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Si le biomimétisme s'inspire directement de la nature, l’ethnomimétisme s’inspire des hommes, des matériaux et des techniques développées au cours des siècles par les groupes ethniques dont la culture entretient l’interaction avec l’altérité, soit les espèces, les éléments de la nature et leurs propriétés respectives. Soutenu par le CNRS, le projet I-Mat fait émerger ce concept d’ethnomimétisme et l’utilise pour une approche innovante des savoirs traditionnels relatifs aux objets rituels patrimoniaux des sociétés autochtones d’Amérique du Nord. Il est porté par Frédéric Saumade, anthropologue, accompagné par Thierry Sarnet, physicien et expert en matériaux, et Mathieu Mourey, doctorant en anthropologie1.
Depuis l’époque coloniale jusqu’au milieu du XXe siècle, les ethnologues et autres scientifiques occidentaux qui séjournaient dans des sociétés traditionnelles avaient l’habitude d’en rapporter des objets à forte valeur symbolique, parfois même en les volant (Michel Leiris le confessa dans L’Afrique fantôme), pour les céder à un musée ou les vendre à des collectionneurs. De telles pratiques étant heureusement bannies, on favorisera désormais un échange interactif et équitable entre ces cultures et les sociétés occidentales. Dans le projet I-Mat, des groupes ethniques amérindiens, comme les Sioux Lakotas (Dakota du Sud) ou les Pueblos (Nouveau-Mexique), sont sollicités pour partager leur savoir-faire artisanal, dans un objectif de valorisation dont ils puissent garder le contrôle et le bénéfice.
La rencontre des savoir-faire ancestraux et des nouvelles technologies
La reproduction d’objets à des fins d’expérimentation de savoir-faire techniques par imitation n’est pas une nouveauté, comme l’ont montré les essais d'archéologie expérimentale d’André Leroi-Gourhan2. Se situant dans cette lignée méthodologique, l’équipe étudie et reproduit en fac-similé certains objets amérindiens en combinant méthodes ancestrales et hautes technologies (conception assistée par ordinateur, photogrammétrie, scans 3D, impression 3D), à des fins de conservation muséographique, de diffusion de ces savoirs traditionnels et de réintroduction de techniques anciennes, tout en encourageant également la restitution par les musées de certains objets de grande valeur dans les cultures autochtones concernées.
Figure 1. Réplique d’une rosette en piquants de porcs-épics sur une veste blackfoot (Bernisches Historisches Museum, Inv.1890.410.7), réalisée à l’aide d’impression 3D de polymère souple de type TPU. (T. Sarnet ©).
Une attention particulière est apportée aux matériaux issus du vivant. Les espèces animales et végétales protégées utilisées par les artisans amérindiens sont sacrées à leurs yeux, mais l’exploitation de leurs composantes peut être aussi devenue interdite par la loi : c’est le cas des plumes d’aigle, des griffes d’ours ou du bois de peuplier Cottonwood (Populus fremontii) de la vallée du Rio Grande, conservatoire forestier riparien en milieu semi-désertique. Notre travail de reproduction peut permettre aux artisans fabricants de résoudre certains problèmes de fournitures. Parallèlement, nous apprenons sur le terrain des techniques ingénieuses utilisées pour assembler les objets rituels, avec des matériaux traditionnels, des solvants et colorants naturels, qui constituent un précieux apport pour repenser une industrie durable.
Figure 2. Ethnomimétisme et interdisciplinarité (www.ethnomimetisme.org).
Le projet I-Mat se décline de la façon suivante : l’enquête ethnographique de terrain prend place au sein des communautés amérindiennes par le biais des artisans et des spécialistes du rituel. Elle privilégie les objets les plus puissants symboliquement aux yeux des autochtones : les coiffes de plumes ou à cornes, les colliers de griffes de grizzly, les habits (peaux animales de cervidés ou bisons), les tambours traditionnels, les accessoires de danses rituelles, etc. Le travail d’observation participante se fait aussi avec certains artisans amérindiens, ou « indianistes », qui sont eux-mêmes facteurs de répliques d’objets rituels anciens, à des fins muséographiques ou commerciales.
Des répliques haute fidélité
Il s’agit ainsi de mieux faire valoir ce que la méthodologie du programme I-Mat apporte de différent des copies courantes, notamment en terme de fidélité dans le processus mimétique. L’enquête se prolonge dans les réserves de musées internationaux qui possèdent des collections importantes d’objets amérindiens, tels que le Peabody Museum de l’université de Harvard, partenaire du projet I-Mat, le musée du Quai Branly-Jacques Chirac (Paris), le musée des Confluences (Lyon), le Museum der Kulturen (Bâle, Suisse), le Bernisches Historisches Museum (Berne, Suisse), les musées de Braunschweig et de Radebeul (Allemagne), ainsi que dans diverses collections privées.
Une plateforme web dédiée à l’ethnomimétisme et au projet I-Mat est en cours de développement : www.ethnomimetisme.org. Elle a pour vocation d’illustrer certaines études de cas parmi lesquelles la fabrication de la réplique muséale de la coiffe du chef Arapahoe Yellow Calf, fruit d’une collaboration entre le CNRS, le British Museum, l’University of Wyoming et le Central Wyoming College, dont le processus de restitution est d’actualité.
Figure 3. A gauche: coiffe originale du British Museum comportant des plumes d’aigle royal (Museum Coll. Am1939,22.1 © The Trustees of the British Museum). A droite: réplique réalisée avec des plumes de substitution (T. Sarnet ©).
Une des principales difficultés du projet a été de remplacer les plumes d’aigle royal (Aquila chrysaetos), espèce protégée, par des plumes issues de l’élevage (dindon ou vautour). La transformation de ces plumes en répliques de plumes d’aigle royal a été réalisée selon différents procédés : par traitement laser – nanostructuration de surface – et par voie chimique – teintures (procédé additif) et décoloration (procédé soustractif). La réplique a été réalisée avec des plumes d’élevage foncées dont le bas a été décoloré pour donner l’apparence de plumes de queue d’aigle royal juvénile (blanches à bout foncé), similaires à la coiffe originale.
Figure 4. Scénographie virtuelle 3D illustrant au premier plan le collier de griffes grizzly endommagé, la réplique restaurée du collier et un tableau (vue d’artiste) d’un guerrier portant ce collier. T. Sarnet ©.
Un travail sur un collier de griffes de grizzly des plaines (Ursus arctos horribilis) du XIXe siècle, espèce désormais disparue, a également été effectué. L’état de conservation du collier original ne permettait pas une restauration classique (collier D979-3-97, musée des Confluences, Lyon). Le scan 3D et l’impression 3D ont permis de répliquer chaque griffe de manière individuelle et de rendre à l’objet son état original présumé.
Conjuguer biomimétisme et ethnomimétisme
Enfin, l’équipe a mené une observation ethnographique de la fabrication des tambours pueblo de Cochiti (Nouveau-Mexique). Les troncs d’arbres morts d’espèces protégées (Cottonwood, Aspen) sont déjà en partie évidés grâce à la décomposition naturelle du bois sous l’action de l’humidité et des insectes. L’artisan achève le travail biologique en creusant ce qu’il reste de bois pourri jusqu’à ce qu’il parvienne à dégager l’aubier de l’arbre, plus résistant à la décomposition. Le morceau de tronc ainsi nettoyé, dont l’écorce est polie au ciseau à bois, est ensuite monté avec des peaux de vaches tannées (rawhide) pour compléter le tambour. Ici, c’est le biomimétisme qui se conjugue avec l’ethnomimétisme (figures 5, 6, 7).
Figures 5,6,7. Le fabricant de tambours pueblo Eagle Herrera travaillant un morceau de tronc d’Aspen (peuplier tremble, Populus tremula) récolté dans les montagnes Rocheuses et trois exemples de sa production finie (Cochiti, Nouveau-Mexique, F. Saumade©).
Ainsi, l’artisan illustre-t-il les virtualités de l’usage de matériaux naturels de récupération et de sous-produits d’animaux d’élevage dans un mode écodurable de fabrication d’objets, lesquels peuvent en l’occurrence aussi bien servir à des fins rituelles que musicales, de collection ou de décoration, constituant ainsi un débouché commercial au-delà de l’appareillage des danses traditionnelles amérindiennes.
Le concept d’ethnomimétisme est initialement lié aux matériaux, aux techniques et au patrimoine culturel des sociétés, mais l’ensemble des connaissances traditionnelles des peuples autochtones, parfois disparues ou oubliées, offre des pistes novatrices pouvant répondre aux exigences du monde moderne en matière de modes de production et de consommation des biens et de l’énergie, de valorisation des déchets et recyclage des biens, de recours à la pharmacopée et aux médecines traditionnelles, d’alimentation et de gestion des écosystèmes.
- 1. Frédéric Saumade est professeur à Aix-Marseille Université. Thierry Sarnet est chargé de recherche au CNRS. Mathieu Mourey est doctorant CNRS. Tous trois sont membres de l’Institut d'ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative (CNRS / AMU). Le projet I-Mat est financé par la mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI).
- 2. Voir par exemple André Leroi-Gourhan, L’homme et la matière 1, Albin Michel, 1943.
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