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Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

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Au Pérou, les petits agriculteurs en proie aux aléas climatiques
26.06.2025, par Cédric Crofils, Ewen Gallic, Gauthier Vermandel, Claire Lapique
Mis à jour le 26.06.2025

Sécheresse, pics de chaleur ou pluies extrêmes, les régions andines et tropicales sont les premières touchées par les aléas du changement climatique. Face à ces conditions climatiques de plus en plus imprévisibles, l’agriculture péruvienne est sous pression. Une équipe d’économistes s’appuie sur des données inédites pour mesurer l’impact de ces chocs climatiques sur la production agricole péruvienne.

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

Mangue juteuse, avocat, café, cacao, quinoa : nos étals européens sont devenus un régal tropical. Mais avant d’arriver à portée de main, ces récoltes ont d’abord patiemment poussées sous le soleil des plateaux andins ou dans la pénombre de forêts luxuriantes. Arrachées à la terre par des mains anonymes, elles ont ensuite effectué un long voyage transcontinental. Aujourd’hui, ce cycle est menacé. Le changement climatique bouleverse les calendriers agricoles.

Au Pérou, l’agriculture repose en grande partie sur les communautés andines et amazoniennes. Fortes de leurs savoirs traditionnels, elles pratiquent la culture en terrasse, la gestion communautaire de l’eau et la conservation des semences. Ce mode de vie a permis au Pérou de préserver une biodiversité exceptionnelle : plus de 3000 variétés de pommes de terre y sont cultivées. Le pays abrite par ailleurs une richesse d’écosystèmes, qui se traduit par une grande variété de techniques agricoles selon les régions. Sur la côte, les zones désertiques sont utilisées pour l’agriculture intensive irriguée, tandis que les montagnes andines et la forêt amazonienne sont cultivées par des petits agriculteurs.

C’est dans ces deux dernières régions que les aléas climatiques se font le plus violemment sentir, allant de graves sécheresses, aux pluies torrentielles ou à la fonte des glaces. Dans les zones tropicales, les écosystèmes sont sensibles aux variations de température et dépendent fortement des précipitations. Dans les Andes, les pics de chaleur fragilisent les cultures traditionnelles, comme celle de la pomme de terre et du quinoa. Les agriculteurs sont parfois contraints de déplacer leurs plantations vers des terres plus élevées en altitude, déstabilisant ainsi les écosystèmes des hauts plateaux moins peuplés et accentuant la concurrence pour les terres. Mais peu d’alternatives s’offrent aux petits producteurs – majoritaires au Pérou – qui se retrouvent démunis face à la précarité et l’insécurité alimentaire.

Terrasse du village Pisac au Pérou

Des chocs sous les tropiques

Si l’adaptation est indispensable pour les populations, elle l’est aussi pour les institutions. Les outils d’analyse économique permettent d’orienter les politiques publiques. Pourtant, une part importante des études sur les chocs climatiques se concentrent sur les pays développés. Dans ces pays, les données sont fournies annuellement, ce qui coïncide avec les saisons agricoles d’une récolte par an. L’analyse se base sur des données fournies annuellement ce qui permet d’étudier convenablement le climat tempéré des pays occidentaux, en observant l’unique saison de récolte dans l’année. Mais que se passe-t-il dans des régions tropicales où les récoltes se font au fil de l’année, sans calendrier spécifique ?

Les économistes Cédric Crofils, Ewen Gallic et Gauthier Vermandel apporte un nouvel éclairage en adoptant une méthode qui permet de rendre compte de la « granularité » des données, c’est-à-dire des variations de la production tout au long de l’année. L’équipe de chercheurs s’appuient sur des données du ministère de l’Agriculture du Pérou, qui ont l’avantage – plutôt rare - d’être recueillies mensuellement.

Les chercheurs se sont penchés sur les « anomalies » de températures et de précipitations qui pouvaient affecter les cultures péruviennes de riz, maïs, pomme de terre et manioc entre 2001 et 2015. Pour quantifier un choc climatique, ils ont d’abord observé la moyenne des températures maximales mensuelles de différentes régions. Le choc de température s’observe comme un écart à la moyenne. Un écart positif indique une température plus élevée que la moyenne du mois concerné, tandis qu’un écart négatif traduit une température plus faible qu’habituellement. Un choc climatique est défini ici comme un écart inhabituel du climat sur un mois donné par rapport à ce qui était observé en moyenne à cette même période

Grâce à leur méthode, les auteurs peuvent non seulement mesurer l’impact mais aussi ses effets dans le temps. Aussi, ils ont pu montrer qu’un choc climatique entraîne une réduction des récoltes, en particulier celles du riz et du maïs. Les effets sont durables sur les rendements, puisque les cultures peinent à retrouver leur état d’équilibre antérieur.

Différentes variétés de pomme de terre de couleurs et de formes différentes

Une réduction de la production agricole

Sous le ciel andin, la pomme de terre est reine. Cultivée depuis 8000 ans par les peuples andins, elle incarne aujourd’hui la fragilité agricole : après une production en hausse entre 2014 et 2022 a succédé une baisse brutale de 10 % en 2023, conséquence directe d’événements climatiques extrêmes. Un phénomène qui pourrait s’étendre aux autres cultures.

Les auteurs montrent qu’un écart de température ou de précipitation entraîne une baisse de 8% à 15% de la production agricole pour les quatre cultures étudiées. Cela représente un impact de taille pour le pays, avec une diminution de 0,1% du PIB. En 2023, le secteur agricole représentait 7,19%du PIB péruvien. Le pays connaît une inflation accrue et une chute des exportations, dans un contexte où l’agriculture compte pour 16,5 % des exportations totales.

Analyser l’impact du changement climatique dans les zones tropicales, encore peu étudiées, est essentiel pour penser des politiques d’adaptation efficaces. Les données du changement climatique sont d’ailleurs de plus en plus prises en compte dans les orientations des politiques monétaires des organismes internationaux comme la Banque Centrale Européenne par exemple.
Paysage agricole et agriculteurs récoltant du maïs à Pérù

Faire face aux chocs climatiques

De son côté, le gouvernement péruvien a amorcé des mesures d’adaptation pour faire face au changement climatique. Celles-ci incluent notamment des projets de reforestation, de gestion durable de l’eau, ou d’agriculture résiliente. On peut citer l’introduction de cultures plus résistantes à la sécheresse, la mise en place de techniques de conservation des sols ou l’installation de plans d’irrigation, de sorte à réduire la dépendance aux précipitations. L’amélioration de l’accès aux données météorologiques pour les agriculteurs est en cours de réflexion. La prise en compte des effets du changement climatique permet d’orienter la marche à suivre pour les pays les plus exposés. 

La méthode utilisée par les chercheurs, adaptée aux cultures multiples et aux climats tropicaux, ainsi que la multiplication des données météorologiques et agricoles dans ces zones, permet non seulement de mieux quantifier l’impact climatique, mais aussi d’identifier les variétés les plus vulnérables.

Enfin, l’analyse portée vers les zones tropicales met aussi en lumière la résilience des communautés locales, qui, depuis des générations, ont développé des systèmes collectifs d’adaptation, comme l’irrigation gravitaire communautaire – une irrigation gérée collectivement – ou bien l’installation d’amunas (anciens systèmes hydrauliques permettant de stocker l’eau de pluie dans le sol). La prise en compte des aléas climatiques permet d’accompagner au mieux les populations et les cultures qui y résistent déjà.

Référence 

Crofils, C., Gallic, E., Vermandel, G., 2025. « The dynamic effects of weather shocks on agricultural production ». Journal of Environmental Economics and Management, 130, 103078.