A la une
L’OMS estime que le nombre de morts annuelles dues aux bactéries multi-résistantes aux antibiotiques dépassera les 10 millions d’ici 2050. Pour lutter contre cette menace grandissante, des chercheurs de l’I2BC, établis sur le campus CNRS de Gif-sur-Yvette, étudient les voies de régulation menant à l’acquisition et à l’accumulation des gènes de résistance aux antibiotiques chez des espèces bactériennes pathogènes de l’homme.
L’OMS estime que l’impact lié aux bactéries multi-résistantes aux antibiotiques surpasse déjà le fardeau sanitaire des virus influenza, de la tuberculose et du VIH combinés, représentant ainsi une pandémie cachée. Encore plus inquiétant, d’ici 2050, il pourrait être responsable de 10 millions de morts annuelles, dépassant ainsi l’impact actuel du cancer. Afin de mieux comprendre et lutter contre l’apparition de ces souches bactériennes multi-résistantes aux antibiotiques, le projet GenTranSa, porté par le CNRS, étudie la capacité de ces bactéries à intégrer ces gènes de résistance présents dans leur environnement grâce au transfert horizontal de gènes. Piloté par Nicolas Mirouze, chargé de recherche Inserm, et son équipe à l’Institut de biologie intégrative de la cellule1, le projet GenTranSa est financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objectif est de soutenir l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international.
En génétique, le « transfert horizontal de gènes » désigne les différents procédés par lesquels des séquences génétiques peuvent être transmises autrement que par hérédité. Pour les bactéries, l’un de ces procédés se démarque : la transformation naturelle qui permet la fixation, l’import et l’intégration dans le chromosome d’ADN présent dans l’environnement. Ce mode de transmission de gènes, peu répandu (environ 80 espèces bactériennes au total), est fortement corrélé à l’accumulation de gènes de résistance aux antibiotiques chez les pathogènes. En effet, une étude de 2018 a mis en évidence que sur les 12 espèces bactériennes pathogènes pour l’humain et multi-résistantes aux antibiotiques identifiés par l’OMS comme posant le plus de problèmes de santé publique, 11 sont capables de réaliser la transformation naturelle.
Il est important de préciser que la transformation naturelle se démarque également par la nécessite pour les bactéries d’entrer dans un état physiologique particulier appelé « compétence génétique », induite en réponse à des stress environnementaux et impliquant de nombreuses et complexes voies de régulations.
Face à ce constat, Nicolas Mirouze et son équipe ont étudié le développement de la compétence au sein d’une bactérie pathogène de l’homme, le staphylocoque doré (Staphylococcus aureus). Les chercheurs ont ainsi pu montrer que l’activation de la compétence chez le staphylocoque doré implique trois protéines centrales, induites en réponse à des conditions environnementales particulières. « Nos travaux récents ont également permis d’identifier la raréfaction en oxygène comme un signal fort de stress et d’induction de la compétence chez le staphylocoque, révèle Nicolas Mirouze. Ce résultat est particulièrement intéressant car la littérature médicale montre que la virulence de ce pathogène est très souvent associée à de faibles concentrations en oxygène. »
Par ailleurs, les chercheurs ont étudié le processus de transformation sous le microscope, et ont pu déterminer précisément d’une part où elle a lieu chez la bactérie ainsi que les protéines impliquées dans la captation et l’intégration de l’ADN exogène, c’est-à-dire extérieur aux bactéries. Nicolas Mirouze conclut de ces travaux méticuleux et novateurs : « Maintenant que nous commençons à comprendre comment les bactéries accumulent des gènes de résistance aux antibiotiques, nous allons pouvoir chercher à identifier où et quand agir pour les limiter ».
__________
1 I2BC – CNRS/CEA/Université Paris-Saclay/Inserm/INRAE à Gif-sur-Yvette