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Comment fonctionnent les horloges circadiennes, qui régulent l’activité de nombreuses fonctions des organismes vivants ? Le projet PostClock, mené à l’Institut des neurosciences Paris-Saclay (NeuroPSI), a pour objectif d’approfondir la compréhension de ces mécanismes en les étudiant sur les mouches drosophiles.
Les horloges circadiennes sont présentes dans tous les organismes vivants et contrôlent de nombreux aspects de la physiologie et du comportement. Elles régissent par exemple les rythmes veille-sommeil et reçoivent les informations de lumière et de température pour synchroniser le comportement avec les cycles jour-nuit.
« Comme la Terre fait un tour sur elle-même en 24 heures, les horloges circadiennes ont une période d’environ une journée, explique François Rouyer, directeur de recherche Inserm, directeur de l’Institut des neurosciences Paris-Saclay (NeuroPSI1) et coordinateur du projet PostClock. Le rythme circadien contribue également à caler des fonctions les unes par rapport aux autres. » L’exemple souvent donné est la production d’urine, qui est très faible pendant la nuit et importante en journée : « Cette production étant régulée de façon circadienne, elle permet de bien dormir. »
Tous les organismes disposent d’une horloge circadienne, et même de plusieurs horloges circadiennes car elles sont présentes dans presque toutes les cellules et vont contrôler des fonctions différentes. « En moyenne, 10 % des gènes d’une cellule sont sous influence de cette horloge circadienne, souligne François Rouyer. Sur l’ensemble des tissus, quasiment 80 % des gènes sont contrôlés par l’horloge circadienne. »
Afin d’améliorer la compréhension du fonctionnement des horloges circadiennes sur le plan moléculaire, les scientifiques mènent notamment leurs recherches sur la mouche drosophile car plus de la moitié de ses gènes sont conservés chez l’homme et la connaissance de sa génétique est très avancée.
Pour comprendre ces recherches, il faut rappeler qu’un gène est un segment d’ADN contenant les informations nécessaires à la synthèse d’une protéine. Ces informations génétiques sont copiées sous forme d’ARN messager lors de la transcription. Ensuite, l’ARN messager peut subir des contrôles dits post-transcriptionnels qui vont jouer sur sa stabilité et sa capacité à être traduit en protéine. Une fois la protéine synthétisée, interviennent des mécanismes post-traductionnels, qui sont quant à eux des modifications biochimiques de la protéine qui peuvent changer ses propriétés.
« L’approche génétique a permis de déterminer quatre gènes particulièrement impliqués dans la régulation du rythme circadien chez la drosophile, résume François Rouyer. Pour schématiser, ces quatre gènes codent pour des protéines qui contrôlent la transcription : deux activateurs (Clock et Cycle) et deux répresseurs (Period et Timeless). » En génétique, un activateur transcriptionnel stimule la transcription d’un gène, alors qu’un répresseur l’inhibe.
Chez la drosophile, les facteurs de transcription Clock et Cycle activent le soir l’expression des gènes codant pour les répresseurs Period et Timeless. La lente accumulation nocturne de ces derniers aboutit à une phase de répression transcriptionnelle de leurs propres gènes en fin de nuit. « L’oscillateur circadien repose sur une boucle de rétroaction transcriptionnelle négative qui prend 24 heures et une question clé est de comprendre comment cette période est déterminée », soulève le scientifique.
L’accumulation lente des répresseurs est fondamentale car, si les protéines s’accumulaient rapidement, elles viendraient tout de suite réprimer l’expression de leurs propres gènes, il n’y aurait pas de décalage temporel et le système serait à l’équilibre, sans oscillations.
Dans la compréhension générale de ce modèle, les scientifiques manquent justement encore d’informations sur l’accumulation lente de la protéine Timeless. « Si nous savons que Timeless est en quelques sortes le contrôleur de Period, nous ignorons encore sa fonction biochimique, et comment l’équilibre synthèse/dégradation est contrôlé », indique le chercheur de NeuroPSI.
C’est là qu’entre en jeu le projet PostClock, qui vise à caractériser de nouveaux mécanismes post-transcriptionnels dans l’horloge cérébrale qui contrôle les rythmes comportementaux de la mouche drosophile. Ce projet, démarré en 2019 et terminé à l’automne 2023, a notamment bénéficié d’un financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objectif est de soutenir l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international.
Pour trouver des gènes de comportement, l’approche génétique consiste créer des mouches mutantes puis tester leur comportement. En l’occurrence, le projet PostClock a utilisé la technique de « l’ARN interférent », qui permet de baisser l’expression d’un gène donné dans un certain type cellulaire.
« Nous avons utilisé environ 7 000 ARN interférents (environ la moitié du génome), un par un chez des mouches transgéniques, dans des neurones que nous savons être importants pour le fonctionnement de l’horloge circadienne cérébrale. Ensuite, nous avons mesuré le rythme veille-sommeil de chacune de ces lignées de mouches », raconte François Rouyer. Ce travail de trois années, organisé par une ingénieure de l’équipe, Béatrice Martin, a permis de trouver plusieurs lignées de mouches montrant des phénotypes de rythme veille-sommeil.
L’une de ces lignées portait un ARN interférent dirigé contre une protéine de type déadénylase, qui enlève des adénines. Chez les eucaryotes, les ARN messagers possèdent, à la fin de leur séquence, une queue poly(A), constituée de dizaines d’adénines. « Cette queue poly(A) est importante pour la stabilité de l’ARN messager et sa capacité à être traduit en protéine, explique le scientifique. Par ailleurs, d’autres protéines vont, en fonction de la longueur de cette queue poly(A), dégrader l’ARN messager, promouvoir ou au contraire inhiber sa traduction. »
Preuve de l’importance de cette donnée, des études menées sur les mammifères ont montré que « la queue poly(A) des ARN messagers de nombreux gènes cycle en longueur : il y a des heures où elle est plus longue et des heures où elle est plus courte, ce qui suggère très fortement que les ARN messagers ont une stabilité et une capacité à être traduits qui varient de façon circadienne ».
Lorsqu’ils ont découvert qu’une déadénylase, protéine qui « rabote » les queues poly(A), avait un fort effet sur le rythme veille-sommeil, les scientifiques du projet PostClock ont voulu observer ses effets sur les ARN messagers des gènes de l’horloge circadienne. « Nous nous sommes rendus compte que le messager Timeless était très sensible à cette déadénylase alors que les autres ne le sont pas du tout », souligne François Rouyer. Cela a permis à son équipe de déterminer que le messager Timeless est fortement contrôlé par cette déadénylase, nommée POP2 chez la mouche, et très conservée de la levure à l’homme.
En poursuivant leurs recherches, les scientifiques ont découvert une autre caractéristique de ces mouches mutantes portant un ARN interférent Pop2. « À notre grande surprise, nous nous sommes aperçus que lorsque nous inhibions également Period chez les mutants de Pop2, nous n’avions plus l’effet de la perte de Pop2, soulève le chercheur. C’est très difficile à comprendre parce que Period est un répresseur transcriptionnel, donc on ne voit pas très bien comment il pourrait contrôler l’effet de Pop2 sur l’ARN de Timeless, ce n’est pas du tout dans ses fonctions. »
Plusieurs pistes ont été étudiées pour expliquer ce phénomène et l’une d’entre elles semble clairement sortir du lot : le contrôle du poly(A) par Pop2 est très dépendant de la quantité d’ARN messager Timeless. De plus, Period n’agirait pas directement sur le messager Timeless, mais sur la quantité du messager Timeless et c’est cette quantité qui va faire que Pop2 agit ou non. « Nos recherches semblent également montrer que la capacité de la protéine Timeless à être traduite dépend beaucoup du cycle circadien », poursuit François Rouyer.
La suite des recherches consistera à les étendre à l’ensemble des gènes contrôlés de façon circadienne et un autre gène d’horloge sous contrôle de POP2 vient d’ailleurs d’être identifié par Brigitte Grima, une chercheuse de l’équipe et Thierry Cottineau, étudiant dont la thèse a été financée par l’ANR PostClock. « Le but est de comprendre le rôle des mécanismes post-transcriptionnel sur les ARN messagers, à la fois dans le mécanisme d’horloge lui-même (donc sur Period et Timeless), mais également dans tous les gènes qui sont contrôlés par l’horloge, conclu le chercheur. On cherche à comprendre tous les mécanismes qui font que les organismes fabriquent ce dont ils ont besoin au bon moment. »
1 NeuroPSI (CNRS/Université Paris-Saclay)