Donner du sens à la science

A propos

Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

Les auteurs du blog

Plus d'informations sur l'équipe de rédaction et le comité éditorial : www.dialogueseconomiques.fr/a-propos

A la une

Emploi : faire marcher ses réseaux, mais lesquels ?
22.01.2025, par Sofia Ruiz Palazuelos, Claire Lapique
Mis à jour le 22.01.2025

Faire jouer son réseau est parfois une stratégie qui paye sur le marché du travail. Selon plusieurs études en économie, 30 à 50% des postes seraient obtenus grâce aux cercles de connaissances. Mais encore faut-il savoir sur quels réseaux s’appuyer pour être embauché. Selon les économistes Sofía Ruiz-Palazuelos, María Paz Espinosa et Jaromír Kovářík, les réseaux de connaissances éloignées fonctionneraient mieux que les cercles d’amis proches. Un éclairage intéressant qui remet en question certaines idées reçues. 

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

Pour obtenir un emploi, traverser la rue est rarement suffisant. Il faut savoir développer différentes stratégies : prospecter, peaufiner sa candidature mais aussi « réseauter ». Les cercles de connaissances peuvent en effet servir de tremplin pour la carrière et certains n’hésitent pas à jouer de leurs contacts. Mais au-delà des collègues, les amis jouent aussi un rôle crucial en faisant circuler les offres d’emplois. Or, ce n’est pas la même chose d’avoir des contacts dispersés qui ne connaissent pas entre eux qu’une bande d’amis proches qui se regroupent fréquemment. Et, les liens que nous tissons avec les autres peuvent avoir des conséquences sur les opportunités que nous recevons. L’équipe de chercheurs nous montre comment et surtout quels réseaux permettent d’être facilement embauché. 

Réseauter, oui mais comment ?

LinkedIn, mais aussi Facebook, Instagram et bien d’autres réseaux sociaux sont devenus des plateformes d’embauche. En 2017, aux États-Unis, la chaîne de fast-food McDonald lançait sa campagne de recrutement sur le réseau Snapchat en diffusant des vidéos de 10 secondes de ses employés présentant les avantages à travailler chez McDo. En quelques clics, les utilisateurs pouvaient accéder aux offres d’emploi près de chez eux et postuler sur internet. L’entreprise n’est d’ailleurs pas la seule à chercher ses employés sur les réseaux. Dès 2016, la directrice marketing de la banque JPMorgan annonçait déjà au média Business Insider « Vous devez aller chercher les gens là où ils sont et là, ils sont sur Snapchat ».

Deux femmes se réunissant pour discuter d'un projet de création d'entreprise. Elles tiennent une tablette et un cahier à spirale, portent des vêtements élégants et des sacs et posent près d'un bâtiment urbain, en plein air. Réunion d'étudiants

Aujourd’hui, près de 82 % des demandeurs d’emploi utilisent les réseaux sociaux. Mais il n’y a pas que sur internet que les réseaux de connaissances permettent d’obtenir un emploi. Les cercles d’amis côtoyés au quotidien sont aussi fréquemment utilisés : 30 à 50 % des emplois seraient obtenus grâce aux contacts personnels. Toutefois, la qualité du réseau et sa structure peuvent avoir des conséquences inattendues sur la probabilité d’obtenir un emploi. 

D’un glissement de doigt, les utilisateurs intéressés se retrouvent sur la page de candidature de la firme sur Snapchat, qui leur présente les offres disponibles près de chez eux, auxquelles ils peuvent postuler en quelques minutes.

En 1973, Mark Granovetter, un sociologue américain, montrait que 16,7 % des employés interrogés ont eu connaissance d’offres d’emploi grâce à leur cercle d’amis proches, tandis que 83,4 % d’entre eux ont trouvé un emploi grâce à leur cercle de connaissances éloignées. Un résultat surprenant qui a poussé les économistes Sofía Ruiz-Palazuelos, María Paz Espinosa et Jaromír Kovářík à se pencher sur l’impact des réseaux dans la recherche d’emploi. 

Les liens faibles

La plupart des chercheurs partagent ce constat : plus on a d’amis, plus on a de chances de recevoir des opportunités d’emploi. Cette probabilité augmente avec le nombre de contacts dont on dispose puisque chacun d’eux représente une source d’information potentielle, comme le montre l’économiste Toni Calvó-Armengol. 

Le chercheur Mark Granovetter a apporté un nouvel élément de compréhension en mettant en avant la « force des liens faibles ». Plus nous avons d’amis en commun avec une personne, plus le lien que nous tissons avec cette personne est fort. En revanche, les liens faibles ont peu d’amis en communs, ce qui les convertit en sources d’informations utiles. Puisque les connaissances éloignées — les liens faibles — ne partagent pas les mêmes amis et cercles sociaux, elles auraient accès à des informations inédites et apportent de nouvelles opportunités. Avec sa théorie, le sociologue se penche donc sur le contenu de l’information. Or, les économistes Sofía Ruiz-Palazuelos, María Paz Espinosa et Jaromír Kovářík ont voulu explorer si l’avantage des relations « faibles » n’était pas aussi dû à la façon dont l’information se diffuse, c’est-à-dire à la structure du réseau. Pour eux, avoir plus d’amis ne permet pas toujours d’obtenir plus facilement un emploi, du moins pas dans les conditions de leur modèle théorique. 

Faire connaissance

Leur modèle simplifie la réalité en imaginant un monde où toutes les personnes ont exactement les mêmes qualifications, et où les personnes employées, qui ont connaissance d’une offre d’emploi, informent tous leurs amis à ce sujet1.

Dans ce système, les chercheurs montrent que l’importance des liens faibles dépend principalement de la capacité du réseau à diffuser l’information. Ainsi, les personnes ayant des amis dans différents cercles sociaux ont plus de chances de trouver un emploi que celles dont les amis appartiennent au même groupe. Cela reste valable même s’il y a beaucoup de candidats en compétition pour l’offre d’emploi.

Pour comprendre ce résultat, il faut imaginer qu’un de nos amis déjà en poste ait connaissance d’une offre d’emploi et la partage avec leur cercle. Tous ceux qui sont sans emploi dans ce groupe vont alors postuler. Plus vous avez d’amis en commun avec la personne qui partage l’information, plus vous serez en concurrence directe pour ce travail, ce qui réduit vos chances. En revanche, si notre contact a des amis dans différents groupes sociaux, il est plus probable que certains d’entre eux n’aient aucun lien avec des personnes sans emploi, ce qui vous donne une meilleure chance de décrocher l’emploi, en étant parmi les premiers à en entendre parler.

personnes se tenant par les épaules, assises sur un mur

Il faut ajouter que les membres d’un même réseau d’amis se retrouvent souvent dans des situations professionnelles similaires, comme par exemple une période de chômage ou la crise d’un secteur d’activité. Dans ce cas, tout le groupe peut se retrouver à chercher un emploi en même temps, ce qui limite la diffusion de l’information. À l’inverse, dans un réseau plus large et diversifié il est plus probable de trouver des situations professionnelles différentes, augmentant la chance de connaître quelqu’un qui ne connaît personne à la recherche d’un emploi. 

L’idée selon laquelle plus on a d’amis, plus on a de chances de trouver un emploi, n’est vraie que si les réseaux sont structurés de la même manière. Une personne dont les contacts ne se connaissent pas entre eux peut avoir plus d’opportunités qu’une autre, même si elle a moins d’amis. 

Des pistes pour comprendre les enjeux sociaux

Bien que ce modèle économique suggère de privilégier les cercles de connaissance, il reste difficile à appliquer dans la vie quotidienne. On espère que l’amitié prime encore sur les stratégies professionnelles. Heureusement, les conclusions des auteurs se basent sur un modèle simplifié et invitent à l’enrichir en incluant de nouvelles variables. Dans leur article, ils s’intéressent par exemple aux situations où les individus se voient proposer des emplois aux salaires différents. Dans un tel cas, les personnes qui ont des amis en commun auraient moins de chance de trouver un emploi, mais s’ils l’obtiennent, ils pourraient choisir parmi celui qui offre le plus.

D’autres scénarios pourraient aussi être explorés. Par exemple, le modèle se base sur l’idée que les individus partagent automatiquement les offres d’emploi qu’ils connaissent. Mais ils pourraient aussi développer différentes stratégies visant à ne les communiquer que sous certaines conditions. En ajoutant cette modalité, les chercheurs apporteraient de nouveaux éléments de compréhension à l’impact des réseaux sur l’emploi. 

Cela dit, le modèle propose des pistes pour réfléchir à l’influence des relations interpersonnelles sur l’employabilité. Les institutions ou les entreprises sont amenées à prendre en compte la structure des réseaux dans leurs dispositifs d’embauche. On peut ainsi comprendre pourquoi certaines entreprises utilisent les réseaux sociaux, car ils facilitent la diffusion d’informations à travers les liens « faibles ». 

Cette théorie peut aussi expliquer certaines injustices sociales. Par exemple, la structure des réseaux de connaissance varie selon le genre, ce qui peut avoir des conséquences dans le monde professionnel. Les hommes et les femmes nouent des liens différents avec leurs amis : les femmes privilégient les relations « aux liens forts » avec plusieurs amis en commun, tandis que les hommes préfèrent des relations plus variées entre différents groupes de connaissances2. Selon ce modèle, les relations entretenues par les hommes permettraient un meilleur accès à l’information. Les auteurs apportent donc de nouveaux éléments de compréhension des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. 

Si ces modèles en réseaux ne sont pas toujours un reflet exact de la réalité sociale, ils permettent d’identifier des enjeux importants, allant du marché du travail aux inégalités sociales. 

 

Référence 

Ruiz-Palazuelos, S., M. P. Espinosa, J. Kovarik. 2023. « The Weakness of Common Job Contacts”». European Economic Review, 160, 104594.

Notes

1. Calvó-Armengol A. , Matthew O. J., 2004. "The Effects of Social Networks on Employment and Inequality." American Economic Review, 94 (3): 426–454.

2. Prummer A. 2020 "Micro-targeting and polarization" Journal of Public Economics, 188-104210