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Les masses de données que nous produisons chaque jour ont besoin d’être encodées, stockées et lues. Qu’il s’agisse d’un CD ou d’un disque dur, la plupart des solutions conservent ces informations à la surface d’un matériau. Ce stockage serait cependant plus efficace s’il pouvait s’effectuer dans tout un volume.
Cette idée est au cœur de travaux de Franck Camerel, directeur de recherche CNRS à l’Institut des sciences chimiques de Rennes1. Il étudie des molécules capables de s’auto-organiser, notamment sous forme de cristaux liquides. « Stocker de l’information sur une surface en deux dimensions est devenu facile, il est donc temps de le faire dans le volume, affirme Franck Camerel. À la place d’un pixel, nous aurions un voxel positionné dans un espace en trois dimensions. »
Le chercheur vise des supports sous forme de films minces et flexibles en cristaux liquides, composés de chromophores présentant des propriétés optiques qui pourraient être modulées de manière réversible lorsqu’ils reçoivent une stimulation lumineuse à une fréquence précise. L’alternance stable et contrôlée entre deux zones aux propriétés optiques différentes correspond à un système binaire permettant de stocker des données numériques.
Du pixel au voxel
Mais comment sélectionner un voxel spécifique dans un volume ? La solution retenue par l’équipe de recherche consiste à utiliser un matériau qui n’est pas opaque, puis d’y focaliser un laser en un point de même taille qu’un voxel. Ainsi, le faisceau traverse différentes couches en ignorant les informations rencontrées, et ne prend en compte que le voxel souhaité.
Cette focalisation à l’intérieur d’un matériau rend possibles des phénomènes très spécifiques, dits d’« optique non linéaire ». Ces cas particuliers ont lieu quand les deux composantes de la lumière, une onde électrique et une onde magnétique, ne se comportent plus de façon proportionnelle l’une par rapport à l’autre. Dans l’optique non linéaire, on retrouve notamment la génération de seconde harmonique, où deux photons interagissent en même temps avec un matériau qui émet en retour un seul photon deux fois plus énergétique. Il existe aussi l’absorption à deux ou trois photons, où le matériau change d’état électronique en absorbant deux ou trois photons en même temps, au lieu d’un seul.
Une méthode pour chaque opération
« Des contraintes physiques font qu’un seul phénomène d’optique non linéaire ne peut pas servir à la fois au stockage et à la lecture des données, déplore Franck Camerel. Nous voulons donc que l’information soit écrite par absorption à plusieurs photons, puis qu’elle soit lue par génération de seconde harmonique. »
Au niveau du matériau de stockage, les cristaux liquides offrent divers avantages, comme leur capacité à se déposer facilement sur des supports flexibles et pas forcément plats. Leur fluidité permet aussi de changer plus facilement la structure des molécules situées dans la profondeur du matériau, sans modifier celles en surface. Par contre, pour le stockage 3D de l’information, il ne faut pas que la fluidité soit trop élevée, sans quoi les voxels pourraient bouger et l’information stockée serait perdue.
Des polymères à deux chaînons
Les cristaux liquides sont ici conçus à partir de pyrimidine, une molécule organique cyclique que l’on retrouve dans les bases nucléiques formant notre ADN. Ces pyrimidines sont fonctionnalisées avec de longues chaînes carbonées pour générer des phases de cristal liquide. L’inscription de l’information se fait par photodymérisation à deux photons, c’est-à-dire que le signal lumineux du laser va forcer deux chromophores de deux molécules adjacentes à s’assembler. Le dimère ainsi obtenu présente des propriétés d’optique non linéaire différentes du reste du matériau, ce qui permet de coder un voxel.
Si la théorie permet d’identifier des molécules candidates, leur synthèse se révèle souvent difficile. Il faut notamment introduire un fragment photoréactif et des fragments promoteurs de propriétés du cristal liquide sur différents endroits de la molécule pour pouvoir y encoder une information. En plus de respecter les conditions si particulières de l’optique non linéaire, le matériau doit également être stable à température ambiante.
Vers la réécriture
« Nous avons pour l’instant obtenu des cristaux liquides pouvant être adressés, écrits et lus grâce à l’absorption à trois photons et à la génération de seconde harmonique, décrit Franck Camerel. Ils ne fonctionnent cependant pas par photodimérisation, mais par photodécomposition : un phénomène qui n’est pas réversible. Nous devons donc continuer à développer des matériaux pour avoir un système réinscriptible. » Ce système marche également à plus de cent degrés, ce qui est encore trop éloigné des températures ambiantes nécessaires pour une application tout public.
Pour poursuivre ces travaux, en plus de son équipe à l’ISCR, Franck Camerel est épaulé par des chercheurs de l’Institut de science des matériaux de Mulhouse2, experts des phénomènes optiques, linéaires ou non, en solution. Des collègues de l’Université catholique de Louvain ont fait de même, mais à l’état solide. De quoi explorer davantage les propriétés de la lumière et de la matière, jusqu’à trouver la combinaison de matériaux qui offrira un stockage utilisable.
Des cristaux liquides originaux permettent un stockage optique de données en trois dimensions © Franck Camerel/ISCR
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Ces recherches ont été financées par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « All organic photoactive liquid crystalline materials for 3D optical data storage – 3D-ODS » AAP 2020 et par la région Bretagne dans le cadre du programme de recherche 3D-STORE (Projet N°241302 - UMR6226). Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 20).
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