeuroPSI. Cela nous permettra d’étudier la dépression et d’autres atteintes du système nerveux central, où l’on observe aussi un ralentissement psychomoteur. Il est en effet plus aisé d’identifier les cibles pharmacologiques sur les animaux, d’autant que nous pouvons maîtriser les aspects environnementaux et l’histoire de l’animal, ce qui n’est bien sûr pas le cas chez l’humain. »

Vers un déploiement à l'international

Enfin, les tests sur l’utilisation de MindPulse en Afrique s’inscrivent dans la lignée de son cahier des charges, où l’inclusivité a toujours été un point crucial. Les tests déjà existants ne sont pas prévus pour les pays en développement, notamment parce qu’ils présentent des biais culturels et réclament un certain niveau d’alphabétisation. Ce dernier point gêne également l’évaluation des personnes avec des difficultés telles que la dyslexie.

Une version anglaise de MindPulse est d’ailleurs en cours de lancement, elle permettra de poursuivre cet effort d’inclusivité et en fera un outil de recherche plus accessible à l’international. Une version en ligne, ne demandant donc pas d’installation sur un ordinateur, est en phase de développement, ainsi que des versions audios du test. L’équipe souhaite également s’étoffer et recruter de jeunes chercheurs. À terme, un pan du travail sera consacré à l’entraînement d’intelligences artificielles sur les données issues des tests, pour détecter certains profils pathologiques. L’équipe d’It’s Brain multiplie les options pour innover et pousser MindPulse toujours plus loin, et le rendre utile à davantage de praticiens, patients et chercheurs. ♦

Notes
  • 1. Unité CNRS/CEA.
  • 2. Unité CNRS/Université Paris-Saclay.
  • 3. Brevet partagé entre le CNRS, l’université Paris-Saclay et It’s Brain.

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS