Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
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Par le réseau de communicants du CNRS

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La recherche sur la production de bioplastiques, catalyseur d’une chimie plus verte
07.04.2025, par Sophie Blitman
Mis à jour le 05.03.2025

En transformant des molécules issues de déchets céréaliers en bioplastiques, des chimistes ont développé des techniques innovantes, aux applications prometteuses dans de nombreux autres domaines.

Pourra-t-on un jour produire suffisamment de plastiques biosourcés pour se passer du pétrole ? Si cet objectif est loin d’être atteint aujourd’hui, beaucoup de scientifiques cherchent à valoriser la biomasse. L’une des pistes consiste à utiliser les déchets de céréales pour produire du furfural : transformer la molécule HMF (hydroxyméthylfurfural) en FDCA (acide 2,5-furandicarboxylique) pourrait en effet permettre de remplacer le PET (polyéthylène téréphtalate), ce plastique certes recyclable mais qui génère de nombreuses émissions toxiques. « L’enjeu est considérable car le PET est utilisé massivement pour fabriquer toutes sortes de textiles, bouteilles et emballages », énumère Robert Wojcieszak, chargé de recherches au CNRS.

Production de FDCA à partir de la biomasse pour remplacer le PET utilisé pour la production des plastiques de la vie couranteProduction de FDCA à partir de la biomasse pour remplacer le PET (polytéréphtalate d’éthylène) utilisé pour la production des plastiques de la vie courante, notamment les bouteilles plastiques.

Au sein de l’Unité de catalyse et chimie du solide (UCCS) de Lille, ce passionné s’attache à « mettre la catalyse au service d’un avenir durable », notamment dans le cadre du projet INGENCat (Innovative Heterogeneous Catalysts) dont il est le co-porteur avec Franck Dumeignil, spécialiste de la conversion catalytique de la biomasse. Soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR) de 2020 à 2024, ce projet a rassemblé des chercheuses et chercheurs en photocatalyse, en caractérisation des matériaux et en chimie théorique.[1]

Présentation du projet INGENCat, un projet interdisciplinaire entre la chimie des matériaux, la photocatalyse, la chimie théorique et la caractérisation avancée Présentation du projet INGENCat, un projet interdisciplinaire entre la chimie des matériaux, la photocatalyse, la chimie théorique et la caractérisation avancée.

Enrobage innovant de nanoparticules

Tout a commencé en 2018 par des échanges avec Mohamed Nawfal Ghazzal, professeur associé à l’Institut de Chimie Physique (ICP) de Saclay, qui a mis au point un catalyseur d’un nouveau genre, avec des nanoparticules d’or (Au) « prises en sandwich » entre un cœur de dioxyde de silicium (SiO2) et une coquille de dioxyde de titane (TiO2). Par ailleurs, contrairement aux pratiques habituelles, la réaction est réalisée sans soude : « cela évite que cette base très corrosive ne contamine l’eau qu’il faut ensuite dépolluer », explique Robert Wojcieszak.

Ex schématique d'un catalyseur de type « cœur-coquille » étudié dans le projet INGENCaTExemple schématique d’un catalyseur de type cœur-coquille étudié dans le projet INGENCaT avec, en rouge, la coquille de dioxyde de titane, en or les nanoparticules d'or et en bleu le cœur de dioxyde de silicium.

Image de microscopie électronique en transmission, prise à l'Institut de Chimie PhysiqueImages de microscopie électronique en transmission, prise à l'Institut de chimie physique.

Réalisées en photocatalyse, les premières expériences mettent en évidence l’impressionnante efficacité du catalyseur. Des résultats d’autant plus surprenants que « jusqu’ici, on considérait la surface des nanoparticules métalliques comme le site le plus actif et voilà qu’en enrobant les nanoparticules, on observe au contraire une réaction plus efficace », souligne Robert Wojcieszak, qui décide d’élucider ce mystère. Ainsi naît le projet INGENCat. L’objectif est double : expliquer le fonctionnement de ce catalyseur inédit et voir s’il pourrait fonctionner avec d’autres matériaux.

Les observations au microscope électronique permettent tout d’abord d’examiner la structure cœur-coquille du catalyseur : « dans cette configuration, les interactions, beaucoup plus nombreuses, se produisent partout, et pas seulement à l’interface entre l’or et le support en dioxyde de titane comme on le pensait auparavant », constate Robert Wojcieszak. Mais encore faut-il prouver que l’or est bien encapsulé. Pour cela, les chercheurs utilisent un équipement de pointe baptisé LEIS (Low energy ion scattering ou spectroscopie de diffusion d’ions à faible énergie), qui permet d’examiner la première couche atomique des matériaux. La conclusion est formelle : aucun atome d’or n’est détecté, ce qui signifie que le métal est totalement enrobé par les oxydes de titane et de silicium.

Deuxième étape du projet : voir si l’on peut obtenir des réactions aussi performantes en changeant de métal et de support. Des expériences sont réalisées avec du nickel, du cuivre et du platine, sur des supports à base d’oxydes d’étain et de gadolinium. Les équipes de l’ICP préparent la synthèse, mais ces manipulations sont extrêmement délicates car les métaux, notamment le cuivre, ne sont pas faciles à recouvrir entièrement : « il faut éviter que le métal ne s’agglomère », précise Robert Wojcieszak, « c’est de l’ingénierie des matériaux à l’échelle nanométrique ». Si l’expérience est concluante avec le platine, le LEIS montre que le cuivre n’est encapsulé qu’à moitié. Cependant, cela n’empêche pas la catalyse de fonctionner : « la réaction reste positive, observe le chimiste, mais pas à 100 %. Avec le nickel, elle est un peu meilleure, mais pas non plus complète ». Et de conclure que « multiplier les interfaces entre le métal et le support a multiplié les sites actifs ».
 

Collaborations et nouvelles perspectives

Reste à tester le nouveau catalyseur sur la transformation du HMF. Observant qu’une partie significative du composé se dégrade, les spécialistes de catalyse se tournent vers leurs collègues en chimie théorique de l’ENS Lyon, qui suggèrent d’abaisser la température initiale. En effet, alors que les expériences étaient jusque-là réalisées à 130 °C, les calculs montrent que le HMF se dégrade facilement à partir de 80 °C. Démarrer la réaction à 50 °C permet de passer par une molécule intermédiaire, plus stable quand on chauffe ensuite à 130 °C. « Cette étape permet, in fine, d’avoir une réaction plus efficace », souligne Robert Wojcieszak pour qui « ces allers-retours entre chimie théorique et expériences de catalyse ont indéniablement contribué à la réussite du projet ».

La caractérisation est ensuite effectuée à l’Institut Chevreul de Lille (IMEC[2]) qui possède des équipements de microscopie électronique à transmission haute résolution (HRTEM). De son côté, l’IRCELYON mesure le caractère acide ou basique du catalyseur, grâce à des techniques de microcalorimétrie.

Parallèlement, des expériences en photocatalyse, technologie à l‘origine du projet, sont menées à Saclay avec la méthode de conductivité micro-ondes résolue en temps (TRMC). Objectif : mesurer la durée, très brève, pendant laquelle la réaction est possible. En effet, comme l’explique Robert Wojcieszak, « quand on irradie un matériau, on fait passer des électrons vers des niveaux d’énergie supérieurs, ce qui laisse place à des vacances appelées "trous", indispensables à la réaction. Or, si les électrons se recombinent immédiatement avec les trous, la réaction n’est pas possible. Il est donc essentiel de connaître la durée de vie des électrons ».

Si ces différentes expériences permettent de mieux comprendre la transformation du HMF, elles ouvrent aussi de nombreuses perspectives : à la suite d’INGENCat, plusieurs projets ont été déposés, sur la valorisation de la biomasse, l’interaction entre la lumière et la matière dans la photocatalyse, la production d’hydrogène ou encore la purification de l’eau qui pourrait être obtenue grâce à la décomposition des antibiotiques, des PFAS (les substances per- et polyfluoroalkylées ou « polluants éternels ») et, pourquoi pas même des pesticides.

« Une fois qu’on a des super-catalyseurs, ils peuvent être efficaces dans bien d’autres domaines ! », s’enthousiasme Robert Wojcieszak qui porte aujourd’hui un projet sur une réaction en cascade pour des applications biomédicales (BioCatZyme) au Laboratoire lorrain de chimie moléculaire (L2CM - UMR 7053). Pour autant, il n’oublie pas la fabrication de plastique biosourcé : « la biomasse et donc le HMF est une matière première abondante et présente partout. L’enjeu, désormais, est celui du changement d’échelle pour parvenir à une fabrication industrielle ». Et dire enfin adieu au plastique pétrochimique.

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Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l'Agence nationale de la recherche (ANR).
Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l'appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour le projet FEFS des appels à projets génériques 2018-2019.

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[1] Les partenaires du projet INGENCat : - UCCS (Unité de catalyse et chimie du solide) : Université de Lille – CNRS - Université d’Artois – Centrale Lille Institut - ICP (Institut de Chimie Physique) : Université Paris-Saclay – CNRS - IRCELYON (Institut de recherches sur la catalyse et l’environnement de Lyon) : CNRS – Université de Lyon – Institut Carnot - Laboratoire de chimie (LCH) : CNRS - École normale supérieure de Lyon-Université Claude Bernard Lyon 1

[2] Fédération de recherche Université de Lille/Université d’Artois/INRAE/CNRS/Centrale Lille Institut