Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
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Par le réseau de communicants du CNRS

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Une nouvelle arme contre les bactéries, fruit de l'union entre chimie et technologie
08.09.2025, par Sophie Blitman
Mis à jour le 03.09.2025

À l’interface de la chimie, du développement technologique et des stratégies thérapeutiques, le projet BacUS réunit des partenaires grenoblois, engagés depuis dix ans dans la conception de dispositifs innovants pour détecter et combattre des bactéries. Ces recherches ont abouti à des avancées majeures et inattendues, ouvrant des perspectives prometteuses.

 des prismes en verre à haut indice optique et couverts d'un film d'or nanométrique. Deux biocapteurs : des prismes en verre à haut indice optique et couverts d'un film d'or nanométrique. © CEA

Biochimiste de formation, Yoann Roupioz consacre depuis quinze ans ses recherches au développement de biocapteurs, des dispositifs capables de détecter des bactéries à partir de la réaction entre une molécule biologique et l’échantillon à analyser. Ses travaux se concentrent sur deux domaines clefs : l’agroalimentaire et la santé. Depuis 2012, le chercheur a conçu un système innovant de détection bactérienne en une seule étape au sein du laboratoire Systèmes Moléculaires et nanoMatériaux pour l’Énergie et la Santé dont il est également directeur adjoint depuis 2014. Mise au point grâce à de fortes collaborations internes entre biochimistes, physiciens opticiens et physiciens théoriques, cette méthode a donné lieu à un dépôt de brevets car elle permet de gagner un temps précieux dans l’identification de bactéries en cas de contamination.

Le procédé s’appuie sur des dispositifs produits dans le laboratoire à l’aide d’un robot de type impression par jet d’encre. Cet automate dépose des microgouttelettes contenant une centaine d’anticorps différents sur un prisme de verre compact, d’à peine 2 cm2. Ces anticorps interagissent avec l’échantillon à tester et une lecture optique permet d’identifier la présence éventuelle de bactéries. Cependant, le système présente une limite : seuls les antigènes bactériens reconnus par les anticorps greffés sur le dispositif peuvent être détectés. Ainsi, si aucun anticorps présent n’est susceptible d’interagir avec une bactérie présente dans l’échantillon, celle-ci peut passer inaperçue, entraînant des faux négatifs. C’est pour surmonter ce biais que Yoann Roupioz a lancé BacUS[1], un projet financé par l’Agence Nationale de la Recherche de 2019 à 2022, et mené en collaboration avec deux partenaires de longue date : le Département de Chimie Moléculaire et le CHU Grenoble Alpes[2].

 un imageur SPR (à Résonance de plasmon de surface). On voit dans la main le biocapteur couvert d'or et fonctionnalisé par des anticorps ou des peptides. L'instrument optique utilisé pour la détection : un imageur SPR (à Résonance de plasmon de surface). On voit dans la main le biocapteur couvert d'or et fonctionnalisé par des anticorps ou des peptides. © CEA

Les peptides, des molécules intéressantes

L’idée fondatrice de BacUS est d’utiliser des peptides antimicrobiens (PAM), de petits fragments de protéines naturellement produits par de nombreux organismes (mammifères, batraciens, plantes, champignons…) et capables d’interagir avec les membranes des bactéries. Peu utilisés jusqu’ici à des fins diagnostiques, ils offrent pourtant deux atouts majeurs : d’une part, ils n’endommagent pas les bactéries, ce qui permet de détecter les bactéries viables. D’autre part, comme chaque PAM possède un spectre d’action différent, une grande variété de souches bactériennes est potentiellement identifiable. « Nous nous sommes inspirés du phénomène bien connu qu’est l’odorat humain, explique Yoann Roupioz : de même que notre cerveau décode les odeurs en combinant les signaux des 400 récepteurs de notre nez, nous utilisons ici plusieurs peptides, qui apportent chacun une information partielle. Leur combinaison donne la signature d’une bactérie. »

Le projet a nécessité plusieurs étapes techniques. Les peptides ont d’abord été synthétisés et purifiés au DCM par l’équipe de Didier Boturyn. Le SyMMES a ensuite greffé ces peptides sur le biocapteur à l’aide d’un robot spécialisé. Puis, des tests ont été menés sur des échantillons contaminés par des bactéries pathogènes fréquemment trouvées dans le sang, en partenariat avec la professeure Sandrine Boisset du CHU Grenoble Alpes. Cette phase présente un défi supplémentaire : la variabilité importante de la composition du sang d’une personne à l’autre, qui nécessite d’adapter non seulement l’instrument de détection mais aussi le traitement du signal optique mesuré.

Malgré ces difficultés, l’équipe a pu tester une vingtaine de peptides et démontrer leur capacité à distinguer des espèces bactériennes spécifiques. Deux souches ont été ciblées : le staphylocoque doré, largement impliqué dans les infections nosocomiales et de plus en plus résistant aux antibiotiques, et une souche pathogène d’Escherichia coli, responsable de plusieurs contaminations alimentaires graves.

Une boîte de Petri avec des colonies de Staphyloccoque doré, en main gauche et avec un biocapteur fonctionnalisé en main droite.Une boîte de Petri avec des colonies de Staphyloccoque doré, en main gauche et avec un biocapteur fonctionnalisé en main droite.© CEA

Découvertes inattendues

BacUS a également ouvert de nouvelles perspectives. L’équipe a en effet conçu un peptide particulier, baptisé Pacha (pour Peptide à caractère hydrophobe et amphiphile), capable de détecter et d’interagir avec de nombreuses bactéries sans, cependant, en identifier précisément la souche. Suite à une proposition issue du CHU, les chercheurs l’ont alors testé comme molécule antibiotique, et ont obtenu un résultat surprenant : Pacha parvient à tuer des bactéries de types très différents et à très faible concentration.

Pour confirmer cette découverte, un second peptide, Pacha 2, a été synthétisé en reprenant les mêmes acides aminés que Pacha, mais dans un ordre aléatoire. Contre toute attente, son efficacité antibiotique s’est révélée encore plus grande. Pour Yoann Roupioz,  « ce résultat suggère que la structure du peptide, déterminée par la séquence des acides aminés, joue un rôle central dans son activité ».

Alors que deux demandes de brevets ont été déposées, Yoann Roupioz souhaite approfondir cette piste d’application thérapeutique, avec l’ambition de proposer un traitement d’ici un à deux ans. À condition, toutefois, de remplir certaines conditions. Il faut notamment optimiser les séquences d’acides aminés, et surtout tester leur cytotoxicité, c’est-à-dire les effets potentiellement nocifs sur les cellules humaines. « Si le peptide est toxique pour le foie ou les reins, alors la balance bénéfice-risque ne sera pas favorable et le projet s’arrêtera », prévient le chercheur. Sinon, la voie sera ouverte pour une valorisation thérapeutique, avec des essais cliniques à la clef.

Un potentiel à explorer

Délivrer Pacha 2 comme antibiotique de première ligne (comme l’est actuellement l’amoxicilline) serait une avancée précieuse, alors que « l’antibiorésistance représente une menace majeure pour la santé mondiale, rappelle le biochimiste : on estime qu’en 2050, elle pourrait causer jusqu’à 10 millions de décès par an, soit plus que les cancers ». Ces nouveaux peptides pourraient apporter une réponse efficace car ils ciblent la membrane, une structure difficile à modifier pour les bactéries. Ils pourraient aussi offrir un spectre d’action plus large que les antibiotiques classiques, souvent très ciblés.

Depuis quelques années, les PAM suscitent un fort intérêt scientifique. Grâce aux progrès de la chimie de synthèse, ils sont bien plus faciles à produire qu’autrefois, où leur extraction nécessitait de broyer des plantes ou d’extraire le mucus de batraciens. De nombreuses études sont en cours, souligne Yoann Roupioz : « aujourd’hui, seuls 80 peptides sont approuvés par la FDA (Food and drugs administration), l’agence américaine qui joue un rôle majeur pour déterminer les normes de sécurité des médicaments et aliments dans le monde. Mais 600 nouveaux peptides sont actuellement en phase préclinique ». Ce chiffre illustre bien l’engouement du monde scientifique pour ces biomolécules : à la fois outils de diagnostic rapide et candidats thérapeutiques prometteurs, elles ouvrent des perspectives aussi bien pour lutter contre les infections que pour traiter l’obésité ou les cancers.

[1] BacUs : Détection universelle de bactéries

[2] Partenaires du projet BacUs :
- Systèmes moléculaires et nanomatériaux pour l'énergie et la santé (SyMMES - CNRS / CEA / UGA / Grenoble INP - UGA)
- Département de chimie moléculaire (DCM - CNRS / UGA)
- CHU Grenoble Alpes

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre du projet ANR - BacUs - AAPG18. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-19 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 18-19).