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De quoi est composée la matière noire, ce constituant exotique incontournable de l’Univers dont on retrouve les effets à différentes échelles cosmiques ? Comment son comportement aux petites échelles (inférieures à la taille d’une galaxie) pourrait-il permettre de remonter aux propriétés de l’Univers primordial ? C’est l’objectif du projet GaDaMa (Galactic Dark Matter).
Le problème de la « masse manquante », renommé depuis en « matière noire », aura bientôt un siècle. Ce curieux phénomène, mis en évidence, entre autres, par Fritz Zwicky en 1933 et Vera Rubin dans les années 1970, repose sur le fait que la masse des plus gros objets de l’Univers (les galaxies et les amas de galaxies) semble beaucoup plus importante que la simple matière visible qui la compose (étoiles, gaz, poussières…).
Mais l’influence de la matière noire sur notre Univers est bien plus importante. Elle est aussi imprimée dans le résidu fossile le plus ancien qu’on puisse observer : le rayonnement de fond cosmologique. Ce rayonnement a été produit 380 000 ans après le Big Bang, lorsque la matière qui l’emplissait est devenue suffisamment froide pour que les atomes se forment, ce qui a transformé une soupe de plasma opaque en un gaz transparent et a permis à la lumière de se propager librement dans toutes les directions.
Ce rayonnement fossile nous informe sur l’état de la matière lors de cette étape cruciale de l’évolution de l’Univers. On y apprend qu’elle était extrêmement uniforme mais que de légères inhomogénéités y existaient déjà. Ces zones légèrement plus denses ont créé de petits puits de potentiel gravitationnel dans lesquels matière ordinaire et matière noire se sont accumulées, aboutissant à la formation des galaxies actuelles, selon un scénario de formation dit hiérarchique (les petites structures se forment en premier puis fusionnent pour en donner de plus grosses).
Sans matière noire, l’Univers ne ressemblerait pas à ce que l’on observe aujourd’hui.
De quoi est faite la matière noire
La nature de la matière noire est une question ouverte.
« Plusieurs indices (asymétrie matière-antimatière, non-violation de CP dans le secteur fort1...) laissent à penser que le modèle actuel de la physique des particules pourrait ne pas être complet. Des travaux d’extension du Modèle Standard2 proposent l’existence de nouvelles particules dont certaines pourraient être à l’origine de cette matière noire. » révèle Julien Lavalle : directeur de recherche et physicien théoricien au laboratoire univers et particules de Montpellier3.
On postule, par exemple, l’existence d’un type de particules appelé « axion QCD», censé aider à comprendre l’absence de violation de symétrie CP1 dans l’interaction forte et nécessitant une extension significative du Modèle Standard (le modèle minimal ayant été exclu dès les années 1980). Cet axion a toutes les propriétés requises pour composer la matière noire : bien que très peu massif (du micro- au milli-eV), il composerait un gaz très froid interagissant extrêmement faiblement avec la matière et le rayonnement (ce qu’on observe à toutes les échelles : galaxies, amas de galaxies, fond diffus cosmologique).
Julien Lavalle rajoute : « Les observations astrophysiques montrent aussi que la matière noire doit être « froide », c’est-à-dire que les particules ou corps qui la composent doivent avoir une vitesse faible au moment où les structures se forment. Pour l’axion, cette propriété serait bien remplie car ces particules auraient été produites au tout début de l’Univers sans interagir avec les particules standards (matière ordinaire et rayonnement) composant le plasma brûlant de l’époque. Elles n’auraient donc pas été chauffées par ce dernier. Différents types d’axions ont été proposées depuis les années 1980, mais leur détection reste extrêmement difficile. »
« Un autre candidat », dit-il, « est le WIMP (Weakly Interactive Massive Particle), qui ressemble à un neutrino4, mais beaucoup plus massif. Lui aussi aurait les propriétés requises : matière noire froide, produite avec la bonne abondance, et avec la particularité d’être sans asymétrie entre WIMPs et anti-WIMPs, et qui pourrait donc s’annihiler en produisant des particules « classiques » (rayons cosmiques, photons gamma) qu’on pourrait théoriquement détecter dans des lieux de grande concentration de matière noire, comme le centre des galaxies.
Ces WIMPs ont été recherchés de manière intensive ces dernières décennies et sont prédits dans le cadre d’extensions du Modèle Standard dites « supersymétriques », entre autres. Pour l’heure, aucune des nombreuses expériences de détection directe ou indirecte de WIMPs n’en a observé. On n’est pas non plus parvenu à les créer au grand collisionneur de hadrons (LHC) au Centre européen pour la recherche nucléaire (CERN). Cependant, l’espace des paramètres théoriques des WIMPs commence seulement à être exploré grâce à de nouvelles expériences développées ces deux dernières décennies. La traque se poursuit donc. »
Outre les particules exotiques, d’autres candidats exotiques existent, comme les trous noirs primordiaux.
Les recherches se poursuivent donc pour identifier la nature de la matière noire. Le travail théorique est toujours intense et vise à étudier différents modèles de composition de matière noire, afin de prédire des signatures physiques que les multiples programmes de recherche, présents et à venir, pourraient un jour détecter.
Faire de la cosmologie à petite échelle
L’objectif du projet GaDaMa est d’étudier la manière dont cette matière noire s’agglomère à petite échelle (bien plus petite que la taille d’une galaxie) et de tirer de l’étude de ces micro-structures sub-galactiques de matière noire, des informations permettant de mieux comprendre les tout premiers instants de l’Univers.
Par exemple, si la matière noire était composée de WIMPs, les plus petites structures qu’elle pourrait théoriquement former auraient approximativement la masse de la Terre. Ces « nuages » de matière noire seraient très peu denses, dilués dans un volume équivalent à celui du Système solaire, et pourraient parcourir en grand nombre notre Galaxie la Voie lactée.
Des axions, en revanche, formeraient des structures bien plus petites et denses, de véritables « astéroïdes de matière noire » solides et compacts.
Comme les caractéristiques de ces particules (et des structures qu’elles pourraient former) sont liées aux conditions qui ont régné dans les premiers instants de l’Univers, la détection et l’étude de ces hypothétiques « grumeaux » de matière noire dans notre Galaxie permettraient de remonter bien avant les phases de l’Univers primordial qu’on observe à travers le fond diffus cosmologique. Cela donnerait des indications précieuses sur l’époque où la matière noire est apparue et a commencé à faire croître gravitationnellement les fluctuations primordiales de densité (les graines des structures de l’univers) qui ont été théoriquement produites durant la période d’inflation cosmique, cette période d’expansion extraordinairement rapide de l’Univers qui aurait eu lieu environ 10-35 secondes après le Big Bang.
GaDaMa s’appuie sur une équipe pluridisciplinaire (physique des particules, astrophysique, cosmologie, physique théorique répartie entre Montpellier, Strasbourg, Annecy et Marseille) et utilise, entre autres, les données des satellites Fermi (rayons gamma) et Gaia (astrométrie) pour mettre en évidence ces petits agglomérats galactiques de matière noire. Leur existence pourrait se traduire par une annihilation accrue de WIMPs produisant de nouvelles sources gamma, ou par de petites imprécisions dans la position et la vitesse des étoiles mesurées par Gaia, un bruit dans les mesures que l’équipe cherche à mettre en évidence.
L’objectif de ce programme est, en fin de compte, d’utiliser toutes les contraintes observationnelles disponibles sur notre Galaxie pour améliorer nos connaissances sur la distribution de la matière noire aux petites échelles et en déduire des informations pertinentes sur les débuts de l’Univers.
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR GaDaMa- AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 18/19).
- 1. a. b. La symétrie CP postule que les phénomènes physiques sont les mêmes si on remplace les particules par leurs antiparticules (symétrie C - charge) et si l’on regarde le système observé dans un miroir (symétrie P - parité). Comme l’Univers est aujourd’hui rempli de matière mais pas d’antimatière, cette symétrie a probablement été violée à ses débuts. Le fait de n’avoir pas détecté cette violation de symétrie CP au niveau des interactions nucléaires fortes est la source de la proposition de nouvelles particules dans des Modèles Standards dits « étendus »
- 2. Le Modèle Standard des particules décrit le bestiaire des particules connues (dont l’Univers est composé) ainsi que leurs interactions (par le biais de 4 forces fondamentales : électromagnétique, nucléaire forte, nucléaire faible et gravitation). Plusieurs indices théoriques laissent à penser que ce modèle serait incomplet et que d’autres particules non encore connues pourraient aussi exister.
- 3. LUPM – Unité CNRS / Université de Montpellier
- 4. Le neutrino est une particule électriquement neutre, de masse très faible (quasi-nulle) et qui n’interagit avec la matière que grâce l’interaction nucléaires faible. Cette interaction, comme son nom l’indique, est si faible, que le neutrino ne « sent » presque pas la matière et la traverse (un humain, une montagne, la Terre…) quasiment comme si elle n’existait pas
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du journal CNRS