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Découvrez ici les recherches et le récit des expéditions du géographe François-Michel Le Tourneau, spécialiste de la Guyane et explorateur de la forêt amazonienne. A suivre également sur le compte Twitter @7bornes.
 

Les auteurs du blog

François-Michel Le Tourneau
Géographe aventurier, membre de l'International Research Laboratory (IRL) iGLOBES

A la une

Sur les traces des pères Grillet et Béchamel en 1674...
07.06.2019, par Pierre Grenand
Le départ c'est pour aujourd'hui ! Le voyage à venir rappelle celui des pères Grillet et Béchamel en 1674. Qui étaient ces missionnaires et quels étaient leurs buts ? Spécialiste de l'intérieur de la Guyane, l'ethnologue Pierre Grenand nous récapitule ici les principales étapes de leur exploration.

Carte de la Guyane réalisée par Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville en 1729. Quand les pères Grillet et Béchamel entreprennent leur voyage en 1674, l'intérieur de la Guyane est très peu connu et les illustrations d'époque sont rares...
Carte de la Guyane réalisée par Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville en 1729. Quand les pères Grillet et Béchamel entreprennent leur voyage en 1674, l'intérieur de la Guyane est très peu connu et les illustrations d'époque sont rares...

Les pères jésuites Jean Grillet (1624-1677) et François Béchamel (1637-1676) sont considérés, à juste raison, comme étant les premiers explorateurs ayant pénétré le cœur de la Guyane Française. Avant eux, la seule tentative de pénétration en profondeur est celle de Utton Fisher qui, en 1609, remonta le Maroni jusqu’en amont du confluent du Tapanahoni avec des Kali’na.
 
Les autres voyageurs de la fin du XVIe siècle et du XVIIe siècle avaient reconnu les côtes et les bas cours des rivières, dépassant rarement les premiers sauts. Leur but était essentiellement la recherche de zones favorables à la colonisation.
 
Quant Grillet et Béchamel effectuent leur voyage, la Guyane est une possession française depuis à peine dix ans. Du récit qu’ils en ont rapporté, plusieurs versions nous sont parvenues, dont une commentée par Artur dans les années 1750.
 
Une vie à la dure

Les jésuites opérant sur le continent américain sont des hommes instruits mais vivant à la dure. Pour s’en convaincre, il suffit de lire leurs textes. En Guyane, ils sont peu nombreux (jamais plus de six à cette époque), s’occupant tout à la fois de l’éducation des enfants des colons, des soins médicaux et de l’évangélisation des Amérindiens.
 
C’est dans ce contexte que nos deux pères vont entreprendre leur exploration. Les renseignements que l’on possède sur l’intérieur proviennent des Amérindiens de la côte, tout particulièrement des Kali’na nommés alors Galibi. Ce peuple domine une grande partie du littoral de la Guyane et surtout a développé des réseaux d’échanges avec les peuples de l’intérieur qui, s’ils n’ont encore que des contacts sporadiques avec les Européens, sont déjà au fait de ces objets métalliques merveilleux que sont la hache, le sabre et le couteau. Par ailleurs leur langue, parlée par le père Béchamel, commence à servir de langue véhiculaire.
 
L’une des originalités du voyage de Grillet et Béchamel est qu’ils vont utiliser tour à tour la voie fluviale et la voie terrestre. Il est aussi évident que ce voyage est impossible sans la collaboration des Amérindiens qui vont imposer leur bon-vouloir aux voyageurs. Le voyage va durer cinq mois.
 
Ils partent le 25 janvier 1674 avec trois esclaves africains et trois Galibi (Kali’na) ; le gouverneur, Mr. de Lézy, les accompagne à l’embarquadère en bas du fort Cépérou, scellant ainsi le caractère officiel de l’expédition. Ils remontent la rivière de Cayenne et prennent par la rivière du Tour de l’Île nommé alors Varca, itinéraire beaucoup plus sûr que de passer par la mer et le Mahury.
 
Recruter des guides et obtenir des canots

Le 28 janvier, ils dorment sur la rive de l’Ouïa (Comté) dans une habitation galibi. Le 29, ils font leur premier campement en forêt, rencontrant ensuite trois petites habitations de Galibi. Le 3 février, le premier portage commence au niveau de la crique des Nouragues (crique Mazin) dans la haute Comté. Ils commencent à esquisser à grands traits la géographie de l’intérieur car ils se font expliquer comment gagner les sources de la Sinnamary et, de là, le Raoua (Araoua, Tampok) via les montagnes de l’actuelle région de Saül.
 
Du 3 au 7 février, séjour dans le premier village Nourague. Les guides Galibi repartent avec l’un des Africains et ce sont les Nouragues qui désormais les guideront. À partir du second village, ils traversent une zone montagneuse qui correspond sans aucun doute aux reliefs de l’actuelle réserve naturelle des Nouragues. Le 10 février, ils franchissent l'Arataye (en aval du saut Pararé ?) et gagnent par terre la crique Caroaribo (Kalawéli), affluent de gauche de l’Approuague où ils vont séjourner jusqu’au 15 mars chez le chamane Imanou.
 

Les pères Grillet et Béchamel ont fait le récit de leurs voyages notamment dans cet ouvrage édité en anglais en 1698.
Les pères Grillet et Béchamel ont fait le récit de leurs voyages notamment dans cet ouvrage édité en anglais en 1698.
  
À cette date, ils quittent ce village pour se rendre chez les Nouragues du chef Camiati, installé en bas du saut Machicou. Leur texte nous donne à voir les difficultés rencontrées lors de leurs tentatives d’évangélisation, les incompréhensions linguistiques, les Nouragues parlant une langue totalement différente des Kali’na, et les avanies qu’ils doivent subir pour recruter des guides et obtenir de mauvais canots. Ils ne vont quitter ce village que le 10 avril avec deux petits canots. Le 13, ils tirent par terre l’un de ces canots pour contourner le saut Canori, le plus haut de la Guyane. Ils en trouvent un autre en amont du saut. À ce stade, l’expédition est composée, outre les deux pères, d’un esclave noir et de quinze Nouragues.
 
Naviguer dans des criques encombrées

Le 14 avril, ils entrent dans le Ténaporibo (actuel Sapokaï). La navigation dans les criques encombrées d’arbres se fait pénible. Le 16, ils atteignent le dernier et grand village des Nouragues dans le haut de la Sapokaï. Ils le quittent le 27 avril. Ils vont alors, durant quatre jours, marcher dans les bois par un itinéraire difficile à préciser sinon qu’ils vont commencer leur descente de l’Inipi au niveau du confluent de la crique Eiski (actuel Pian-Bois). Du confluent de l’Inipi qu’ils atteignent le 4 mai, ils vont remonter le Camopi jusqu’à une grande roche plate, rive gauche, dans le pays des Akokwa. Cette roche, unique dans ce secteur du Camopi, est située à Kulumbuli ɨtu ("Saut des bambous à flèche"), à 12 km en aval du confluent de la Tamouri. Les Teko y font toujours des campements de chasse. Les deux hommes vont séjourner chez les Akokwa jusqu’au 25 mai. Ils n'ont guère besoin de continuer leur voyage, les Amérindiens de toute la région venant les visiter.
 
L’itinéraire de retour sera le même, à quelques variantes pédestres près, jusque chez Camiati. De là, ils vont descendre l’Approuague avec les Nouragues est franchiront les derniers sauts le 19 juin. Près de l’embouchure, ils rencontrent un chef Sapayé qui les emménera à Cayenne qu’ils atteignent le 27 juin 1674.
 
Si la campagne évangélisatrice fut nettement un échec, le voyage de Grillet et Béchamel est le premier à esquisser la géographie physique et humaine de l’intérieur de la Guyane. Le père Béchamel meurt de maladie à Cayenne en 1676. Le père Grillet décède en mer sur le vaisseau qui le ramène à Cayenne en 1677. ♦

  
Pierre Grenand est ethnologue, spécialiste des populations amérindiennes de Guyane et d’Amazonie, Directeur de recherche émérite au CNRS.

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