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Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.
Dans son dernier rapport sur le climat, publié fin avril 2023, le programme européen Copernicus pointe une hausse alarmante des températures et une intensification des événements extrêmes sur l'année précédente1. En 2022, l'Europe a en effet vécu son été le plus chaud jamais enregistré, avec une augmentation de la température de 1,4°C par rapport à la moyenne des années 1990 à 2020. Les canicules, sécheresses et incendies monstres sont devenus la norme ces dernières années, et font craindre pour le futur et la santé des Européens. Les prochains étés pourraient progressivement ressembler à celui de 2003. Cette année-là, une vague de chaleur exceptionnelle par son ampleur, sa durée et les extrêmes atteints avait montré le manque de préparation des pouvoirs publics face à ce genre de phénomène et déclenché la mise en place d’un système d’alerte, mesure salvatrice pour la santé des Français, mais aussi… pour l’économie. Dans l’étude menée, les chercheurs Lucie Adélaïde, Olivier Chanel et Mathilde Pascal ont développé des indicateurs et une méthodologie permettant d’évaluer l’impact économique global des effets sanitaires des vagues de chaleur en France entre 1974 et 2020, mettant en évidence l’importance cruciale de mesures adaptatives pour protéger à la fois la santé et l’économie.
La chaleur, un danger dévastateur
En France, une analyse des enjeux sanitaires cruciaux d’ici 2030, réalisée en 2010 par Mathilde Pascal, mettait déjà en évidence que l’exposition à des températures élevées constituait le risque dont l’évolution était la plus rapide, et qui présentait des effets néfastes sur la santé, même à des niveaux modérés2. En cas d’épisode caniculaire, le corps humain est soumis à un stress intense, et les mécanismes de thermorégulation peuvent atteindre leurs limites, notamment chez les personnes plus à risques, telles que les personnes âgées, les nourrissons ou encore les travailleurs exposés à la chaleur. Cela se traduit par une augmentation de la mortalité et des besoins en consultations et soins médicaux.
Enseigne de pharmacie © Dmitry Vereschagin / Adobe Stock
Les effets de la chaleur extrême sont relativement nouveaux en Europe, mais représentent un danger croissant pour les humains et leur économie. Au niveau mondial, entre 1990 et 2018, 37 % des décès liés à la chaleur seraient ainsi attribuables à une augmentation des températures induite par le changement climatique3. En 2019, au moins 345 000 personnes seraient décédées du fait de la chaleur. Le nombre de jours pendant lesquels une activité physique devient dangereuse augmente rapidement. En 2020, plus de 295 milliards d’heures de travail auraient ainsi été perdues4.
À moyen terme, dans des scénarios de réchauffement dépassant + 2°C en température moyenne globale, la chaleur pourrait constituer un risque majeur pour une large part de la population et limiter drastiquement l’activité humaine dans plusieurs zones du monde5. Ainsi, en Inde, lors de la vague de chaleur prolongée ayant entraîné des milliers de décès en mai 2015, les autorités gouvernementales et les syndicats ont recommandé aux travailleurs d’interrompre leur activité entre 11 h et 16 h. De telles mesures visent à prévenir les risques pour la santé, mais montrent aussi l’impact négatif de températures extrêmes sur la productivité collective, renforçant les inégalités dans les sociétés exposées à la chaleur.
Un véritable impact économique
Les évaluations économiques négligent souvent les vagues de chaleurs, en se focalisant généralement sur les conséquences directes sur les infrastructures (déformation des rails, refroidissement des centrales nucléaires …), sur la productivité au travail ou sur les biens assurables (cultures et bâtis). Elles accordent peu d’attention aux impacts humains, pourtant majoritaires lors d’événements de ce type, mais plus difficilement calculables. Par exemple, la Fédération française de l’assurance s’attend à un doublement des impacts assurables sur la période 2020-2050 par rapport à 1989-2019 dans un scénario prévoyant un réchauffement de + 4°C d’ici à 2100, sans inclure les impacts sanitaires liés aux vagues de chaleur. En 2009, la Direction Générale de la Santé (DGS) avait estimé l’ampleur des coûts directs supportés par l’Assurance maladie de la canicule de 2003 entre -10 et +280 millions d’euros6, sans tenir compte des impacts supportés par la population en termes de décès et de pertes de bien-être.
L’étude des épidémiologistes Lucie Adélaïde, Mathilde Pascal et de l’économiste Olivier Chanel vient proposer une estimation économique globale des effets sanitaires des vagues de chaleur en France entre 1974 et 2020. Ces chercheurs se sont d’abord attachés à identifier les épisodes caniculaires, sur une période allant de juin à septembre, durant lesquels les températures diurnes et nocturnes dépassent pendant au moins trois jours des seuils départementaux. Pour les données précédant 2003, date de mise en place de ces seuils, ils se sont appuyés rétrospectivement sur des données de température de Météo-France. Ils ont ensuite estimé les impacts sanitaires et économiques des canicules en se concentrant sur la surmortalité, la perte de bien-être et le recours accru aux soins.
La surmortalité est estimée à partir des bilans annuels réalisés par Santé publique France. Son évaluation économique s’appuie sur la valorisation d’un décès prématuré à 3,17 millions d’euros, valeur actuellement recommandée en France en matière de santé publique. Pour l’ensemble de la période 1974 - 2020, ils chiffrent la surmortalité à 143 milliards d’euros au total. La perte de bien-être s’entend au regard de la restriction d’activité associée à une chaleur extrême que subissent les populations des départements en vigilance rouge. Son coût économique est établi à 43 € par jour d’activité restreinte, entraînant une valorisation de la perte de bien-être sur la période à 13 milliards d’euros, dont 93 % se concentrent sur les seules années 2003, 2019 et 2020. Enfin, le coût du recours aux soins se fonde sur le coût du surplus de passages aux urgences, de consultations SOS Médecins et d’hospitalisations. Celui-ci n’est calculé que sur la période 2015 – 2019, par manque de données disponibles avant cette date. De plus, il se restreint aux événements directement liés à la chaleur (perte de connaissance, hyperthermie, fièvre isolée ou déshydratation), alors que la littérature a mis en évidence de nombreux autres effets sanitaires en termes de maladies cardiorespiratoires, d’effets sur la santé au travail, sur la santé mentale, ou encore périnatale. Cette double sous-estimation explique que le recours aux soins ne représente que 31 millions d’euros sur la période, soit moins de 1 % de l’évaluation monétaire totale.
Cette quantification globale, en rendant plus visibles les risques sanitaires et économiques liés à la chaleur, a pour but de favoriser la mise en place de mesures d’adaptation.
Oui, on peut s’adapter
À l’inverse d’autres phénomènes naturels, comme un séisme ou un glissement de terrain, les vagues de chaleur sont prévisibles, ouvrant la possibilité de s’en prémunir. À court terme, au minimum un ou deux jours avant, on peut donc mettre en place des mesures d’alerte et de prévention.
Si des mesures, principalement comportementales, existent en France, c’est en grande partie dû au manque d’anticipation de la canicule de 2003. L’été 2003, souvent considéré comme un ovni météorologique, a été le plus chaud depuis 73 ans : 2,7°C au-dessus des normales saisonnières. Cette vague de chaleur a entraîné une surmortalité d’environ 14 800 décès entre le 1er et le 20 août, soit une augmentation de 60 % par rapport à la mortalité attendue, touchant particulièrement les personnes à risques. Les autorités sanitaires ont été vivement critiquées pour leur manque de réactivité face à l’alerte lancée par les urgentistes et dès 2004, le Plan national canicule (PNC) est mis en place. Il vise à prévenir les risques liés aux vagues de chaleur en ciblant les personnes vulnérables et en impliquant les professionnels de la santé et du social. Le système d’alerte canicule et santé (Sacs) est utilisé pour anticiper les situations à risque en se fondant sur des seuils d’alerte départementaux définis à partir de l’analyse des températures et de la mortalité passée. Le volet sanitaire du Sacs surveille en temps réel le recours aux services d’urgence liés à la chaleur et fournit des indicateurs de mortalité. Des ajustements continus sont réalisés pour améliorer l’évaluation des risques, la surveillance sanitaire et la communication de prévention. Ces outils de prévention s’avèrent de surcroit peu coûteux : le budget annuel du Sacs est de l’ordre de 454 000 € après un investissement initial de à 287 000 € en 2005.
Les séniors font partie des personnes à risque © Robert Kneschke / Adobe Stock
Toutefois, ces mesures comportementales et d’alerte ne peuvent suffire à elles-seules. Elles doivent être complétées par des mesures d’adaptation structurelle à plus long terme, qui visent notamment à préparer les villes au changement climatique. Certes, l’été 2003 était hors-norme, mais les derniers étés que nous avons connus tendent à s’en rapprocher. En 2020, le pays a enregistré un excès de mortalité pendant les canicules d'environ 2000 personnes, et en 2022, de près de 3 000 personnes. Ces investissements structurels, réalisés au plus tôt, permettraient de réduire les dépenses de santé à plus long terme. Au niveau international, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) appelle à accélérer la mise en œuvre des actions qui permettraient de réduire l’ampleur des impacts du réchauffement climatique.
Au niveau local, des initiatives commencent à émerger. Une mission d’information et d’évaluation intitulée Paris sous 50 degrés a été conduite en 2023 et a signé un rapport assorti de préconisations pour adapter la capitale française aux vagues de chaleur qu’elle pourrait connaître à l’horizon 2050. Le record de température actuel de la ville — 42,6°C sous abri — a été établi en 2019. L’enjeu, de taille dans une ville peu adaptée, avec sa densité et sa minéralité, fait dire à la rédactrice de ce rapport Maud Lelièvre, du groupe Modem, Démocrates et Ecologistes, qu’il s’agira de mettre en place « une révolution haussmannienne à l’envers ». Le rapport préconise aux urbanistes de prendre des mesures urgentes pour éviter une dépendance totale à la climatisation et propose des solutions comme la création d’espaces verts, la végétalisation des bâtiments ou l’utilisation de matériaux et techniques de refroidissement adaptés. Il suggère également d’envisager des ajustements dans la journée de travail, tels que la sieste et des horaires d’événements en soirée plus tardifs, pour éviter l’exposition excessive à la chaleur. Cette adaptation nécessaire ne doit pas attendre, d’autant qu’il s’agit aussi d’une question de justice sociale. Car les chaleurs extrêmes sont sources d’inégalités, dont les plus précaires seront les premières victimes, plus fragiles, plus exposées, plus pauvres, plus âgées et moins aptes à prendre des mesures d’évitement7.
Vidéo : Entretien avec le chercheur Olivier Chanel
Notes
1. Bécherel S. (2023) « Chaleur extrême » et « sécheresse généralisée » : Copernicus dresse un bilan alarmant du climat en 2022. France Inter.
2. Pascal M. (2010) “Impacts sanitaires du changement climatique en France – Quels enjeux pour l’InVS ?”. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire, 80 p.
3. Vicedo-Cabrera A.M., et al. (2021) “The burden of heat-related mortality attributable to recent human-induced climate change”. Nature Climate Change, 11(6), Article 6.
4. Romanello M. et al. (2021) “The 2021 report of the Lancet Countdown on health and climate change: Code red for a healthy future”. The Lancet, 398(10311), 1619‑1662.
5. Hanna E. G., et al., (2015) ‟Limitations to Thermoregulation and Acclimatization Challenge Human Adaptation to Global Warming”, International Journal of Environmental Research and Public Health 12(7), 8034-8074 ; Watts N. et al (2021) “The 2020 report of The Lancet Countdown on health and climate change: responding to converging crises ” The Lancet 397(10269), 129-170.
6. En ne retenant que les surcoûts liés aux soins urgents pour les 70 ans et plus, l’hypothèse basse de -10 millions correspond aux coûts évités par 6 mois de vie perdue et à une augmentation de 10% des coûts des soins de suite. L’hypothèse haute de 280 millions correspondant aux coûts évités par 1 mois de vie perdue et à une augmentation de 40% du coût des soins de suite.
7. Adélaïde L., Chanel O. & Pascal M. (2022) “Health effects from heat waves in France: an economic evaluation”. The European Journal of Health Economics, 23 (1), 119-131
Référence
Adélaïde L., Chanel O., Pascal M., (2022). “Des impacts sanitaires du changement climatique déjà bien visibles : L’exemple des canicules”. Annales des Mines - Responsabilité et environnement, 106(2), 42-47.
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