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Un nouveau type de matériau d’électrodes pour le stockage d’énergie
26.08.2024, par Martin Koppe
Mis à jour le 30.08.2024
Les hydroxydes doubles lamellaires sont des matériaux prometteurs pour le stockage d’énergie, combinant les avantages des batteries et des supercondensateurs. Leur faible tenue lors de cycles de charge/décharge a été multipliée jusqu’au centuple. Explications dans ce nouveau billet du blog Focus Sciences.

Alors que la question du stockage de l’énergie devient de plus en plus cruciale, deux modèles se font face. D’abord les batteries, qui se distinguent par leur densité d’énergie élevée, mais avec une densité de puissance modeste, ainsi qu’une durée de vie limitée d’environ deux mille cycles de charge et de décharge qu’elles peuvent effectuer sans pertes de performances. Les supercondensateurs stockent moins d’énergie, mais ils se chargent beaucoup plus vite que les batteries et peuvent fournir une plus grande puissance sur de petites échelles de temps. Ils peuvent également effectuer plusieurs millions de cycles de charge/décharge avant de subir une perte significative des performances.

Il existe cependant des applications pour lesquelles aucun de ces dispositifs de stockage d’énergie ne convient parfaitement. Dans les réseaux électriques par exemple, la flexibilité et la stabilité du système pourraient être améliorées grâce des points intermittents de stockage d’énergie, avec des cycles d’une quinzaine de minutes. Des chercheurs de l’Institut des matériaux de Nantes Jean Rouxel1 et de l’Institut de chimie de Clermont-Ferrand2 travaillent ainsi avec la direction recherche et développement d’EDF pour explorer des pistes adaptées.

Des matériaux en feuillets
Parmi les solutions envisagées, une équipe de l’IMN s’est intéressée à la conception d’électrodes à base d’hydroxydes doubles lamellaires (HDL). Ces matériaux se présentent sous la forme de feuillets hydroxydes chargés positivement, entre lesquels viennent s’intercaler des anions, c’est-à-dire des ions négatifs, qui compensent la charge des feuillets.

« Les hydroxydes doubles lamellaires sont surtout utilisés comme échangeurs anioniques, c’est-à-dire pour remplacer des anions intercalés par une quantité équivalente d’autres anions, explique Thierry Brousse, professeur à Polytech Nantes (Nantes Université) et chercheur à l’IMN. Des anions de molécules électroactives peuvent aussi être intercalés et, en fonction du pH, donner lieu à des réactions d’oxydoréduction entre les feuillets. À partir de là, nous avons voulu vérifier si les hydroxydes doubles lamellaires pouvaient convenir à du stockage électrochimique d’énergie. »

Les HDL présentent en effet plusieurs avantages. La formulation la plus utilisée est à base de magnésium et d’aluminium, et se réfère au minéral hydrotalcite. Ils sont généralement peu coûteux à préparer et non toxiques. Leur stabilité en milieu aqueux est particulièrement intéressante pour le stockage d’énergie, car elle permet d’éviter l’utilisation d’électrolytes à base de solvants organiques, potentiellement inflammables et/ou toxiques.

Représentation schématique
Représentation schématique de la structure Mg2Al(OH)6 x 2 H2O intercalée avec des anions ferrocène monocarboxylate (A), soit des anions ferrocène dicarboxylate (B) © Christine Taviot-Gueho, ICCF.

Le choix des couples électrodes/électrolyte
Élodie Grange, assistante-ingénieure du CNRS à l’IMN, a effectué plusieurs séjours à l’ICCF pour synthétiser des HDL. Le laboratoire clermontois réuni en effet des savoir-faire de pointe et des équipements pour la synthèse et la caractérisation de ces matériaux. Dans le cadre de la thèse de Julien Sarmet, toujours à l’ICCF, différentes compositions chimiques de HDL ont pu être sélectionnées comme matériau d’électrode, mais ce n’est qu’une première étape sur la longue route pour obtenir un véritable système fonctionnel de stockage de l’énergie.

 En effet, il faut également identifier les électrolytes adéquats. Les meilleurs couples électrode/électrolyte initialement envisagés ont été testés par Camille Douard, ingénieure d’étude CNRS à l’IMN, et ont donné d’excellentes performances avec un temps de charge de quelques minutes, mais seulement sur une poignée de cycles avant de se dégrader.

« Notre problématique principale concerne le nombre de cycles de charge et de décharge avant que le matériau ne soit plus électrochimiquement actif, précise Thierry Brousse. Il nous fallait identifier un moyen pour que les anions présents entre les feuillets d’hydroxydes doubles lamellaires ne soient plus relargués aussi rapidement dans l’électrolyte. »

Tenue en cyclage
Tenue en cyclage pour (A) Mg2Al(OH)61.0 x 2 H2O et (B) Mg2Al(OH)60.5 x 2 H2O © Patrick Gerlach, IMN.

Des feuillets dopés
C’est là qu’intervient Patrick Gerlach, postdoctorant à l’IMN arrivé du laboratoire du professeur Andrea Balducci à Friedrich Schiller University Jena, partenaire de l’IMN dans plusieurs projets de recherche. Avec des étudiants de master, il a mis au point une technique de spectrométrie ultraviolette permettant de suivre en direct la dégradation des anions. Pour contrecarrer ce problème, les chercheurs de l’ICCF ont proposé et synthétisé une électrode HDL intercalée par des molécules appelées ferrocènes carboxylates. Patrick Gerlach et Camille Douard ont dû trouver les meilleures formulations entre les électrolytes et les électrodes. Parti d’une stabilité de seulement cinq cycles, ils sont parvenus à cinq cents cycles. EDF a réalisé des mini-prototypes à partir de ces HDL, afin de tester leurs performances dans un contexte plus proche d’un système fonctionnel.

Images en microscopie électronique en transmission
Images en microscopie électronique en transmission de (A) Mg2Al(OH)61.0 x 2 H2O et (B) Mg2Al(OH)60.5 x 2 H2O © Julien Sarmet et Christine Taviot-Guého, ICCF.

Cette suite ordonnée d’expérimentations représente les étapes nécessaires pour avancer jusqu’à des systèmes fonctionnels. L’équipe de Thierry Brousse est d’ailleurs membre du Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie (RS2E), coordonné par les professeurs Jean-Marie Tarascon du Collège de France et Patrice Simon de l’université Toulouse III – Paul Sabatier. Leader de la recherche sur les batteries et supercondensateurs en France, le RS2E réunit seize entreprises et dix-sept laboratoires sous tutelle CNRS/Universités afin de développer les solutions de demain pour stocker efficacement l’énergie électrique.

Thierry Brousse, Camille Douard et Patrick Gerlach

De gauche à droite : Pr Thierry Brousse, Camille Douard, et Dr Patrick Gerlach dans le laboratoire d’électrochimie de l’IMN © David Brown.

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet Hydroxydes lamellaires pour systèmes de stockage innovants – LaDHy – AAP 2020. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 20).

Notes
  • 1. IMN, Unité CNRS/Nantes Univ.
  • 2. ICCF, Unité CNRS/Univ. Clermont Auvergne

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