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L’urbanisation, source d’idées et de croissance
17.01.2024, par Cecilia García-Peñalosa, Timothée Vinchon
Mis à jour le 17.01.2024
L’urbanisation peut être vue comme le fruit de la hausse de la productivité qui attire les travailleurs vers les villes. Les économistes Cecilia García-Peñalosa et Liam Brunt montrent que pour comprendre les débuts de la révolution industrielle, il est important d’examiner ce phénomène dans l’autre sens : gains de productivité et croissance sont favorisés par les échanges de connaissances au sein des villes. 

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

Selon l’Organisation des Nations unies, plus de la moitié de la population mondiale habite dans des villes, soit 4,2 milliards d’habitants1. Dans les prochaines décennies, la tendance devrait s’accentuer pour atteindre 66 % de la population mondiale en 2050. Les villes sont au cœur de la croissance puisqu’elles génèrent plus de 80 % du PIB mondial. Les économistes ont largement documenté l’attirance des travailleurs vers les villes afin de bénéficier des salaires plus élevés. Plus simplement, l’urbanisation a longtemps été vue comme une conséquence de la croissance économique. Mais cette relation est peut-être plus complexe.

Les économistes Cecilia García-Peñalosa et Liam Brunt ont combiné des problématiques à la croisée de l’économie du développement et de l’économie géographique pour explorer avec un nouveau modèle les liens entre l’urbanisation et l’innovation, c’est-à-dire la création de nouvelles idées et technologies. Leur objectif est de comprendre comment ces deux facteurs ont interagi au moment où la croissance économique a commencé à prendre de l’ampleur, à l’aube la révolution industrielle. Si la conjoncture des premiers pays à s’industrialiser est différente des pays à bas revenus aujourd’hui, cette étude pourrait néanmoins permettre d’apporter un éclairage sur les bénéfices de l’urbanisation dans des pays encore majoritairement ruraux.

 

Plus d’interactions sociales, plus d’idées

Les chercheurs se sont intéressés à l’Europe, et notamment à l’Angleterre, car les données montrent une augmentation du taux d’urbanisation et de la taille des villes avant la révolution industrielle. Leur modèle considère une économie avec un secteur agricole et un secteur manufacturier, dont la production est assurée respectivement par les zones rurales et par les villes. Deux mécanismes entrent en jeu. D’abord, le secteur manufacturier est décrit comme une activité artisanale traditionnelle, indépendante de la production industrielle moderne. La productivité des travailleurs manufacturiers dépend uniquement du nombre d’idées qu’ils possèdent. Cette productivité augmente à mesure que le nombre d’idées disponibles augmente, ce qui fait monter les salaires et incite les travailleurs agricoles à quitter la campagne pour les villes. Par conséquent, la hausse du nombre d’idées entraîne une augmentation de l’emploi dans le secteur manufacturier et du taux d’urbanisation.

Londres, ville capitale du royaume d’Angleterre. Source Yale Center for British Art / Paul Mellon collection Londres, ville capitale du royaume d’Angleterre (auteur inconnu). Source Yale Center for British Art / Paul Mellon collection (B1977.14.17860)

Ensuite, on suppose que les idées se transmettent entre les individus par imitation. Les individus peuvent acquérir une idée en rencontrant quelqu’un qui la possède déjà. Un individu peut aussi créer une idée inédite par l’observation des idées ou en échangeant sur les pratiques d’autres personnes. Ainsi, l’apparition et la diffusion d’idées se trouvent étroitement liées aux interactions sociales. Dans les villes, où la densité humaine est élevée, il y aura nécessairement plus de rencontres que dans les zones rurales, ce qui favorise l’imitation et l’innovation.

La combinaison de ces deux éléments produit un cercle vertueux. Une augmentation initiale de la taille des villes produit plus d’interactions sociales et donc plus d’idées, ce qui attire des travailleurs ruraux, et augmente encore l’urbanisation. Le résultat est une accélération de l’innovation et donc de la croissance économique.

Photo par Dmytro sur Adobe Stock Photo par Dmytro sur Adobe Stock

Une clé du développement de l’Europe occidentale

Si la Chine est considérée par des historiens comme le pays le plus avancé technologiquement au Moyen Âge, les taux d’urbanisation sont cependant restés faibles tout au long de l’époque moderne2, comme le montre l’économiste Angus Maddison3. En revanche, l’Europe occidentale a connu une augmentation marquée de sa population citadine au début de la période moderne, affichant un taux d’urbanisation autour de 5 % en 1700, soit plus du double de celui de la Chine.

L’Angleterre se distingue par une urbanisation élevée par rapport aux autres pays européens. Elle a augmenté à un rythme considérable bien avant la révolution industrielle : entre 1600 et 1750, le taux d’urbanisation avait déjà triplé, passant de 6 % à 18 % de la population totale4. La croissance urbaine s’est donc produite bien avant les changements économiques majeurs associés à la révolution industrielle. Les auteurs maintiennent que cette urbanisation précoce a favorisé l’innovation et la diffusion des idées, et à travers cela, a pu être le terreau de la future révolution industrielle qu’elle a connue5 .

L’Afrique sur le chemin

Il est intéressant de rapprocher les conclusions des chercheurs de l’urbanisation galopante du continent africain depuis trente ans. Depuis 1990, les villes africaines ont doublé et leur population a augmenté de près de 500 millions d’habitants. Selon l’OCDE, sur la base des données recueillies auprès de plus de 4 millions de personnes et d’entreprises issues de 2 600 villes dans 34 pays africains, l’urbanisation a un impact positif sur la performance économique5.

La ville de Lagos (Nigeria) compte plus de 15 millions d’habitants en 2023. Photo par Mujib sur Adobe Stock. La ville de Lagos (Nigeria) compte plus de 15 millions d’habitants en 2023. Photo par Mujib sur Adobe Stock.

La part des travailleurs ayant des emplois qualifiés atteint environ 50 % pour les hommes et 25 % pour les femmes dans les grandes villes et les villes moyennes, contre seulement 18 % et 11 %, respectivement, en zones rurales. Les villes facilitent aussi l’accès aux services. Par exemple, les enfants des grandes villes reçoivent en moyenne près de cinq années d’éducation de plus que les enfants des zones rurales. Cela offre un contexte favorable à l’émergence de nouvelles idées. 

Si l’urbanisation des pays en voie de développement permet leur croissance économique, elle devra prendre en compte les défis environnementaux et socio-économiques de ce siècle. De nouveaux paramètres entrent aujourd’hui en scène. Si elles doivent continuer à offrir à leurs habitants des opportunités économiques durables, il faudra qu’elles soient économes en ressources et réduisent leur impact sur l’environnement, pour le compte des générations futures.

Référence

Brunt L., García-Peñalosa C., 2022, « Urbanisation and the Onset of Modern Economic Growth ». The Economic Journal, 132 (642), 512-545

Notes

1. United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2019). World Urbanization Prospects: The 2018 Revision (ST/ESA/SER.A/420). New York: United Nations.
2. L’époque moderne est une période historique comprise entre 1492, avec la découverte de l’Amérique et 1789, au moment de la Révolution française.
3. Maddison Angus, 2007, "Contours of the world economy 1-2030 AD: Essays in Macro-Economic History". Oxford : University Press.
4. Wrigley Edward A., Davies R. S., Oeppen J. E., Schofield R. S., 1997, “English population history from family reconstitution, 1580–1837”. Cambridge : University Press.
5. OCDE/UNCEA/BAD (2022), Dynamiques de l'urbanisation africaine 2022 : Le rayonnement économique des villes africaines, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Éditions OCDE, Paris.

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