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Les recherches de Konstantinos Termentzidis et de son équipe dévoilent un monde fascinant où les lois de la thermique classique ne sont plus maîtresses. En levant le voile sur les échanges de chaleur entre un solide et un liquide à l'échelle nanométrique, les physiciens ouvrent la voie à des applications innovantes dans divers domaines industriels et technologiques.
Figurez-vous que l’effet Leidenfrost vous est familier ! Il se produit lorsque l’on verse de l’eau sur une surface très chaude, comme une poêle ou une plaque de cuisson. L’eau se met alors à danser et à former des gouttes rebondissantes, sans s’évaporer immédiatement.
Ce type d’interaction entre un liquide et un solide à l’échelle macroscopique est généralement bien caractérisé et décrit par les principes fondamentaux de la thermique. Parmi ceux-ci, la loi de Fourier, qui porte le nom du scientifique qui l’a formulée en 1822, permet de calculer la conduction thermique, c’est-à-dire la façon dont la chaleur se propage quand il y a une différence de température entre deux parties d’un même milieu ou entre deux milieux en contact. Cependant, à l’instar d’autres lois comme celle de Stefan-Boltzmann pour le rayonnement thermique, les développements fulgurants des nanotechnologies tendent à remettre en question leur applicabilité à de très petites échelles spatiales et temporelles.
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Le chaos nano-thermique
Konstantinos Termentzidis, directeur de recherche au Centre d'énergétique et de thermique de Lyon1 (CETHIL), et son équipe ont récemment publié plusieurs articles permettant de percer les mystères du transport thermique à l’échelle nanométrique au sein de matériaux solides et de systèmes solides/liquides hybrides. Ils démontrent notamment qu’à cette échelle, la conductivité thermique prévue par la loi de Fourier n'est plus une propriété intrinsèque des matériaux, et que des comportements inattendus de dissipation de la chaleur apparaissent.
Le projet2 est né à la suite d’une curieuse idée soufflée par un collègue du physicien : créer un détecteur de pureté de vodka ! « Il était exaspéré par la faible qualité des breuvages qu’il trouvait, se rappelle le chercheur. Il a alors imaginé créer un dispositif nanoporeux léger, rapide et facile d’utilisation, pour mesurer le taux d’alcool et identifier les meilleurs liqueurs par rapport leurs signatures thermique unique ». Si l’idée n’a pas vu le jour, elle a été le point de départ d’une réflexion plus profonde sur les interactions entre un liquide (où la vodka devient de l’eau) et un solide d’échelle nanométrique.
À cette dimension - cent mille fois inférieure à l‘épaisseur d’un cheveu - les assemblages d’atomes ou de molécules présentent des propriétés physico-chimiques inhabituelles. Par exemple, le transfert d’énergie thermique au sein de nanomatériaux (ex. nanofils, nanotubes, super-réseaux, nanocomposites, matériaux nanoporeux, etc.) est très différent de celui observé aux échelles micro et macroscopique. « Nos recherches consistent à observer et simuler ces comportements qui échappent aux lois de la thermique classique, explique Konstantinos Termentzidis, pour ensuite les caractériser, les maîtriser et enfin améliorer la gestion de la chaleur dans les nanotechnologies ou les matériaux nanoporeux ».
Et de poursuivre : « nous avons par exemple observé un phénomène très particulier, relatif à la stratification des molécules d’eau à proximité de surfaces solides ». Dans le détail, les chercheurs ont constaté que la densité des molécules d’eau, ainsi que la quantité de liaisons d’hydrogène qui les relient3, variaient en s’éloignant de quelques nanomètres de la surface du solide. « Ce type de comportement pourrait expliquer les écarts de conductivité constatés à l’échelle nanométrique » avance le physicien.
Éviter le coup de chaud
Une fois ces phénomènes déroutants caractérisés, les chercheurs ont pu mener des expériences de fonctionnalisation de surface. Ce procédé consiste à modifier les propriétés de la surface d’un nanomatériau, afin d’optimiser ses performances ou de lui conférer de nouvelles fonctions, par exemple en termes d’adhérence, de réactivité, de biocompatibilité. « Dans notre cas, illustre Konstantinos Termentzidis, cela nous permet de jouer sur l’hydrophobicité et l’hydrophilie4 de surfaces, pour mieux contrôler les interactions thermiques entre liquides et solides à l’échelle nanométrique et éviter par exemple les effets de surchauffe qui contraignent beaucoup les nanotechnologies actuellement ».
Simulations d’interactions entre le solide nanoporeux (silicium - en jaune) et les molécules d’eau (en bleu et rouge). Les figures du haut sont en 2D, celles d’en bas en 3D. La dernière figure (d) simule le comportement habituel (amorphe) de l’eau dans ces conditions © Konstantinos Termentzidis
Cette technique offre un potentiel considérable pour optimiser les matériaux nanoporeux, qui sont ensuite utilisés dans une large gamme d'applications, allant des catalyseurs dans l'industrie pétrochimique et chimique, à la captation de CO2, en passant par le stockage d'énergie et la nanotechnologie médicale. La fonctionnalisation de surface est également essentielle au développement des dispositifs NEMS (systèmes micro électromécaniques nanométriques) et MEMS (systèmes micro électromécaniques).
Plus largement, les recherches que mènent ces scientifiques permettent de développer des modèles et des outils mieux adaptés à la gestion du transfert de chaleur dans les nanomatériaux et les systèmes complexes. C’est le cas notamment pour la microscopie thermique à balayage (ou scanning thermal microscopy, en anglais), dont la sonde qui permet de mesurer la conductivité thermique pourra être nettement améliorée. Avec cet outil ainsi optimisé, les chercheurs envisagent des progrès significatifs dans la compréhension du transport de l’énergie à l’échelle de l’infiniment petit.
Vers une nouvelle loi de la thermique ?
Il reste aux scientifiques certaines problématiques à résoudre avant de voir leurs travaux se concrétiser à l’échelle industrielle. Konstantinos Termentzidis explique par exemple que le phénomène d'augmentation inattendue de la conductivité thermique de l’eau au sein de systèmes nanoporeux qu’ils ont observés, est maximisé autour d’une température de 300 Kelvins (la température à laquelle les expériences sont menées). Cependant, les effets diminuent à des températures plus basses ou plus élevées. Comprendre comment et pourquoi ces comportements varient en fonction de la température est indispensable pour imaginer traduire ces recherches dans les nano-objets de demain.
D’ici-là, leur démonstration de l’inapplicabilité de la loi de Fourier à l'échelle nanométrique permet déjà à la recherche en physique d’avancer à grands pas. La construction d’une nouvelle loi est par conséquent attendue pour objectiver ces phénomènes dans une équation, qui soit admise et partagée par les chercheurs. Le physicien l’admet, « l’élaboration d’une nouvelle loi physique qui inclurait tous ces phénomènes exotiques observés à de petites échelles ne se décrète pas si aisément ». Il faut du temps, de la collaboration et surtout beaucoup de moyens pour y parvenir.
De ce point de vue,« la nano-thermique est très développée, notamment en France, aux Etats-Unis, au Japon et en Chine » rassure le chercheur. Les nouvelles connaissances5 que les scientifiques ont déjà produites et la force du réseau international de physiciens, chimistes et ingénieurs des matériaux spécialisés ouvrent la voie à de prochains bouleversements théoriques et technologiques.
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-Hotline-AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 18/19).
- 1. Unité CNRS, INSA Lyon, Université Claude-Bernard Lyon 1
- 2. Le projet ANR HOTLINE, a été porté en collaboration avec des membres du Laboratoire énergie et mécanique théorique et appliquée - LEMTA (unité CNRS, université Lorraine) et l'Institut des nanotechnologies de Lyon (unité CNRS, CPE Lyon, Ecole Centrale de Lyon, INSA de Lyon et Université Claude Bernard Lyon 1)
- 3. Liaison faible entre un atome d'hydrogène d’une molécule d’eau A avec un atome d'oxygène d’une molécule d’eau B
- 4. Propriété d’une substance ayant une répulsion (hydrophobicité) ou une affinité (hydrophilie) pour l’eau
- 5. Plusieurs autres phénomènes éloignés des lois classiques ont été observés ces dernières décennies : régime balistique et hydrodynamique de la chaleur, “seconde sound”, effets de tunneling, rectification thermique, effet d'interférence thermique, etc.
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du journal CNRS