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Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

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Emploi : faire marcher ses réseaux, mais lesquels ?
29.01.2025, par Sofia Ruiz Palazuelos, Claire Lapique
Mis à jour le 29.01.2025
Sur le marché du travail, 30 à 50 % des postes s’obtiendraient grâce aux réseaux de connaissances. Mais sur lesquels s’appuyer pour décrocher un emploi ? Surprise : ce ne sont pas les cercles d’amis proches qui fonctionnent le mieux !

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

Pour obtenir un emploi, traverser la rue est rarement suffisant. Il faut savoir développer différentes stratégies : prospecter, peaufiner sa candidature, mais aussi « réseauter ». Les cercles de connaissances peuvent en effet servir de tremplin pour la carrière, et certains n’hésitent pas à jouer de leurs contacts. Mais, au-delà des collègues, les amis jouent aussi un rôle crucial en faisant circuler les offres d’emploi.

Or des contacts dispersés qui ne se connaissent pas entre eux et une bande d’amis proches qui se regroupent fréquemment ne sont pas la même chose. Et les liens que nous tissons avec les autres peuvent avoir des conséquences sur les opportunités que nous recevons. Une équipe de chercheurs nous montre comment et surtout grâce à quels réseaux être plus facilement embauché1

Réseauter, oui, mais comment ?

LinkedIn, mais aussi Facebook, Instagram et bien d’autres réseaux sociaux sont devenus des plateformes d’embauche. En 2017, aux États-Unis, la chaîne de fast-food McDonald’s lançait sa campagne de recrutement sur le réseau Snapchat, en diffusant des vidéos de 10 secondes de ses employés présentant les avantages à travailler chez McDo2. En quelques clics, les utilisateurs pouvaient accéder aux offres d’emploi près de chez eux et postuler sur Internet.

L’entreprise n’est d’ailleurs pas la seule à chercher ses employés sur les réseaux. Dès 2016, la directrice marketing de la banque J.P. Morgan annonçait déjà au média Business Insider3 : « Vous devez aller chercher les gens là où ils sont et là, ils sont sur Snapchat. »

Deux femmes discutant d'un projet de création d'entreprise. (Photo Wayhome.Studio /stock.adobe.com)

Aujourd’hui, près de 82 % des demandeurs d’emploi utilisent les réseaux sociaux. Mais il n’y a pas que sur Internet que les réseaux de connaissances permettent d’obtenir un emploi. Les cercles d’amis côtoyés au quotidien sont aussi fréquemment utilisés : 30 à 50 % des emplois seraient obtenus grâce aux contacts personnels, selon plusieurs études. Toutefois, la qualité du réseau et sa structure peuvent avoir des conséquences inattendues sur la probabilité d’obtenir un emploi. 

En 1973, Mark Granovetter, un sociologue américain, montrait que 16,7 % des employés interrogés avaient eu connaissance d’offres d’emploi grâce à leur cercle d’amis proches, tandis que 83,4 % d’entre eux avaient trouvé un emploi grâce à leur cercle de connaissances éloignées. Un résultat surprenant, qui a poussé les économistes Sofía Ruiz Palazuelos, María Paz Espinosa et Jaromír Kovářík à se pencher sur l’impact des réseaux dans la recherche d’emploi. 

« La force des liens faibles »

La plupart des chercheurs partagent ce constat : plus on a d’amis, plus on a de chances de recevoir des opportunités d’emploi. Cette probabilité augmente avec le nombre de contacts dont on dispose, puisque chacun d’eux représente une source d’information potentielle, comme le montre l’économiste Toni Calvó-Armengol. 

Le chercheur Mark Granovetter a apporté un nouvel élément de compréhension en mettant en avant « la force des liens faibles4 ». Plus nous avons d’amis en commun avec une personne, plus le lien que nous tissons avec cette personne est fort. En revanche, les liens faibles ont peu d’amis en commun, ce qui les convertit en sources d’informations utiles. Puisque les connaissances éloignées (les liens faibles) ne partagent pas les mêmes amis et cercles sociaux, elles auraient accès à des informations inédites et apportent de nouvelles opportunités.

Avec sa théorie, le sociologue se penche donc sur le contenu de l’information. Or les économistes Sofía Ruiz-Palazuelos, María Paz Espinosa et Jaromír Kovářík ont voulu explorer si l’avantage des relations « faibles » n’était pas aussi dû à la façon dont l’information se diffuse, c’est-à-dire à la structure du réseau. Pour eux, avoir plus d’amis ne permet pas toujours d’obtenir plus facilement un emploi, du moins pas dans les conditions de leur modèle théorique. 

La capacité du réseau à diffuser l’information

Leur modèle simplifie la réalité, en imaginant un monde où toutes les personnes ont exactement les mêmes qualifications et où les personnes employées, qui ont connaissance d’une offre d’emploi, informent tous leurs amis à ce sujet5.

Dans ce système, les chercheurs montrent que l’importance des liens faibles dépend principalement de la capacité du réseau à diffuser l’information. Ainsi, les personnes ayant des amis dans différents cercles sociaux ont plus de chances de trouver un emploi que celles dont les amis appartiennent au même groupe. Cela reste valable même s’il y a beaucoup de candidats en compétition pour l’offre d’emploi.

Pour comprendre ce résultat, il faut imaginer qu’un de nos amis déjà en poste ait connaissance d’une offre d’emploi et la partage avec leur cercle. Tous ceux qui sont sans emploi dans ce groupe vont alors postuler. Plus vous avez d’amis en commun avec la personne qui partage l’information, plus vous serez en concurrence directe pour ce travail, ce qui réduit vos chances.

En revanche, si notre contact a des amis dans différents groupes sociaux, il est plus probable que certains d’entre eux n’aient aucun lien avec des personnes sans emploi, ce qui vous donne une meilleure chance de décrocher l’emploi, en étant parmi les premiers à en entendre parler.

Huit personnes assises de dos sur un mur et se tenant par les épaules. (Photo par Duy Pham sur Unsplash)

Il faut ajouter que les membres d’un même réseau d’amis se retrouvent souvent dans des situations professionnelles similaires, comme une période de chômage ou la crise d’un secteur d’activité. Dans ce cas, tout le groupe peut se retrouver à chercher un emploi en même temps, ce qui limite la diffusion de l’information.

À l’inverse, dans un réseau plus large et diversifié, il est plus probable de trouver des situations professionnelles différentes, augmentant la chance de connaître quelqu’un qui ne connaît personne à la recherche d’un emploi. 

L’idée selon laquelle plus on a d’amis, plus on a de chances de trouver un emploi n’est vraie que si les réseaux sont structurés de la même manière. Une personne dont les contacts ne se connaissent pas entre eux peut avoir plus d’opportunités qu’une autre, même si elle a moins d’amis. 

Des pistes pour comprendre les enjeux sociaux

Bien que ce modèle économique suggère de privilégier les cercles de connaissances, il reste difficile à appliquer au quotidien. On espère que l’amitié prime encore sur les stratégies professionnelles. Heureusement, les conclusions des auteurs se basent sur un modèle simplifié et invitent à l’enrichir en incluant de nouvelles variables. Dans leur article, ils s’intéressent par exemple aux situations où les individus se voient proposer des emplois aux salaires différents. Dans un tel cas, les personnes qui ont des amis en commun auraient moins de chance de trouver un emploi, mais, s’ils l’obtiennent, ils pourraient choisir celui qui offre le plus.

D’autres scénarios pourraient aussi être explorés. Par exemple, le modèle se fonde sur l’idée que les individus partagent automatiquement les offres d’emploi qu’ils connaissent. Mais ils pourraient aussi développer différentes stratégies visant à ne les communiquer que sous certaines conditions. En ajoutant cette modalité, les chercheurs apporteraient de nouveaux éléments de compréhension à l’impact des réseaux sur l’emploi. 

Cela dit, le modèle propose des pistes pour réfléchir à l’influence des relations interpersonnelles sur l’employabilité. Les institutions ou les entreprises sont amenées à prendre en compte la structure des réseaux dans leurs dispositifs d’embauche. On peut ainsi comprendre pourquoi certaines entreprises utilisent les réseaux sociaux, car ils facilitent la diffusion d’informations à travers les liens « faibles ».

Cette théorie peut aussi expliquer certaines injustices sociales. Par exemple, la structure des réseaux de connaissance varie selon le genre, ce qui peut avoir des conséquences dans le monde professionnel. Les hommes et les femmes nouent des liens différents avec leurs amis. Les femmes privilégient les relations « aux liens forts » avec plusieurs amis en commun, tandis que les hommes préfèrent des relations plus variées entre différents groupes de connaissances6. Selon ce modèle, les relations entretenues par les hommes permettraient un meilleur accès à l’information. Les auteurs apportent donc de nouveaux éléments de compréhension des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. 

Si ces modèles en réseaux ne sont pas toujours un reflet exact de la réalité sociale, ils permettent d’identifier des enjeux importants, allant du marché du travail aux inégalités sociales. ♦

Notes