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Le raid des 7 bornes a été une opération hybride entre une partie scientifique et une partie militaire, et c’est grâce à l’engagement du 3e régiment étranger d’infanterie (REI) que sa réalisation a été rendue possible. Dans un post précédent, j’ai essayé de résumer les premiers résultats sur le plan scientifique (ce volet sera développé sous peu sous la forme d’un article dans la revue du parc amazonien de Guyane, en cours de relecture). Mais qu’en ont tiré les légionnaires du 3e REI ? Après plusieurs heures de discussion avec eux et de nombreux échanges de mails sur le sujet, voici une synthèse des apports de leur point de vue.
La boussole, toujours la boussole !
Les GPS sont toujours plus performants et ils incluent désormais toute la cartographie disponible et éventuellement des images satellitales. Mais la navigation au GPS n’est pas complètement satisfaisante, en particulier en forêt : les données sont en général moins précises que pour d’autres environnements et, surtout, la forêt fermée offre très peu de points de repères qui facilitent la navigation. Naviguer uniquement au GPS, c’est donc courir le risque de s’enfermer dans l’écran et de perdre le contact avec l’environnement réel, ce qui peut s’avérer désastreux lorsque le col ne se trouve pas exactement à l’endroit indiqué mais 50 mètres plus au nord ou au sud…
La meilleure solution est donc une navigation mixte entre le GPS, qui contrôle et permet de déterminer le cap, et la boussole qui permet d’avancer dans la bonne direction et de garder le contact avec l’environnement. Idéalement les deux fonctions sont assurées par deux personnels différents, qui communiquent l’un avec l’autre. En somme la forêt impose d’allier le nec plus ultra de la technologie à l’une des plus anciennes techniques d’orientation. Et bien sûr, le « sens du terrain » reste fondamental.
Se déplacer vite et sans traces
Le raid des 7 bornes a parcouru 320 kilomètres sans utiliser de machette ou presque. En dehors de quelques rares cambrouzes trop denses, l’équipe a progressé en se faufilant sous la canopée sans ouvrir de chemin ou, selon le terme consacré, sans layoner. Cette expérience confirme donc que ce mode de déplacement est efficace, plus rapide et moins fatigant. Par ailleurs, les traces laissées sont minimales, ce qui peut s’avérer important dans le cadre d’opérations à l’aspect tactique plus accentué que dans le cas du raid. Ce type de déplacement pourra donc continuer d’être favorisé dans l’instruction dispensée au sein des FAG et en particulier au Centre d'entraînement à la forêt équatoriale (Cefe). Le retour d’expérience montre qu’au bout d’un temps d’adaptation des automatismes de marche se créent et que la complexité du terrain forestier (branches, racines, piquants, insectes, etc.) finit par être incorporée par les participants qui se déplacent de manière beaucoup plus fluide.
Durer en forêt
Le raid a permis de confirmer que la forêt n’est pas nécessairement une machine à broyer les hommes. Une troupe aguerrie peut ainsi durer et se conserver longtemps tout en produisant des efforts considérables. Le maintien en conditions opérationnelles dépend de tout petits détails qui, ajoutés les uns aux autres, font toute la différence. La gestion des journées en est un, avec l’exigence de terminer les activités autour de 16 heures afin de permettre une bonne organisation du bivouac et l’importance de conserver un rythme constant qui propose des respirations à intervalle régulier pour permettre aux organismes de récupérer.
L’hygiène individuelle en est un autre, avec la nécessité de se laver chaque jour à l’eau claire (mais nul besoin de savonner les vêtements, les rincer suffit amplement !). La communication entre les hommes, enfin, et le leadership sont importants pour maintenir le moral. Celui-ci peut aussi être soutenu par le ravitaillement, en particulier en proposant quelques denrées spéciales de temps en temps (fruits secs, cacahouètes, un peu de rhum) ou tout simplement en incluant de l’eau minérale qui peut paraître un peu superflue mais qui apporte en fait un confort tout à fait appréciable.
Adapter le matériel et les tenues
Le raid a permis de tester certains matériels. Sur le plan des tenues, on a confirmé que la marche en forêt est impitoyable pour les pantalons… Seules les tenues de très bonne qualité peuvent survivre au cocktail de tiraillements et d’humidité constants. En dessous, les cuissards longs sont sans doute la meilleure option car ils préviennent les irritations depuis le genou. Le reste du matériel de forêt correspond au bivouac classique utilisé par la Légion, bien que l’on puisse chercher ici ou là à l’alléger. Plusieurs autres matériels ont été testés durant l’expédition : sacs à dos, lampes, chaussettes… Si on note une progression constante dans les produits proposés par certaines marques (ou même dans ceux fournis par le magasin du corps), ce n’est toutefois pas une règle générale : les boucles des sacs à dos choisis se sont ainsi avérées plutôt fragiles, cassant souvent sous le poids des équipements portés par chacun.
En ce qui concerne le ravitaillement, les rations lyophilisées ont été complétées par quelques ajouts (barres de céréales, lait concentré, etc.), ce qui n’était pas du luxe, au moins pour les premières semaines, le relief difficile exigeant de la part de tous une dépense énergétique pour le moins hors du commun. En ce qui concerne le matériel collectif, le choix de tronçonneuses et d’assez d’ingrédients pour ouvrir les zones de poser d’hélicoptère, plutôt que des explosifs, s’est avéré pertinent. De même, l’emport d’un groupe électrogène relativement léger a ouvert des perspectives : il n’est pas irréaliste de compter sur un approvisionnement en électricité même dans le cas de patrouilles mobiles et autonomes…
Adapter les armes
Le raid des 7 bornes était une mission dans laquelle le risque d’engagement était faible, mais il importait tout de même de pouvoir faire face à toute éventualité. L’armement a donc été réduit à des pistolets automatiques (Pamas), qui se sont révélés une bonne option : plus faciles à entretenir (la rouille vient tout de suite en milieu forestier !) et plus faciles d’emport que les fusils d’assaut (Famas), ils donnaient au détachement une puissance de feu tout de même respectable, en particulier dans un environnement forestier dans lequel les engagements potentiels se font à très courte distance. Le détachement disposait par ailleurs de deux fusils à pompe, un Remington à canon court et un Mauseberg à canon long. Si le premier aurait été utile dans le cas où l’on aurait eu affaire à des animaux agressifs, il s’est révélé peu précis pour des tirs de chasse à moyenne distance (oiseaux perchés dans les arbres, par exemple), du fait du degré d’ouverture de la gerbe de dispersion des plombs.
Le Mauseberg, lui, était plus précis à moyenne distance mais lourd et peu adapté à la marche dans la forêt du fait de son encombrement : il se prenait facilement dans les lianes, les branches, etc. Comme quoi, on ne peut pas tout avoir… Cela étant, l’emport d’un vrai fusil de chasse à canon long (type Baikal, très répandu en Guyane) pourrait s’avérer utile dans ce genre d’expédition, la chasse pouvant apporter un complément alimentaire utile, en particulier pour le moral.
L’importance de la préparation
Si le raid a si bien fonctionné, outre le facteur chance, c’est parce qu’il a été préparé très en amont et avec une très grande attention à tous les détails. Cela inclut la logistique (position des ravitaillements, fréquence, contenu, etc.), mais aussi la planification opérationnelle, le programme journalier, la sélection des hommes, les matériels, les options tactiques, etc. En somme et comme souvent, on n’improvise jamais aussi bien que quand on a (presque) tout prévu. De ce point de vue, la forêt n’est pas différente des autres environnements tactiques, elle agit simplement comme un révélateur particulièrement aigu des imperfections, si celles-ci existent. La loi de Murphy y est encore plus valable qu’ailleurs : si ça peut ne pas marcher, ça ne marchera pas…
Finalement, ce sont les hommes qui font la différence
À côté de la préparation, le facteur humain est déterminant. Une opération comme le raid des 7 bornes implique d’avoir dans tous les domaines des spécialistes très entraînés et particulièrement rustiques. La sélection menée par le 3e REI permettait de disposer d’experts en tronçonnage, navigation boussole, transmission, santé, etc. C’est grâce à cette trame de compétence invisible que nous avons pu aller au bout de la mission sans difficulté majeure. Comme je l’écrivais durant le raid, l’absence apparente de difficulté n’a pas été le signe qu’une telle expédition était en fait facile à réaliser, mais bien plutôt celui du professionnalisme avec lequel elle a été menée.
A voir : "Une frontière dans la jungle", dimanche 31 juillet 2016 à 22 h 40 sur France Ô.
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