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En Chine, les parents continuent de jouer un rôle prépondérant dans le choix des partenaires de leurs enfants. Les chercheurs Eva Raiber, Weiwei Ren, Jeanne Bovet, Paul Seabright et Charlotte Wang se sont penchés sur leurs préférences et l’adéquation avec le souhait de leurs enfants.
Chaque samedi au parc Green Lake à Kunming, en Chine, se déroule un « marché du mariage ». Les parents s’y rencontrent pour discuter et rechercher un partenaire pour leurs enfants célibataires. Des feuilles de papiers sur les murs du parc indiquent leurs âges, leurs situations professionnelles ou encore les biens qu’ils possèdent. On peut également y consulter les informations des autres participants ou contacter les agences matrimoniales présentes sur place. Si ce genre de pratiques se multiplie dans les villes du pays le plus peuplé du monde avec 1,4 milliard d'habitants, c’est parce que la Chine fait face à un problème de société encore inconnu il y a quelques années : l'augmentation du célibat et le recul de l’âge du mariage.
La littérature économique a beaucoup décrypté les préférences des partenaires notamment à travers l’étude des sites de rencontre1 . Les chercheurs Eva Raiber, Weiwei Ren, Jeanne Bovet, Paul Seabright et Charlotte Wang mettent en évidence l'importance des préférences parentales dans le processus de sélection d'un conjoint, alors que près d’un tiers des couples mariés entre 1980 et 2014 en Chine ont été présentés l’un à l’autre par des parents ou des proches. Ils ont interrogé les parents du parc de Kunming à propos des caractéristiques telles que l'âge, le niveau d'éducation, le revenu, l'ethnicité et la propriété immobilière qu’ils recherchent chez les partenaires potentiels en leur montrant des profils hypothétiques. Ils ont ensuite comparé ces préférences aux résultats réels des mariages dans la population générale et avec les préférences d’un groupe d’étudiants recueillies de la même manière.
Les normes sociales et l’État pèsent de tout leur poids
Dans la République Populaire de Chine, le mariage est traditionnellement considéré comme extrêmement important dans la société chinoise et il est encore perçu par les parents comme une étape essentielle de la vie adulte2 . Découlant des préceptes du confucianisme, il est largement conçu comme un accord entre familles plutôt qu'entre individus3 . Jusqu’à la moitié du XXè siècle, les mariages “arrangés” étaient monnaie courante. Lorsque le Parti communiste chinois (PCC) prend le pouvoir en 1949, il déclare l'égalité des sexes ainsi que la nécessité d'un mariage basé sur le consentement mutuel des deux époux. Ce n’est plus la famille, mais le parti qui édicte les règles pour se marier, choisir son époux ou divorcer. Jusqu’en 2003, les couples désireux de se marier devaient par exemple obtenir l’autorisation de leur unité de travail.
Dans les années 1980, le PCC veut réduire le taux de natalité du pays. La politique de l’enfant unique, mise en place dans les années 80 et consacrée dans une loi en 2001, rigoureusement appliquée durant plus de 30 ans, limite la majorité des couples à un enfant en milieu urbain (souvent deux en milieu rural si le premier enfant est une fille). Nombreux sont ceux qui choisissent de privilégier un enfant de sexe masculin. Cette politique contribuera à déséquilibrer fortement l’équilibre hommes-femmes. Avec 104,9 hommes pour 100 femmes en 2010, la Chine présente, après l’Inde, le rapport de masculinité le plus élevé au monde.
Aujourd’hui, 240 millions de personnes y vivent seules, soit une sur six, selon le dernier recensement de 2018. Le taux de mariages a connu en 2022 son plus bas niveau depuis 1986, avec seulement 6,8 millions de cérémonies, selon les données officielles, soit 800 000 de moins qu’en 2021. En plus du déficit de femmes, une partie de la nouvelle génération, à contre-courant de leurs aînés, ne voit plus dans le mariage l’accomplissement familial, social et économique ultime bien que les personnes célibataires, hommes comme femmes, soient parfois stigmatisées. En 2007, le gouvernement chinois a officiellement introduit dans son lexique le terme Sheng-nu [(剩女; shèngnǚ, lit. « femmes qui restent »] est un terme péjoratif populaire pour décrire les femmes célibataires de plus de 27 ans.
Jeunes mariés en Chine. Photo par Jenny sur Adobe Stock
Des critères similaires aux enfants
Malgré les efforts du PCC, les parents continuent de jouer un rôle significatif dans les mariages de leurs enfants. S’ils ne vont pas tous jusqu’à parcourir les parcs à la rencontre de la moitié de leur progéniture, il n'est pas rare qu’ils soient impliqués dans les recherches, souvent avec l’approbation, voire les encouragements, de leurs enfants. D'après l'étude, les parents préfèrent généralement que le conjoint potentiel de leur enfant ait un niveau d'éducation similaire ou supérieur à celui de leur enfant. Cela est particulièrement vrai pour les parents qui cherchent un conjoint pour leur fille. Le revenu et la propriété immobilière sont des critères importants pour les parents qui cherchent un conjoint pour leur fille, mais pas pour ceux qui cherchent un conjoint pour leur fils. Les préférences en matière d'âge varient en fonction du sexe de l'enfant. Les parents qui cherchent un conjoint pour leur fille préfèrent généralement des profils avec un âge similaire à celui de leur fille. En revanche, les parents qui cherchent un conjoint pour leur fils préfèrent généralement des femmes plus jeunes.
Les chercheurs ont aussi utilisé une approche par simulation pour comparer les préférences des parents aux mariages réels observés dans la population générale. Ils ont utilisé un algorithme pour simuler des mariages en fonction des préférences des parents et des caractéristiques des individus qui se sont récemment mariés, à partir des données de l'enquête China Family Panel Study (CFPS). Les préférences des parents présentent des similitudes fortes avec les tendances observées dans la population générale. Si on retrouve une homogamie éducative - le fait de vouloir s’unir avec quelqu’un qui présente le même niveau d’éducation - dans la population réelle, on remarque cependant un décalage entre les attentes des parents et la réalité sur le critère de l'âge. Les parents ont en effet une préférence pour des conjoints plus jeunes pour leurs fils, ce qui n’est pas le cas dans la population générale, où la plupart des couples ont des conjoints de même âge.
Promotion de l’enfant unique. Image Clpro2 CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons
Les parents à la rescousse de la natalité
Les lois et normes qui ont entouré la natalité ont profondément bouleversé le pilier qu'est le mariage dans la société chinoise et ont remis les parents au cœur de l'équation. Les autorités s’emparent elles-aussi du sujet. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, le gouvernement, soucieux avant tout de freiner le vieillissement de la population, a mis en avant un programme social plus conservateur qui encourage les femmes à se marier jeunes pour élever davantage d'enfants. En 2016, la Chine a abandonné sa politique de l’enfant unique, vieille de plusieurs décennies, et encourage désormais les femmes à avoir jusqu’à trois bébés. Certains gouvernements locaux ont introduit des mesures incitatives, comme la FIV gratuite et des subventions pour les deuxième et troisième enfants. Les noces sont considérées comme une solution au problème démographique. L’étude montre qu’il faudra compter avec les parents et qu’il est important de prendre en compte leurs préférences dans la compréhension des modèles de mariage en Chine.
Référence
Raiber E., Ren W., Bovet,J., Seabright, P., Wang C., 2023, « What Do Parents Want? Parental Spousal Preferences in China ». Economic Development and Cultural Change, 71(3), 903 939.
Notes
1. Belot M., Francesconi, M., 2006, « Can Anyone Be The One? Evidence on Mate Selection from Speed Dating ». IZA Discussion Paper Series No. 2377; Hitsch, G., Hortaçsu, A., Ariely, D., 2010, « What Makes You Click? Mate Preferences in Online Dating ». Quantitative Marketing and Economics, 8, 393 427.
2. Piquet H., 2018, « Le mariage en Chine depuis 1978 : Entre les normes sociales et l’État ». Les Cahiers de droit, 59(4), 997 1031.
3. Jianfy Chen, 2015, Chinese Law : Context and Transformation: Revised and Expanded Edition. Brill Nijhoff Publishers, 2015.
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du journal CNRS