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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
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Des « taxis » à protéines… et les médicaments arrivent à bon port !
09.12.2024, par Joëlle Bizeau (IPCMS) et Sophie Le Ray (CNRS Alsace)

Administrer des médicaments de manière contrôlée est un véritable défi de la recherche en nano-médecine. Damien Mertz et son équipe de chercheurs strasbourgeois en physico-chimie des matériaux développent à ces fins des nanoparticules « cœur-coquilles ». Ces dernières agiront comme des « taxis à protéines », dont les portes s’ouvriront sur commande.

Les protéines sont des molécules particulièrement intéressantes en médecine : elles sont facilement tolérées par le corps et leur grande diversité permet d’envisager de nombreuses applications comme le traitement de cancers et du diabète, ou la régénération de tissus. Malheureusement, leur grande fragilité rend leur utilisation à ces fins relativement difficile. Une équipe strasbourgeoise de recherche en nanomatériaux s’attèle donc à leur construire des « taxis » microscopiques, afin de les transporter jusqu’à leur cible tout en les protégeant.

Des taxis prenant la forme de nanoparticules « cœur-coquilles »

Situé au cœur du campus CNRS de Cronenbourg, l’Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS)1 possède plusieurs expertises, parmi lesquelles la synthèse de nanoparticules d’oxyde de fer d’une vingtaine de nanomètres de diamètre (« cœur »). Celles-ci peuvent être recouvertes d’une couche de silice poreuse, qui constituera leur « coquille ». Le chercheur Damien Mertz a vu dans ces nanoparticules « cœur-coquilles » un vrai potentiel : celui de « taxis à médicaments », et plus particulièrement, à protéines.
Elles possèdent en effet plusieurs propriétés intéressantes. Tout d’abord, le cœur en fer est visible par imagerie à résonance magnétique (IRM), ce qui permet de localiser aisément les nanoparticules dans le corps. Il est également possible de le chauffer en le soumettant à un champ magnétique, ce qui peut s’avérer particulièrement utile dans le traitement de cellules cancéreuses, celles-ci étant plus sensibles à la chaleur que leurs homologues saines. Enfin, la coquille en silice est poreuse ; elle possède un grand nombre de cavités, qui peuvent faire office de « chambres à médicaments » - ou à protéines.

Schéma simplifié d’une nanoparticule « cœur-coquille » conçue pour le transport de protéines © Joëlle Bizeau, IPCMS, CNRS Schéma simplifié d’une nanoparticule « cœur-coquille » conçue pour le transport de protéines © Joëlle Bizeau, IPCMS, CNRS


Nanoparticules cœur-coquille observées au microscope électronique et colorisées. © Joëlle Bizeau, IPCMS, CNRSNanoparticules cœur-coquille observées au microscope électronique et colorisées. © Joëlle Bizeau, IPCMS, CNRS
 

Des portes à ouverture magnétique

En jouant sur les types de cavités et sur l’épaisseur de la couche de silice, une précédente étude a déjà permis d’optimiser ces nanoparticules pour la libération d’une molécule anti-cancéreuse. Le projet de recherche CORELMAG mené par Damien Mertz avec sa doctorante Joëlle Bizeau, a pour objectif d’utiliser ces connaissances pour aller encore plus loin. L’idée est de contrôler avec davantage de finesse la libération des protéines, en ajoutant à ces « taxis » des « portes » qui ne s’ouvriraient qu’en présence d’un champ magnétique. Ils ont ainsi travaillé la surface des nanoparticules, en y ajoutant des molécules thermo-répondantes qui feront office de « portes ».  Lorsque les nanoparticules sont exposées à un champ magnétique, leur cœur en fer chauffe. Les molécules thermo-répondantes modifient alors leur conformation sous l’effet de la chaleur, passant de l’état « porte fermée » à « porte ouverte », ce qui déclenche la libération des protéines.

Principe de fonctionnement des portes thermo-répondantes des nanoparticules cœur-coquilles. L'application d'un rayon infra-rouge ou d'un champ magnétique a pour effet d'exciter la bille en fer au centre de la nanoparticule. Elle libère alors de la chaleur, qui a pour effet de changer la conformation des molécules thermorépondantes qui retiennent les médicaments. Ces derniers sont alors libérés. © Joëlle Bizeau, IPCMS, CNRS Principe de fonctionnement des portes thermo-répondantes des nanoparticules cœur-coquilles. L'application d'un rayon infra-rouge ou d'un champ magnétique a pour effet d'exciter la bille en fer au centre de la nanoparticule. Elle libère alors de la chaleur, qui a pour effet de changer la conformation des molécules thermorépondantes qui retiennent les médicaments. Ces derniers sont alors libérés. © Joëlle Bizeau, IPCMS, CNRS

Lors d’une première étude, les chercheurs ont formé de l’isobutyramide (IBAM) sur les nanoparticules. L’IBAM agit comme une glue qui permet de fixer une grande quantité de molécules thermo-répondantes sur les nanoparticules. Ils ont ensuite chargé les « taxis » avec une protéine sanguine modèle : la HSA. « Cette protéine ne peut pas servir de médicament, mais elle est très utilisée dans le domaine comme protéine modèle, ce qui permet de comparer les capacités de nos nanoparticules avec celles d’autres chercheurs. » explique Joëlle Bizeau. « … mais là, surprise : les « taxis » ont rejeté la HSA. Même si ce n’était pas notre objectif, ça reste un résultat intéressant », précise-t-elle. « Un excès de fixation de protéines sanguines (comme la HSA) sur les nanoparticules pourrait indiquer au système immunitaire qu’il s’agit d’un corps étranger à éliminer ».
Pour surmonter cette difficulté, l’équipe a opté pour une nouvelle approche en recouvrant les nanoparticules d’IBAM avant de les charger en protéines. Les chercheurs ont non seulement étudié le chargement et la libération de la HSA, mais aussi celle de trois autres protéines : une enzyme, un anticorps et un polypeptide. « Nous voulions montrer que nos nanoparticules pouvaient servir pour plusieurs applications. » précisent-ils. Si le chargement d’un grand nombre de protéines a bien fonctionné, le contrôle précis et spécifique de leur libération par un léger chauffage n’a pas été au rendez-vous : les protéines sortaient petit-à-petit des nanoparticules. Néanmoins, ce phénomène de libération continue de différentes protéines observé a été étudié en détails dans le cadre du projet car il possède un grand intérêt pour d’autres types d’applications biomédicales.

Des obstacles constructifs vers de nouvelles applications

« Techniquement, nous n’avons pas encore réussi à contrôler la libération des protéines grâce à la chaleur. Mais nos résultats ont tous fait l’objet de publications, car ils ont fait avancer la science. » affirme aujourd’hui Joëlle Bizeau avec le sourire. En effet, de nouvelles propriétés ont été mises en évidence à partir de ces systèmes et un travail détaillé des modes de libération des protéines a été réalisé et publié. Les obstacles rencontrés ont ouvert de nouvelles perspectives pour réorienter le projet. Les molécules thermo-répondantes pourraient ainsi être utilisées pour fabriquer un hydrogel chargé en nanoparticules cœur-coquille et en protéines. Le système ne serait donc plus circulant mais implantable, comme un patch qui pourrait être appliqué sur un organe pour l’aider à se réparer. L'obtention de résultats inattendus, qui contribueront à faire progresser la science d'une manière différente de celle initialement envisagée, illustre bien la nature même de la recherche scientifique.

Cliquez pour découvrir la planche de BD réalisée pour illustrer ce projet © Camille Van Belle / CNRS Alsace

Cliquez pour découvrir la planche de BD réalisée pour illustrer ce projet © Camille Van Belle / CNRS Alsace

Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR CORELMAG AAPG-JCJC 2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science avec et pour la société - Culture scientifique technique et industrielle.

Notes
  • 1. L'Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS) est une unité mixte de recherche CNRS / Université de Strasbourg (UMR 7504).