Donner du sens à la science

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Du 13 janvier au 8 mars 2021, 48 scientifiques vont tenter, à bord du Marion Dufresne II, de percer certains secrets de l’océan Indien Sud-Ouest austral. Suivez cette grande campagne sur ce blog édité en partenariat avec Exploreur, le journal en ligne de l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées.

 

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Swings #2 : Le pouvoir climatique des océans révélé grâce aux particules marines
27.01.2021, par Par Victoria Lascaux, de l’équipe Exploreur
Comment l’océan “digère-t-il” le gaz carbonique de l’atmosphère ? C'est l'une des grandes questions à laquelle tentent de répondre actuellement les scientifiques de l’expédition SWINGS. Explications.

Traquer et analyser les particules marines : quel challenge ! Catherine Jeandel et ses collègues doivent développer des stratégies bien plus fines que celles nécessaires pour trouver une aiguille dans une botte de foin : les eaux marines en contiennent seulement entre 50 et 10 microgrammes par litre.  Dans cette région australe, circule le plus grand courant du monde. Le courant circumpolaire antarctique transporte des espèces chimiques entre les océans Atlantique, Indien et Pacifique. Son débit est 140 fois la somme des débits ajoutés de toutes les rivières du monde. Dans l’océan, la pompe biologique agit sur la colonne d’eau, alors que la circulation assure des transports horizontaux et latéraux de la matière, le tout étant encore peu connu…

« Les médias utilisent l’image du puits de carbone, car il y a un mouvement vertical des particules mais nous cherchons aussi à comprendre l’ensemble de leur circulation », précise Catherine Jeandel, chercheuse CNRS au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales. Quantifier, analyser, caractériser, retracer le cycle de la transformation physique et chimique de ces particules offre aux scientifiques des informations précieuses pour déceler tous les secrets des océans.

Chacun sa route, chacun son destin

Ces particules marines ont trois principales origines. Attardons-nous sur celles qui jouent un rôle fondamental dans la séquestration du carbone. Tout se joue dans la colonne d’eau.
À la surface se trouvent les sels nutritifs dont les métaux en traces (voir l’article Swings #1) et la lumière. Ces deux paramètres sont essentiels pour la photosynthèse du phytoplancton, afin qu’il transforme le carbone en matière organique pour le développement de ses cellules et de son squelette. Certaines de ces algues qui vivent à la surface de la mer se protègent avec une coquille en calcaire, d’autres avec une coquille en silice, d’autres encore n’ont pas de protection minérale.

Dans la famille des algues calcaires nous retrouvons les coccolithophoridés et dans la famille des algues à squelette en silice les diatomées, qui sont omniprésentes dans l’océan. Leur cycle de vie est très rapide, maximum trois semaines. Quand elles meurent, des particules plus grosses se forment par coalescence, celles-ci tombent dans la colonne d’eau sous forme de « neige marine » jusqu’à alimenter les sédiments des fonds marins. Durant cette chute, des bactéries les attaquent, le zooplancton les broutent, les deux les digèrent. Cette attaque re-minéralise tous les sels minéraux initialement solides qui repassent sous forme dissoute.

Le carbone piégé dans les particules ou libéré dans la vaste étendue océanique

Avec cette vie et ce cheminement, un aller-retour permanent a lieu entre les fractions de carbone dissoutes et particulaires. Le prélèvement de ces particules se complexifie avec la profondeur lorsque l’attaque bactérienne se développe. En effet, la fraction de matière qui sort des 100 premiers mètres représente environ 10% de ce qui a été fabriqué par la photosynthèse en surface. Cette proportion ne représente plus que 1% de cette matière après l’attaque par les bactéries et le zooplancton.

En surface, il n’y a pas que des particules marines qui émanent de l’activité biologique. On trouve également celles provenant de la terre, dites “lithogéniques” ou “terrigènes”, ce sont des poussières transportées par les vents ou déposées par les fleuves. Quantifier ces apports est essentiel car ce sont eux qui amènent les “vitamines” du phytoplancton. Enfin, une troisième origine de particules marines existe, ce sont les sources hydrothermales. Celles-ci se trouvent en profondeur. Lorsque les eaux qui ont percolé dans les fractures de la croûte océanique et se sont enrichies en éléments chimiques dissous rencontrent l’eau de mer oxygénée et froide, il se produit un effet “cocotte-minute”. Des sortes de geysers explosent et de la matière précipite en particules de différentes tailles.

Particules passées au crible

Pour récupérer un maximum d’eau et de particules, il faut déployer des bouteilles de 12 litres via les rosettes. Pour maximiser les prélèvements, des pompes sont elles aussi disposées dans la colonne d’eau. Celles-ci sont équipées d’une buse de filtration qui permet de filtrer directement l’eau en immersion. Elles sont accrochées à un câble et déployées à différentes profondeurs pouvant descendre ainsi jusqu’à 5 km, afin de prélever les particules à différentes étapes de leur transformation. Grâce à des moteurs programmés à l’avance, les pompes filtrent pendant trois heures environ 900 à 1200 litres d’eau.

pompe swings

Pompe in-situ en cours de déploiement © Laurent Godard

Par la suite, plusieurs méthodes d’analyses sont appliquées à ces échantillons, certaines non destructives, d’autres destructives. Les méthodes non destructives consistent à observer au microscope électronique, à analyser aux rayons X ou encore à réaliser un comptage de la radioactivité naturelle des particules. Certains comptages peuvent être faits à bord, d’autres au retour de la mission dans le laboratoire souterrain Lafara (Laboratoire des faibles radioactivités) de l’OMP, situé en Ariège, au Laboratoire des sciences de l’environnement Marin (Lemar) à Brest, à l’Ecole polytechnique de Zürich (Suisse) ou encore à Woods Hole (États-Unis) . 

Les analyses destructives consistent à dissoudre les particules dans des solutions chimiques adaptées et à mesurer les concentrations des éléments qui les composent, dont certains sont des traceurs précieux. Par exemple, le thorium s’accroche aux particules marines, et l’analyse de ses concentrations permet d’estimer la vitesse de chute de ces dernières dans la colonne d’eau. Autre exemple, la signature isotopique du néodyme et les concentrations de terres rares permettent d’estimer les origines des particules et de quantifier les échanges entre fractions dissoutes et solides. Enfin certains traceurs (dont le néodyme) ont la capacité de « s’imprimer » dans les coquilles des organismes ce qui permet de reconstruire des circulations, des taux d’érosion ou bien des productions biologiques passés (il y a jusqu’à plusieurs millions d’années) grâce à leur analyse dans des sédiments.    

Enfin il sera possible de congeler une partie des prélèvements à -20°C afin de pouvoir procéder à des analyses biologiques de retour à terre. Pour protéger les échantillons au maximum, il faut les emballer dans des poches plastiques qui sont ensuite stockées dans de grosses caisses en plastique. Les échantillons ne doivent jamais entrer en contact avec l’atmosphère du bateau. Une méticulosité à respecter tout au long de la campagne océanographique.

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JOURNAL DE BORD

20 janvier : Au large de Durban
Après des premiers jours intenses, toute l’équipe arrive à la troisième station, à proximité de Durban, au large de l’Afrique du Sud. Le Trichodesmium, un phytoplancton est au rendez-vous, une chance pour les scientifiques. Découvert dans les années 1960, le Trichodesmium remonte à la surface lorsque le temps est calme, et forme des accumulations de plusieurs centaines de mètres qui dérivent au gré des courants. Un spectacle magnifique à l’œil nu grâce aux reflets brillants produits par le phytoplancton.

La météo commence à compliquer la vie à bord. Pourtant, le besoin de récupérer du matériel de travail est indispensable. Dû à la situation sanitaire, quelques caisses sont restées bloquées à quai. Une manœuvre périlleuse se profile.  Dans ce manège, deux embarcations se serrent les « coudes » : la petite barge accompagnée de deux marins et le monumental Marion Dufresne avec à son bord plus de 40 scientifiques. S’ensuivent une organisation et une stratégie laborieuses.

« Les navires devaient être bord à bord (à 6 km/h environ), les deux équipiers de la barge accrochaient les sacs et caisses au palan de la grue, le grutier du Marion les hissait sur le pont afin de les déposer ensuite sur la plateforme hélico. Et pour pimenter le tout, les vagues faisaient 2 à 3 mètres ! » Après une heure mouvementée, le matériel est arrivé à bon port. Un soulagement pour toute l’équipe qui retenait son souffle à chaque secousse.

Les pauses s’imposent
Comme les bonnes nouvelles n’arrivent jamais seules, les masques tombent, tout l’équipage est négatif. Hallelujah !  Pour fêter ça, un petit apéro s’impose devant un superbe coucher de soleil. Que demander de plus ?

Autre ambiance de détente, pour les plus sportifs. Entre boxe, tennis, et ping-pong, les scientifiques se défoulent. Qui a gagné le match ? Un secret bien gardé. Bien évidemment la revanche s’impose pour le perdant. Mais pour le moment, retour au prélèvement. Les rosettes se relaient. L’eau stockée dans les bouteilles est récupérée pour être analysée ensuite. Une routine s’installe rythmée par des petits moments de convivialités. Désormais tout l’équipage a pris ses marques et travaille d’arrache-pied. Cette semaine a été mouvementée et avec plein de rebondissements. Comment se dérouleront les prochains jours, mystère…Rendez-vous la semaine prochaine pour le découvrir.

Voir des petites vidéos du quotidien à bord sur le site Exploreur.

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