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Les bornes de la frontière guyanaise sont comme les Mousquetaires, il y en a plus que ce que l’on croit… Donc les sept bornes sont en réalité dix.
Reprenons un peu l’histoire de cette frontière pour mieux la comprendre. Au 18e siècle, lors du traité d’Utrecht, le roi Louis XIV accepte de reconnaître la souveraineté du Portugal sur l’Amazone et sur sa rive gauche (alors que les Français espéraient jusque-là être riverains du « fleuve-mer »). Mais quelle devait alors être la limite entre les possessions françaises et les possessions portugaises ? Une rivière était citée, la rivière Vincent Pinzon ou Japock. Pour les Portugais, il ne pouvait s’agit que de l’Oyapock. Pour les Français, la chose méritait discussion car les toponymes de la région n’étaient pas fixes.
Bien que quelques escarmouches aient éclaté de temps en temps, cette frontière était si loin de Lisbonne, puis de Rio de Janeiro, et de Paris que la question n’a jamais été véritablement tranchée avant la fin du XIXe siècle. A ce moment, la découverte d’or dans le nord de l’Amapá aiguise les intérêts et les deux pays veulent pousser leur avantage. Après un incident armé plus sérieux, on décide de s’en remettre à l’arbitrage de la Suisse.
Rendu en 1900, celui-ci donne presque totalement raison au diplomate brésilien, le Baron de Rio Branco, contre le géographe français Paul Vidal de la Blache (hélas pour notre discipline !). La frontière entre le Brésil et la Guyane française est donc fixée sur l’Oyapock, jusqu’à sa source (dont la localisation n’était pas clairement connue à l’époque). Mais en ce qui concerne la « frontière intérieure » qui devait séparer les deux territoires entre la source de l’Oyapock et la frontière avec la Guyane hollandaise, les Brésiliens n’ont pas gain de cause. Ils souhaitaient qu’elle soit fixée sur une ligne géographique située à 2°24’ de latitude, ce qui mettait l’ensemble de la région des Tumuc Humac dans leur zone. Prudents, les Suisses optent pour une limite plus logique (bien que totalement inconnue) : la ligne de partage des eaux entre le bassin de l’Amazone et celui des fleuves Oyapock et Maroni. Une ligne dont, à l’époque, on n’avait pas la moindre idée de la configuration.
La première étape de son dévoilement a lieu à la fin des années 1930. Terminant la délimitation de leur frontière commune, le Brésil et la Hollande invitent la France à déterminer avec eux le point de Trijonction, sur lequel un poteau en bois est installé en 1937. Mais entre ce point et l’Oyapock, la région reste inconnue.
Il faudra attendre les années 1950 pour qu’elle soit enfin parcourue. Après plusieurs rendez-vous manqués, le Brésil et la France ont enfin les moyens et la volonté politique de marquer leur frontière sur le terrain. Si les Brésiliens sont très attentifs à la question de l’Oyapock, qui est un fleuve international et donc ouvert en théorie à la navigation, ils sont moins intéressés par la ligne intérieure. Ils laissent donc les Français de l’IGN, sous la conduite de Jean-Marcel Hurault et de Pierre Frénay, à la manœuvre. En remontant les rivières Marouini, Tampak/Alice et Camopi, ceux-ci reconnaissent la plus grande partie de la ligne de partage des eaux en 1956, et ils délimitent sept emplacements, pour lesquels ils calculent des coordonnées précises, sur lesquels construire des bornes marquant la frontière. Après validation par les Brésiliens, ces bornes sont effectivement construites en 1962.
Ce sont donc les fameuses « 7 bornes ». Mais il faut leur ajouter le point de Trijonction, qui n’a fait l’objet d’aucune attention de la part de la France ni du Brésil dans les opérations des années 1950-60… alors qu’il a été revisité par la Hollande en 1968. Celle-ci y a installé une borne en ciment et une tour de métal dans le cadre d’une opération destinée à permettre la triangulation de l’ensemble du territoire du Surinam. Les sept bornes sont donc huit.
Et en fait onze, car en 1991 une première mission destinée à densifier le marquage de la frontière a abouti à la mise en place de trois bornes intermédiaires (6.1, 6.2 et 6.3) entre la borne 6 et la borne 7. Ce sont donc ces onze bornes que notre expédition va relier.
Mais en Guyane comme ailleurs, la magie du chiffre sept a joué et ce sont les « sept bornes » que l’on retient.
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du journal CNRS