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Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

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Les mères, gages du bonheur ?
05.06.2019, par Sarah Flèche et Claire Lapique
Mis à jour le 05.06.2019

L’expression « être mère de tous les maux » prend-elle tout son sens ? D’après l’ouvrage : The origins of happiness, co-écrit par Andrew Clark, Sarah Flèche, Richard Layard, Nattavudh Powdthavee et George Ward, le bonheur des enfants est fortement lié à la santé psychologique de la mère. Le mal-être traverse ainsi les générations et les séquelles s’en ressentent parfois jusqu’à l’âge adulte. Plaidant pour le bien-être citoyen, les auteurs préconisent de prévenir les dépressions dès le plus jeune âge. 
 
L’enfance revêt une dimension magique… mais féérie ou magie noire ? Les neurosciences ou encore la psychiatrie ont montré l’impact de cette atmosphère, onirique ou ensorcelée, sur le développement émotionnel des adultes en devenir. Un environnement sain permet de faire face aux déconvenues de la vie et facilite la résilience. Mais qu’est-ce qui contribue le plus à en faire un conte de fée ? 
Dans le livre The origins of happiness, les auteurs interrogent, à travers une enquête sur la satisfaction des individus, de la naissance jusqu’à l’âge adulte, ce qui les rend heureux au présent, puis, ce qui pendant l’enfance concourt à cet épanouissement. Quels aspects ont le plus de poids ? L’école, les revenus des parents, le style d’éducation parental ? Répondre à cette question constitue une aide à la décision publique, utile aux gouvernements qui souhaitent privilégier le bien-être des citoyens au-delà du Produit Intérieur Brut (PIB). Plus que guérir, il est aussi possible de prévenir le mal-être, en agissant sur les facteurs qui agissent sur le moral des enfants.  


 
Les auteurs de l’ouvrage utilisent deux sources d’information : d’une part, des données de cohortes1 très détaillées qui ont interrogé la quasi-totalité des enfants nés à Bristol et Bath entre avril 1991 et décembre 1992 et d’autre part, les données du British Cohort study qui ont suivi plus de 10,000 individus depuis leur naissance en 1970 au Royaume-Uni. Ces données rassemblent des informations sur les revenus, le travail ou la santé des parents, les éventuels conflits familiaux et la qualité de l’école où l’enfant est scolarisé. Ils s’intéressent à trois mesures distinctes du développement chez l’enfant, à l’âge de 5, 11 et 16 ans respectivement : les capacités cognitives (1), le comportement (2) et la santé émotionnelle (3)2.

 
 

Après avoir détaillé ce qui rend les individus heureux, les économistes vont plus loin en interrogeant les circonstances familiales qui permettent d’atteindre le bonheur. Si, à l’âge adulte, la santé émotionnelle est un des critères les plus importants, bien avant les revenus, qu’en est-il pour les enfants ? 

Les performances scolaires ne contribuent pas en elles-mêmes au bonheur, mais ont des répercussions sur les revenus, les qualifications et l’emploi occupé plus tard. Le comportement observé, dans l’étude, à l’âge de 16 ans fournit une bonne indication sur les relations sociales futures et l’attachement à un partenaire. Mais le principal prédicteur du bonheur, est bien la santé émotionnelle des enfants. 

Monstres et compagnies 

Dans le récit de l’enfance, les mères ont un impact indéniable. Leur santé psychologique imprime et marque le bonheur de leur enfant. Si elles défaillent, c’est le sourire de l’enfant qui s’éraille, comme si un fil invisible les reliait. Les rires et grimaces s’entremêlent et défigurent. Les émotions et les comportements se détraquent. Et, selon les auteurs, ce lien affecte davantage les filles que les garçons.  

Les différents coefficients sont obtenus en régressant, dans un même modèle, la santé émotionnelle à 16 ans sur l’ensemble des caractéristiques considérées (revenu des parents, statut dans l’emploi, niveau d’éducation, .). Les variables sont standardisées (en soustrayant la moyenne de l’échantillon et en les divisant par leur écart-type), de façon à rendre la comparaison des différents coefficients obtenus possible. Cela permet aussi de mesurer directement la part des inégalités de bien-être expliquée par chacune des caractéristiques considérées, en élevant au carré chacun des coefficients. Par exemple, 2,5(=0.16*0.16)% des différences observées sur la santé émotionnelle des enfants de 16 ans s’expliquent par la santé mentale de la mère. 

Pour autant, le bonheur des enfants ne dépend pas que des mères. Les rôles sociaux demeurent très sexués. Sur ce point, les études de genre trouveraient un terrain d’enquête propice car le comportement des pères a une toute autre portée sur les enfants. Leur santé mentale pèse beaucoup moins dans la balance. Mais, après le revenu des parents, le chômage des pères affecte directement le bonheur des enfants alors que l’inactivité des mères n’a pas d’influence. 


Univers bienveillant ou menaçant ? 

En psychologie, la théorie de l’attachement montre comment le développement émotionnel de l’enfant en bas-âge repose sur l’attention prodiguée par l’entourage. Le sentiment de sécurité s’appuie sur la présence d’un adulte bienveillant. La mère est la figure d’attachement la plus commune mais d’autres personnes peuvent jouer ce rôle. 
Dans la relation d’attachement sécure, la relation parent/enfant est fluide et les réactions sont cohérentes et appropriées de part et d’autre, sans indépendance ou dépendance marquée. Les enfants dont l’attachement est évalué sécure à 12 mois se montrent plus actifs et plus enthousiastes dans leurs activités d’exploration3.

Les contextes familiaux ne sont pas toujours idylliques. Dans les situations d’attachement évitant4 par exemple, l’enfant manque de repères, il est abandonné et doit faire face, seul, aux situations de stress. L’attachement ambivalent, ou anxieux, s’illustre par un fonctionnement quasi exclusif sur un mode émotionnel chez l’enfant, engendré par des réactions parentales qui peuvent être opposées telle que l’hypervigilance anxieuse (surprotection) ou au contraire le désintérêt ou la négligence. Enfin, un dernier type d’attachement « désorganisé » a été observé par les psychologues, celui où l’adulte confond les rôles et enchaîne les erreurs de communication affective. 
 Si le lien parent-enfant est érodé, du fait d’une maladie mentale par exemple, le développement émotionnel de l’individu en est affecté, et par suite, son épanouissement futur. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles la santé mentale, et en particulier celle des mères, doit faire l’objet de politiques publiques. Et ce d’autant que les séquelles sont tenaces. A l’âge adulte, les mêmes facteurs affectent encore l’épanouissement des individus.

Telle mère, telle fille ? 

Selon les nouvelles découvertes de l’épigénétique, l’expression des gènes peut être activée ou désactivée en fonction de l’environnement. Aussi, les traumatismes peuvent être légués aux générations suivantes. Les facteurs auxquels les auteurs s’intéressent, c’est-à-dire, la façon de vivre, le milieu d’origine ou encore les traumas peuvent provoquer des changements génétiques dans notre descendance. 
 

Les maladies mentales courent le risque de se transmettre d’une génération à l’autre. Même dans le ventre de la mère, les études montrent que le cerveau du fœtus est affecté par son état émotionnel et que cet impact persiste dans le temps. Il est donc plus fréquent que les individus dont la mère est instable émotionnellement se montrent insatisfaits ou malheureux. La dépression et l’anxiété les guettent davantage, recréant ainsi cet univers cauchemardesque. 
Protéger la santé psychologique de la mère devient une priorité à la fois pour l’enfant comme pour la mère. Ces connaissances devraient inciter les décideurs à développer des politiques publiques en ce sens. De la même manière qu’il importe de lutter contre la pauvreté, de travailler sur l’éducation, l’emploi ou encore la santé, la lutte contre les maladies mentales devrait être prise en compte afin de ne pas être le parent pauvre de nos sociétés. Une politique de prévention permettrait d’agir à la source et d’intervenir au plus tôt pour le bien-être citoyen… et la réduction des dépenses publiques curatives. 

1. Avon Longitudinal Study of Parents and Children (ALSPAC)
2. Pour mesurer les capacités cognitives, les auteurs utilisent les notes obtenues au GCSE, pour le comportement les réponses à 17 questions posées à la mère sur les rapports aux autres, l’hyperactivité, ou des problèmes liés à l’attention et pour la gestion des émotions, les réponses à 22 questions posées à l’enfant et 8 à la mère sur l’humeur et les émotions. 
3. Apprendre à éduquer, la théorie de l’attachement https://apprendreaeduquer.fr/la-theorie-de-lattachement-les-3-types-atta...
4. Identifié dans les années 1960 par la psychologue Mary Ainsworth

Sarah Flèche et Claire Lapique 

Photos : Ben White, Camilla Quintero Franco, Jenna Norman and Mi Pham on Unsplash 
Référence : Clark, A E, S Flèche, R Layard, N Powdthavee and G Ward, février 2018, The Origins of Happiness, Princeton University Press.

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