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Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

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Les motivations à entreprendre dictent-elles la performance de l’entreprise ?
22.07.2019, par Renaud Bourlès et Claire Lapique
Mis à jour le 22.07.2019

Beaucoup de microentreprises voient le jour grâce aux microcrédits. C’est un moyen efficace de lutte contre l’exclusion financière ou le chômage. Mais la performance de l’entreprise varie selon les motivations initiales des entrepreneurs. Renaud Bourlès et Anastasia Cozarenco montrent que les projets créés par « nécessité » génèrent, le plus souvent, moins de bénéfices que ceux réalisés par « opportunité ». Ces différences appellent à la mise en place de politiques de microfinance diversifiées selon les profils. 

Créer sa propre entreprise constitue une porte de sortie au chômage. Mais les banques traditionnelles sont parfois frileuses à financer de tels projets, parce qu’elles ont peu d’information sur l’historique des crédits ou sur le capital des individus en situation de précarité. Ironie du sort, le crédit est souvent accordé à ceux qui ont déjà de l’argent. Pour éviter de tomber dans ce travers, la microfinance cible les individus qui en ont le plus besoin. Pour beaucoup de pays développés, c’est un instrument pour les politiques sociales, permettant le retour à l’emploi et la promotion de l’entrepreneuriat. 

En Europe, en 2012, 93% des entreprises sont des petites ou moyennes entreprises employant moins de dix personnes. Les microentreprises sont les secondes plus importantes pourvoyeuses d’emplois et génèrent de la croissance. C’est pourquoi l’État français subventionne les Instituts de Microfinance (IMFs) afin de favoriser la promotion de l’auto-entreprenariat comme réponse au chômage. Pour cela, il garantit, sous certaines conditions, jusqu’à 70% des défauts de paiements des clients. La banque de microcrédit n’a plus qu’à débourser les 30% restant, en cas de non remboursement. Les subventions sont essentielles au bon fonctionnement de ce type d’institution, pour que les prêts continuent d’être versés même aux individus considérés comme « risqués ». 

Nécessité ou opportunité ? 

En suivant une étude comparative, les deux économistes analysent l’impact des intentions entrepreneuriales sur la performance des entreprises créées. L’inclusion financière est le but que s’est donné l’IMF Créa-Sol étudié par Renaud Bourlès et Anastasia Cozarenco. La plupart de ses clients sont des personnes sans emploi qui ont un niveau d’éducation et des revenus faibles. 49% de ses bénéficiaires affirment créer une entreprise pour répondre à une « nécessité » financière, tandis que 46% le font pour saisir une opportunité. La distinction de ces deux catégories est commune dans l’étude des motivations entrepreneuriales. Pour cause, l’Observatoire mondial de l’entrepreneuriat1 considère que, dans le monde, trois quarts des entrepreneurs le sont par « opportunité », le quart restant l’étant par « nécessité ».  

L’existence de bénéfices non monétaires permet de différencier les deux groupes. Que ce soit l’indépendance, l’autonomie, la mise à profit de ses compétences, toutes ces motivations intrinsèques font appel à des avantages non financiers. Lorsque l’entreprenariat est un choix, ces motivations pèsent pour beaucoup. Au contraire, lorsqu’il répond à un besoin impérieux de liquidité, elles pèsent moins dans la balance lors de la décision. 

Sur les 294 micro-entrepreneurs interrogés, ils distinguent, grâce à un questionnaire, ceux qui ont recours à l’entreprenariat par opportunité ou par nécessité. Mais, pour compléter leur analyse, ils évaluent aussi ceux qui l’ont fait pour éviter le chômage (32%) ou pour réaliser leur rêve (42%). Ces deux catégories plus précises remettent en question les deux classes hermétiques précitées. Ainsi, une part conséquente (29%) d’entrepreneurs par « nécessité » ont, par la même occasion, réalisé un de leur rêve. Il faut alors nuancer la dichotomie habituelle « nécessité ou opportunité ». 

L’occasion fait-elle le larron ? 

Est-ce que le fait de créer une entreprise pour répondre au chômage a un impact dans le bon remboursement des prêts et sur la survie de l’entreprise ? Les économistes choisissent d’évaluer la performance de l’entreprise en considérant la capacité à rembourser ses prêts. Les auteurs considèrent que les clients font défaut au bout de trois retards de paiement (consécutifs ou non). Ces défauts de paiement mettent en avant l’inefficacité de l’entreprise. Entre les deux groupes, il y a effectivement une différence significative. Les entrepreneurs « par nécessité » ont 60% plus de risques de faire défaut que ceux qui créent une entreprise par « opportunité »2. La performance de l’entreprise est donc fortement corrélée aux motivations initiales de création. Mais est-ce que cela est dû à un défaut de préparation chez les individus du premier groupe ? Dans l’urgence, il se peut que leur projet n’ait pas été bien ficelé. Si tel était le cas, les auteurs présument qu’avec le temps, les individus se formeraient sur le tas et réduiraient le fossé. Toutefois, la probabilité de faire défaut reste présente dans le temps et invite les auteurs à rejeter cette hypothèse.  
    
Les entreprises créées à la suite d’une opportunité assurent plus souvent le remboursement des prêts. Mais elles ne survivent pas plus longtemps pour autant, quand bien même elles seraient plus rentables. Cette donnée n’est pas en contradiction avec l’hypothèse de performance des entreprises par opportunité. Comme d’autres options sont plus à même de se présenter pour eux, ils peuvent ainsi se reporter sur un autre projet, s’ils le souhaitent. C’est pourquoi une bonne partie d’entre eux continuent de respecter leurs engagements, soulignant ainsi leur bonne santé économique et leur volonté d’afficher un bon historique des crédits. 

Est-ce une bonne politique ? 

Si la performance n’est pas au rendez-vous pour tout le monde, faut-il que l’État continue de subventionner les IMFs ? En tant qu’outil de lutte contre l’exclusion financière et sociale, le microcrédit est pourtant un moyen efficace. Dans son objectif de lutte contre le chômage, le bénéfice est multiple. 

Tout d’abord, le défaut de paiement ne constitue pas toujours une perte financière importante pour l’institut ou l’État. Celle-ci varie selon le moment à laquelle le défaut intervient. Si l’individu cesse de payer alors qu’il a pratiquement tout remboursé, la perte est minime. Selon l’étude des économistes, les entreprises créées par nécessité font défaut en moyenne au bout de 17 mois, contre 23 mois pour les entreprises créées par opportunité. En termes de perte financière, en moyenne, les entrepreneurs par opportunité font perdre 1 315 euros à l’IMF considéré, comparés aux 3 500 euros moyens des entrepreneurs par nécessité. Sur cette perte, l’État verse respectivement 920 et 2 400 euros. Cette différence, de 1 500 euros, représente environ 1,5 fois le montant d’une allocation chômage mensuelle en France. Comme l’entreprise permet aux individus de se rémunérer jusqu’à leur défaut de paiement, l’État économise ainsi sur les prestations sociales qu’il aurait dû verser sans cette occupation. 

Cet outil permet aussi le retour à une activité professionnelle. De l’inclusion financière naît une inclusion sociale et la création d’une plus-value pour la société à travers le service offert par l’entreprise. Enfin, ces entrepreneurs acquièrent des compétences, des habitudes et nouent des relations professionnelles leur facilitant l’insertion sur le marché du travail par la suite. Inciter les subventions et l’investissement de l’État se justifie donc aisément, d’autant que ce dernier trouve ses ressources par la réduction d’autres dépenses sociales. 

Distinguer les services de microfinance 

Comment réduire l’inefficacité dans les performances des entrepreneurs les plus fragiles ?  Pour un meilleur taux de réussite dans la mise à bien des projets financés, les services financiers peuvent s’adapter davantage aux spécificités de chacun. Si la subvention de l’État est un outil social efficace, elle crée aussi un effet pervers au sein de la banque qui la reçoit. Celle-ci est moins regardante et vigilante lorsqu’elle offre un crédit. En offrant à beaucoup, une part considérable des prêts se volatilise. Outre les crédits, des services annexes sont également envisageables, comme les formations par exemple. Celles-ci permettent d’accompagner les nouveaux entrepreneurs dans leur projet en les conseillant et les épaulant. Ces services sont particulièrement recommandés pour ceux qui souhaitent sortir d’une période de chômage, parce qu’ils ont besoin d’être assurés d’un retour financier, mais aussi parce que ce sont leurs entreprises qui sont les moins performantes. Dans un article antérieur, les deux auteurs suggèrent qu’une subvention d’État visant l’accompagnement des entrepreneurs les plus risqués s’avère être une politique efficace3. Elle limite ainsi les risques de non remboursement et de perte financière et permet à ceux qui n’en avaient pas les moyens auparavant, de mener à bien leur projet plus facilement. 

Renaud Bourlès et Claire Lapique


Photo ©  Unsplash Annie Spratt, Dylan Nolte, Austin Distel, Nathan Dumlao 

Référence : Renaud Bourlès, Anastasia Cozarenco Entrepreneurial motivation and business performance: evidence from a French Microfinance Institution, 2017​

1. Global Entrepreneurship Monitor, GEM, étude de 2016. 
2. Afin d’éviter les biais dans les réponses auto-administrées et pour vérifier ce résultat, les auteurs interrogent les capacités de remboursement des individus qui ont créé une entreprise pour éviter le chômage. Ils s’aperçoivent que ce résultat correspond bien à celui des individus qui créent une entreprise « par nécessité ». 
3. State intervention and the microcredit market: the role of business development services, Renaud Bourlès, Anastasia Cozarenco, Small Bus Econ (2014) 43:931–944

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