Logo du CNRS Le Journal Logo de CSA Research

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Votre avis nous intéresse.

Le CNRS a mandaté l’institut CSA pour réaliser une enquête de satisfaction auprès de ses lecteurs.

Répondre à cette enquête ne vous prendra que quelques minutes.

Un grand merci pour votre participation !

Grande enquête « CNRS Le Journal »
Donner du sens à la science

A propos

Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

Les auteurs du blog

Plus d'informations sur l'équipe de rédaction et le comité éditorial : www.dialogueseconomiques.fr/a-propos

A la une

La révolte des cartables : éduquer pour démocratiser
22.07.2020, par Raouf Boucekkine et Claire Lapique
Mis à jour le 22.07.2020

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

La démocratie nait-elle nécessairement du soulèvement populaire ? La plupart des transitions démocratiques du siècle dernier n’ont pas eu besoin de révolte pour s’établir. Les élites autoritaires cèdent parfois le pouvoir, lorsqu’elles y trouvent un intérêt. Les économistes Raouf Boucekkine, Paolo G. Piacquadio et Fabien Prieur s’intéressent aux conditions d’une passation pacifique, en soulignant combien l’éducation cultive un terrain fertile à la démocratie. 

La démocratie s’est imposée au cours du XXème siècle comme un idéal à atteindre. Dès 1975, la vague démocratique s’est étendue à l’Europe du Sud, pour rejoindre certains pays africains ou latino-américains et les ex bastions du bloc soviétique à la fin du siècle. Ces changements notoires ont permis à nombre de régimes autoritaires de s’éclipser et de laisser place au terreau de la démocratie. Comment est-on passé de l’autoritarisme à la démocratie ? 

Faut-il faire la révolution ? 

En 1789, la Bastille est prise d’assaut au nom de la souveraineté du peuple. La fameuse Révolution française met fin à la monarchie absolue en proclamant la Première République. Toutefois, tous les processus de démocratisation ne sont pas nés dans un bain de sang. Il n’est pas toujours nécessaire de couper des têtes. Et pour cause, depuis 1960, sur les 227 transitions démocratiques recensées dans le monde, seulement 30 ont connu une période révolutionnaire, soit 13%. Autrement dit, 87% des transitions du siècle passé se sont faites pacifiquement. Difficile de croire qu’un dictateur ou une junte militaire lâcherait son pouvoir par pure abnégation ou bonté de cœur. Alors, comment les démocraties ont pu fleurir dans le champ politique au cours de cette période ? 

En sciences humaines, il existe des théories divergentes pour interpréter le processus de démocratisation. Deux paradigmes s’opposent principalement. Le premier suppose que ce sont les institutions démocratiques qui, les premières, permettent le développement économique. C’est donc à travers le bon fonctionnement des structures étatiques et le respect des règles démocratiques que l’on obtient un État apte à se moderniser. D’autres considèrent, au contraire, que c’est le développement économique qui impulse le processus, en générant un terrain fertile pour que puisse naître la démocratie. Cette dernière perspective a été soutenue et théorisée par Seymour Martin Lipset dans le domaine des sciences politiques. Pour lui, la croissance nourrit une véritable culture politique en véhiculant des valeurs et attitudes démocratiques, à l’aide de l’éducation principalement. La littérature économique ne manque pas d'études empiriques sur le lien entre éducation et démocratie. Mais curieusement, les mécanismes subtils mis en avant par Lipset ont été très peu mis à l'épreuve de l'analyse théorique jusqu’aujourd’hui. Pour y remédier, Raouf Boucekkine, Paolo G. Piacquadio et Fabien Prieur proposent une reformulation théorique originale permettant de comprendre comment les États autoritaires peuvent cheminer vers la démocratie au regard de leur développement et de leur système éducatif. 

Photo d'une salle de classe

Ah, sacré Charlemagne ! 

« Après le pain, l'éducation est le premier besoin d'un peuple ».
C’est en tant que révolutionnaire et au nom de la démocratie que Danton écrit ses lignes. Mais pour éduquer, il n’est pas toujours nécessaire de passer par la révolte. Suffit-il alors de bénéficier de ressources économiques ? Dans leur modèle, les économistes s’intéressent aux régimes autoritaires qui disposent de ressources naturelles. Ils montrent que ces richesses ne suffisent pas à elles-seules pour démocratiser, mais elles représentent un atout indéniable si elles sont redirigées vers l’éducation. 

L’éducation est un paramètre important pour la transition. C’est à la fois un outil de développement économique tout comme un moyen de démocratiser la société. En éduquant son peuple, l’État obtient un avantage futur puisqu’il forme une génération de travailleurs qualifiés (il développe son capital humain) qui appuiera la production et la croissance du pays. Il existe cependant un inconvénient : une population éduquée aspire à de nouvelles valeurs et libertés. Elle devient beaucoup plus sensible aux inégalités et dispose de plus d’outils pour se faire entendre. Un régime autoritaire doit donc peser le pour et le contre avant de décider d’éduquer sa population. Un certain nombre de paramètres le feront pencher pour l’éducation, quitte à perdre en influence. Alors, « qui a eu cette idée folle, un jour d’inventer l’école ? »1.

Négocier son départ 

En Corée du Sud, l’élite dirigeante présente à la fin du XXème siècle, s’est peu à peu effacée pour laisser place à de nouvelles institutions démocratiques. En 1987, les Sud-Coréens ont ainsi pu élire librement leur président au suffrage universel, aux termes de plus de dix-sept ans d’autoritarisme. Mais qu’est-ce qui peut pousser l’élite à décider volontairement de quitter le pouvoir ? 

Les dirigeants autoritaires sont plus enclins à faire place nette lorsqu’ils arrivent à négocier quelque chose en échange. En Afrique du Sud, la violence de l’apartheid s’est résolue à l’issue de trois années de négociations. Les élections multiraciales en 1994 ont pu être établies grâce à des contreparties laissées au gouvernement De Klerk alors en place. 

Photo d'une affiche "Dont think, Dont ask, Pay tax, vote for us"

Pour que les élites quittent le navire, un partage du gâteau doit être garanti. Ce partage est d’autant plus assuré que la transition se fera d’une façon pacifiée. Et dans cette situation, l’éducation joue un rôle clef. Une population éduquée a plus de chance d’observer le respect de valeurs démocratiques telle que la justice. Il est alors plus facile de se regrouper à la table des négociations et de concevoir des canaux de transition qui offrent aux élites une juste rétribution des richesses. Pour étudier ce partage, les auteurs utilisent le schéma de négociation généralisé de Nash dans leur modèle, un outil classique en science économique. 

L’éducation, à n’importe quel prix ? 

L’éducation n’est toutefois pas à l’abri d’une instrumentalisation par le régime. Les chercheurs mettent en garde face aux multiples facettes de l’éducation. En Chine, le régime autoritaire a établi un véritable système d’éducation de masse, où l’enseignement supérieur et les écoles forment les travailleurs qualifiés. Dans le même temps, l’éducation a pu servir le régime et soutenir le patriotisme. Au-delà de ce dévoiement, l’efficacité elle-même de l’éducation est en jeu. Les pays du Moyen-Orient par exemple, ont effectué d’importants investissements en capital humain sans retour réel en termes de croissances, et avec des résultats peu enviables face aux contextes européens ou asiatiques.

Ces différentes situations illustrent une grande hétérogénéité dans la façon d’appréhender l’éducation. Celle-ci n’est bénéfique pour le développement et la démocratie que s’il existe un bon retour sur investissement. Autrement dit, aux termes de la formation, obtient-on des personnes qualifiées ? Combien seront les ingénieurs prêts à œuvrer pour le développement de la nation ? Investir beaucoup d’argent dans le système éducatif n’est pas suffisant. On peut éduquer un nombre considérable de personnes, si l’éducation est médiocre, les résultats sur la croissance et la démocratisation se feront toujours attendre. 

Photo d'un enfant lisant un livre

Pour un système éducatif plus effectif 

Alors que beaucoup de pays sont riches en ressources naturelles, en particulier en Afrique, ils restent bloqués dans une trappe à pauvreté.  Pour les en sortir, les institutions internationales et les ONG financent des programmes éducatifs et multiplient les écoles sur le territoire africain. Les auteurs de l’article s’élèvent contre cette approche limitante de l’éducation. Pour eux, les résultats d’une éducation efficace doivent être analysés du point de vue de la qualité plutôt que de la quantité. Élever le taux d’alphabétisation n’est pas suffisant pour sortir les pays de la pauvreté ou soutenir les transitions démocratiques. La conclusion de leur modèle est claire : l’éducation efficace est un levier opportun. Pourquoi s’en priver ? Qu’il s’agisse des États ou de l’aide internationale, il faut développer des méthodes innovantes et une approche différente qui ciblent l’efficacité du système éducatif. 

Alors que le processus de transitions démocratiques s’est peu à peu essoufflé, au point que certains ont parlé de régression de la démocratie à travers le monde, les résultats des économistes insufflent l’espoir. Leur modèle met en avant une des clefs de voute de la démocratie et dévoile la marche à suivre pour que celle-ci fonctionne. En alliant la science politique à l’économie, les auteurs soulignent de façon innovante les outils adéquats pour la démocratie, qu’ils soient impulsés par l’État ou par les institutions internationales.  

Référence
Boucekkine R., Piacquadio P. G., Prieur F., 2019, "A Lipsetian theory of voluntary power handover," Journal of Economic Behavior & Organization, 168(C), 269-291.

Note
1. En référence à la chanson « Sacré Charlemagne » interprétée par France Gall et écrite par Robert Gall

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS