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Dieu vous garde ! (Contre paiement)
02.03.2022, par Eva Raiber, Aurore Basiuk
Mis à jour le 02.03.2022

Entre assurance et protection divine, donner à l’Église peut rapporter. C’est ce que montrent les économistes Emmanuelle Auriol, Julie Lassébie, Amma Panin, Eva Raiber et Paul Seabright, en étudiant les causes des dons souvent importants – parfois plus de 10 % de leurs revenus ! – des paroissiens ghanéens.
Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.
La communauté religieuse est un des piliers de la vie sociale ghanéenne, notamment pour les pentecôtistes, des chrétiens évangéliques. Parmi les 1 070 personnes interrogées par les chercheurs pour leur étude, 40 % déclarent avoir rencontré leur époux ou épouse (ou pensent pouvoir le ou la trouver) au sein de leur communauté. L’appartenance à ces communautés est définie par l’implication de chacun en leurs seins, mais aussi par des dons, souvent mensuels, à l’autorité religieuse. Pour expliquer ces offrandes, Emmanuelle Auriol, Julie Lassébie, Amma Panin, Eva Raiber et Paul Seabright mettent en évidence deux mécanismes. D’une part, l’Église fournit une assurance informelle et aide ses membres en cas de difficultés, notamment financières. Parmi les participants à l’étude, 23 % avaient déjà reçu une aide financière de la part de leur église.  D’autre part, le don, qu’il soit pour l’Église ou pour une autre cause charitable, est une bonne action. Il est donc perçu comme entraînant des effets positifs : c’est une sorte de retour sur investissement spirituel. 

Photo d'un magasin au Ghana

L’omniprésence de Dieu

Panneaux publicitaires faisant la promotion de pasteurs1, noms de magasins tels que « Dieu est présent » ou « Par sa grâce », bâtiments de culte à tous les coins de rue… La religion est manifestement présente au Ghana, où plus de 94% de la population se déclare croyante2. Parmi les mouvements religieux les plus répandus, on trouve le pentecôtisme. Mouvance évangélique du protestantisme apparue aux États-Unis d’Amérique au début du XXe siècle, cette croyance (ainsi que d’autres croyances dites charismatiques) regroupe un quart des quelque 2 milliards de chrétiens dans le monde.

Le pentecôtisme repose sur l’idée d’interventions directes de la part de Dieu dans la vie des fidèles. Ainsi, lors des prêches, il n’est pas rare d’entendre des phrases telles que « Ce mois-ci, vous n’aurez pas d’accident, ni de maladie ou de stagnation » ou « Si vous donnez, vous n’aurez pas de jours sombres »3. L’idée est simple : non seulement « Dieu le rendra », mais il le rendra concrètement (avec une nouvelle voiture, un travail, le visa attendu…) et dans un court délai.

Les paroissiens offrent souvent un dixième de leurs revenus mensuels à l’Église. Cette dîme est accompagnée de dons ponctuels pour des besoins spécifiques de l’église (par exemple pour son infrastructure) et de l’argent donné lors des quêtes durant le service. S’intéresser aux raisons derrière ces offrandes prend alors tout son sens. Pour leur étude, les chercheurs ont établi un protocole précis.

Assurer ses funérailles

Pour leur étude, les chercheurs sont allés deux fois au Ghana, en 2015 et 2019, et ont interrogé plus de 1.000 pentecôtistes, appartenant à diverses paroisses. Ils ont aléatoirement créé trois groupes. Un tiers des fidèles se voyaient affiliés à une « assurance-funéraire » gratuite pendant un an. En cas de décès d’eux-mêmes ou d’un proche, leur famille recevait une aide financière pour l’organisation des funérailles, équivalant à quelques centaines de dollars. Un deuxième tiers recevait l’information qu’une telle assurance existait sans en bénéficier. Le dernier tiers servait de témoin et ne recevait ni l’assurance funéraire ni d’informations sur son existence. Pour proposer l’assurance, les chercheurs sont passés par l’intermédiaire de pasteurs.

Pourquoi une telle aide pour les funérailles ? Parce que, au Ghana, les obsèques sont souvent coûteuses. Occasion de réunir plusieurs centaines de personnes, ce sont des évènements festifs où les cercueils peuvent être en forme d’objets (avions, stylos…), et où les croque-morts ont le sens du rythme (vous avez peut-être vu cette vidéo surnommée « coffin dance » où six personnes portent un cercueil en dansant4).  De fait, les communautés religieuses fournissent souvent de l’aide lors des obsèques, qu’elle soit financière, matérielle, morale ou même logistique.

Photo d'une église charismatique au Ghana (elle ressemble à un bâtiment lambda)

Assurance formelle ou assurance divine ?

L’idée des économistes est simple : ils vont pouvoir observer si cette assurance formelle a un impact sur les donations à l’église. Pour cela, ils proposent à tous les participants de diviser une somme d’argent qui leur est fournie entre eux-mêmes, leur église, l’organisation nationale de la fête de « l’Action de grâce »5 (un évènement religieux important, mais qui n’est pas directement lié à leur église), et une association qui aide les enfants sans foyer à obtenir une éducation. Leur hypothèse est la suivante : l’assurance formelle se substituant en partie à l’assurance informelle donnée par la communauté religieuse, les dons envers l’église des personnes ayant souscrit à l’assurance devraient baisser (mais pas les autres dons). Pourtant, ils trouvent que, pour les personnes assurées, tous les dons baissent d’environ 12% par rapport aux personnes ayant eu seulement l’information sur l’assurance, et à celles n’ayant eu ni l’information ni l’assurance. 

Cela montre, qu’en plus du mécanisme d’assurance informelle, il existe l’idée que les bonnes actions, comme des dons à des associations caritatives ou des évènements nationaux, peuvent être récompensées par un mécanisme plus spirituel : une sorte d’assurance divine. Une assurance funéraire formelle diminue le besoin de cette assistance mystique et réduit par conséquent toutes les donations. L’idée que les actions ont un impact sur d’autres aspects de la vie n’est pas exclusive aux pentecôtistes : c’est tout le principe du karma ou plus largement des religions quelques qu’elles soient. Comme disait Fénelon dans Télémaque : « Le bien qu'on fait n'est jamais perdu ; si les hommes l'oublient, les dieux s'en souviennent »6.

Notes

1. Dylan Gamba, « Au Ghana, les églises rouvrent leurs portes, les fidèles restent prudents », Le Monde, 09/06/2020
2. Maier D. J., Fage J. D., Boateng E. A., Davies O., "Ghana", Encyclopedia Britannica, 18/03/2021
3. Traduction de Paul Gifford, 2004, "Ghana's New Christianity : Pentecostalism in a Globalising African Economy", Hurst & Co
4. DigiNeko, Coffin Dance (Official Music Video HD), Youtube 

5. Thanksgiving en anglais, à ne pas confondre avec la fête états-unienne.
6. François de Pons de Salignac de La Mothe-Fénelon,Les Aventures de Télémaque (1699), XVIII

Référence

Auriol E., Lassébie J., Panin A., Raiber E., Seabright P., 2020, “God Insures Those Who Pay? Formal Insurance and Religious Offerings in Ghana”, The Quarterly Journal of Economics, 135 (4), 1799–1848.

 

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