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Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

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D’agricoles à industrielles, la croissance des villes
25.05.2022, par Alain Venditti , Aurore Basiuk
Mis à jour le 09.06.2022
Au niveau mondial, les villes concentrent plus de la moitié de la population et génèrent plus de 80 % du PIB. Bien qu’elles connaissent en majorité une forte croissance économique, celle-ci varie fortement d’une ville à l’autre. Explications dans ce nouveau billet de Dialogues économiques.

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

D’après la Banque Mondiale, les villes concentrent actuellement 55 % de la population terrestre et génèrent plus de 80 % du PIB mondial. Souvent, elles ont une importante croissance économique. Ainsi, une étude d’Oxford prédit que le taux de croissance de Paris entre 2019 et 2035 devrait être d’environ 1,7 %. Mais comment expliquer cette croissance économique urbaine ? Les économistes Christian Ghiglino, Kazuo Nishimura et Alain Venditti proposent de répondre à cette question avec un modèle combinant deux grandes théories économiques.

Qu’est-ce qu’une ville ? Si le terme est dans le langage courant et désigne tout lieu de concentration de population et de constructions, les géographes lui préfèrent le terme d’unité urbaine. En France, pour être considérée comme telle, une commune doit accueillir plus de 2 000 habitants. L’Hexagone comporte ainsi quelque 7 580 villes (pour plus de 34 980 communes) qui regroupent les 80 % de la population. De plus, 93 % des Français vivent dans l’aire d’influence d’une ville1.


Pourquoi un tel engouement ? Les villes sont aussi des lieux de concentration de l’activité économique. À l’échelle de la planète, elles représentent plus de 80 % du Produit intérieur brut, PIB2 . Entre les commerces de proximité, les transports en commun, les nombreux services publics, la vie culturelle et surtout la possibilité de trouver un travail, les raisons pour s’installer en ville ne manquent pas. Parmi elles, l’attractivité économique est particulièrement importante. Secteurs industriel ou tertiaire, c’est avec des entreprises produisant biens et services que les villes attirent et croissent. Mais quels sont les mécanismes économiques derrière la croissance des zones urbaines ?

Qu’est-ce que la croissance ?

La croissance économique est au cœur des préoccupations, qu’elles soient locales, nationales ou même internationales. Omniprésent dans les discours politiques et les médias, ce terme désigne une augmentation de la production (de biens et services) sur une période donnée, et généralement sur le long terme. Elle s’exprime souvent en taux de croissance du PIB par tête3 et si, lorsqu’elle est positive, elle indique un avenir radieux économiquement, une valeur négative la transforme en redoutée régression économique.

En mars 2022, la Banque de France a, comme chaque trimestre, réajusté ses prédictions sur la croissance économique du PIB par tête à une moyenne entre 1,7 et 2 % par an d’ici 20244, un chiffre assez proche du taux de croissance moyen du PIB par tête en France entre 1980 et 2019 qui est de 1,8 %5. Mais comment expliquer cette hausse générale du PIB ?


Depuis celle proposée par Adam Smith en 1776, de nombreuses théories ont été émises pour expliquer la croissance. En 1956, Robert Solow et Trevor Swan présentent un modèle économique où la croissance est due au progrès technique extérieur. On parle de croissance exogène. Petit problème, ce progrès technique est extérieur au modèle, en d’autres termes, il tombe du ciel. En 1986, en réponse à ce modèle, Paul Römer en propose un autre, dans lequel le progrès technique est engendré par les décisions d’investissements des entrepreneurs et devient ainsi à la fois un moteur et un résultat de la croissance. Toutes les variables sont alors à l’intérieur du modèle et l’on parle de la théorie de la croissance endogène. En d’autres termes, tout dépend de tout.

Pour expliquer la croissance des villes, les économistes Christian Ghiglino, Kazuo Nishimura et Alain Venditti proposent un modèle qui unit la théorie de la croissance endogène à celle du développement par secteurs.

Plan en négatif de Paris

L’aubaine de la croissance urbaine

Pourquoi différentes villes ont-elles différents taux de croissance ? Le modèle proposé par les économistes permet de répondre à cette question. Ils imaginent pour cela trois villes qui appartiennent à deux secteurs différents. La première est une ville agricole produisant sans surprise un bien agricole. La deuxième possède une économie secondaire, reposant sur des industries. De ses industries sortent des biens industriels possédant une importante valeur ajoutée : son industrie est de pointe et requiert ainsi un investissement en capital humain. En d’autres termes, une formation est nécessaire pour participer à la production6. La dernière ville reçoit les deux biens et les combine en un troisième bien de consommation finale.

En se penchant sur le long terme, les économistes constatent que toutes ces villes présentent un taux de croissance positif, mais différent. Ainsi, la seconde ville est caractérisée par un taux de croissance bien supérieur à celui de la première. Pour la troisième, sa capacité de production étant dépendante de celle des deux autres, il en va de même pour sa croissance, la ville ayant la croissance la plus faible limitant la sienne. Ces différences et la performance de la ville purement industrielle s’expliquent par les différences dans l’investissement en capital humain conduisant à une création de valeur économique plus importante.

travailleur en train de faire une soudure

Que l’industrialisation permette plus de croissance économique urbaine se vérifie dans beaucoup de villes françaises ayant pris leur essor avec l’arrivée d’une industrie de pointe. Ainsi, les exemples de Limoges au XIXe siècle avec sa porcelaine et plus récemment de Toulouse devenue le fer de lance de l’industrie aéronautique européenne avec l’implantation d’Airbus peuvent venir à l’esprit. À l’inverse, des villes qui sont restées principalement dans le secteur agricole, comme Charolles en Saône-et-Loire, capitale de la viande charolaise et dont l’activité principale est l’élevage, n’ont pas connu une aussi grande croissance, qu’elle soit économique ou en termes de population.

Cette différence dans l’ampleur de la croissance économique est une des conclusions de l’article : s’il existe des inégalités de base entre les villes, celles-ci ne vont pas se réduire avec le temps s’il n’y a pas de politique de redistribution. Mais la nouveauté de ce modèle est dans sa combinaison entre deux grandes théories économiques : celle de la croissance endogène et celle du développement sectoriel.

Une combinaison gagnante ?

Dans les pays développés, on observe une augmentation de la croissance sur les dernières décennies, et plus largement sur les derniers siècles, comme le prévoit la théorie de la croissance endogène. Cette croissance dépend de plusieurs facteurs. Les économistes Christian Ghiglino, Kazuo Nishimura et Alain Venditti la mettent en relation avec la théorie des changements sectoriels qui veut qu’au cours de la croissance d’un État ou d’une ville, la taille relative des secteurs de l’économie change. Ainsi, le secteur agricole laisse place au secteur industriel qui lui-même perd de l’importance au profit du secteur tertiaire. C’est ce qu’il s’est passé en France entre 1896 et 1990. Les économistes avaient précédemment réalisé un modèle similaire qui ne s’intéressait non pas à trois villes différentes, mais à un pays évoluant dans le temps et soumis à ce changement structurel7.


Cependant, que ce soit dans le cadre d’un État qui change de secteur principal au cours du temps ou de villes qui se spécialisent dans différents secteurs d’économie, le résultat est le même : si la croissance augmente, son augmentation n’est pas forcément régulière (ou la même pour toutes les villes) et les inégalités perdurent. Cela suggère que de la redistribution est nécessaire pour faire baisser les inégalités, et qu’il est important, pour cela, d’adopter des politiques publiques spécifiques. Comme le disait le gastronome Anthelme Brillat-Savarin « L’inégalité des conditions entraîne l’inégalité des richesses, mais l’inégalité des richesses n’amène pas l’inégalité des besoins. »

Notes

1. INSEE, "Unité urbaine"
2. Banque Mondiale, "Développement Urbain"
3. Le PIB comme indicateur unique de la croissance est soumis à des critiques. Voir par exemple le rapport de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi (2009)
4. Andaloussi E. et al., "Projections macroéconomiques – Mars 2022", Banque de France
5. Données de la Banque Mondiale
6. Le capital humain comprend notamment l’accumulation des compétences générales et spécifiques d’un individu, son bien-être, sa santé…
7. Ghiglino C., Nishimura K., Venditti A., 2018, "Non-balanced endogenous growth and structural change : when Romer meets Kaldor and Kuznets", halshs-01934872. Genna K., Ghiglino C., Nishimura K., Venditti A., 2021, "Knowledge-based structural change"

Référence

Ghiglino C., Nishimura K., Venditti A., 2020, "A theory of heterogeneous city growth", International Journal of Economic Theory, 1-11

Commentaires

1 commentaire

Ayant parcouru en biais l'article cité en référence, je comprends mieux votre réflexion légèrement ironique sur la croissance exogène et endogène. Effectivement la fonction de Cobb-Douglas pose beaucoup plus de questions qu'elle n'apporte de réponse. En plus l'introduction du capital humain comme troisième facteur explicatif pour la production industrielle ne devrait pas faire plaisir aux chercheurs de l'INRA dont les services s'adressent à l'agriculture. Enfin ces trois facteurs capital, travail et capitale humain font toujours penser aux triades romaines, grecques et même égyptiennes. Elles semblent contenir un mystère aussi impénétrable que la trinité de concile de Nicée. .
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