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Vagues, abysses, palettes de bleu, vents, plages de sables fins … ces mots nous font directement penser à l’océan et aux vacances. Mais saviez-vous que l’océan est le principal régulateur du climat grâce à la mécanique des fluides ? Les interactions entre les masses d’air de l’atmosphère et les masses d’eau marines attirent l’attention des scientifiques. Si les mouvements océaniques et atmosphériques n’existaient pas, l’équateur et les pôles seraient déséquilibrés. En effet, l’équateur est plus irradié par le soleil que le pôle, et inversement. Conséquence : la Terre serait toujours en train de recevoir trop d’énergie à l’équateur et d’en perdre énormément au pôle. Pour stabiliser cet équilibre, un transfert de chaleur de l’équateur vers les pôles est indispensable, c’est le rôle des océans et plus particulièrement celui de ses masses d’eaux et de ses courants.
Ni trop chaud, ni trop froid, avec un peu de sel
Un échange perpétuel entre l’atmosphère et l’eau est une des principales sources de création des masses d’eau et des courants. Ces derniers se forment grâce à la dynamique atmosphérique (vents et pression), sous la contrainte des obstacles topographiques. Les masses d’eaux, quant à elles, naissent en surface en se réchauffant avec les rayons solaires, au contact de l’air au-dessus qui peut être plus chaud ou plus froid, en se mélangeant avec de l’eau des pluies, des rivières ou à cause de l’évaporation... Si l’eau en surface devient plus dense et donc plus lourde que celle en profondeur, car par exemple l’eau s’est refroidie à cause de la température basse de l’air, alors celle-ci « coule » vers le fond, et créé une nouvelle masse d’eau. Autre phénomène qui crée des masses d’eau : les modifications de salinité. « Une évaporation importante à cause d’un air très chaud rend l’eau de surface très salée et lourde, ce qui l’encourage à descendre dans les profondeurs » explique Julie Deshayes, chercheuse CNRS en charge de la modélisation pour la mission SWINGS, du laboratoire d’océanographie et du climat (LOCEAN).
Deux autres phénomènes contribuent à modifier la quantité de sels dans les masses d’eau : la banquise aussi appelée glace de mer qui libère du sel en se congelant et la fonte des glaces continentales.
Autre responsabilité écologique de ces masses d’eau : en « coulant » elles emportent avec elles vers les abysses les gaz atmosphériques dont elles étaient chargées en surface, notamment le dioxyde de carbone.
Dis-moi comment tu t’appelles, je te dirais d’où tu viens
Les interactions entre les masses d’eaux sont très lentes. Elles acquièrent leurs propriétés principales en surface des océans (température, salinité, compositions biogéochimiques) puis les conservent tandis qu’elles circulent en profondeur dans tous les océans, pendant de longs mois, voire des dizaines d’années. Les océanographes ont donc le temps de les identifier et de les « baptiser ». Pour différencier toutes ces masses d’eaux, les spécialistes leur attribuent un nom. Une des masses d’eaux la plus courante est la North Atlanctic Deep Water (NADW).
Décrite dans les profondeurs nord de l’océan Atlantique, on la retrouve dans tous les océans ; tout comme l’Antarctic Bottom Water, qui se forme autour de l’Antarctique et tapisse le fond des océans – comme son nom l’indique. Un nom de masses d’eau correspond donc à des caractéristiques bien précises. Julie Deshayes les compare à un gâteau de crêpes : « On peut voir l’océan comme un gâteau de crêpes : chaque crêpe et chaque couche de crème entre les deux, sont une masse d’eau différente. Mais cela serait tellement simple si elles étaient les unes aux dessus des autres. »
Exemple de distribution des masses d’eau dans l’Océan Atlantique au nord du bassin du Cap. (Afrique du Sud). Les lignes pointillées indiquent les contours approximatifs des masses d'eau dominantes. Sources Géotraces. South Atlantic Ocean water pour SACW, Antarctic Intermediate Water pour AAIW, Upper Circumpolar Deep Water pour UCDW, North Atlantic deep water pour NADW, et Water Masses Along Lagrangian pour LCDW.
Des modélisations toujours plus fiables et précises, mais « à tâtons »
Tout comme les mouvements atmosphériques, les mouvements océaniques sont modélisés. Les scientifiques ont à disposition une sorte de carte numérique dynamique qui décrit les grands courants, les principales masses d’eaux caractérisées et leur circulation. Carte établie à l’aide d’équations de mécanique des fluides et de recettes mathématiques qu’il s’agit d’affiner et de perfectionner grâce aux prélèvements et analyses faits à bord du Marion Dufresne. Les données constitutives à chaque masse d’eau et à chaque courant sont vérifiées, enrichies et/ou ajustées.
À bord, la rosette équipée de capteurs CTD (Conductivity Température Depth) mesure en permanence la température et la salinité de l’eau. Les scientifiques doivent toujours vérifier les données recueillies, car une mauvaise calibration est possible. Pour cela, des échantillons pour mesurer la salinité et l’oxygène sont aussi prélevés dans les bouteilles accrochées aux rosettes. Autres outils, autres mesures, ceux des courants. Un ADCP (Acoustic Doppler Current Profiler) est placé sur la rosette et sur la coque du bateau. Cet outil envoie des rayons dans l’eau qui vont réfléchir et revenir au bateau. En fonction de la déformation de ce rayon et du temps de son retour, la vitesse des courants est estimée.
Enfin, dans le contexte SWINGS, un certain nombre de traceurs vont aider à identifier et suivre les masses d’eau, leur transport, leur mélange, tels que les isotopes du Néodyme, du radium, du plomb, du carbone… (voir l’article SWINGS #1) Les mesures de ces traceurs biogéochimiques sont d’une grande aide pour estimer les paramètres de diffusion des modèles de déplacement des masses d’eaux et de climat. Ces traceurs étudiés par Catherine Jeandel et Hélène Planquette ont une longue durée de vie, ce qui permet de marquer davantage les contrastes entre les zones habitées et les zones abandonnées par ces éléments. C’est la répartition d’un élément dans une zone spécifique qui permet de déterminer l’amplitude de ce phénomène de diffusion, difficile à quantifier autrement.
Allo la terre ici l’océan
Mais avant d’effectuer ces observations, une estimation des valeurs est possible grâce à des analyses océaniques délivrés « en routine » par le service Copernicus Marine Services (CMEMS). L’océan est en permanence analysé grâce à des flotteurs Argo. Ces derniers sont des cylindres de 2 mètres de haut et 80 centimètres de large, autonomes avec une durée de vie de 3 à 5 ans. Ces flotteurs sont largués dans l’océan, afin dans un premier temps de descendre à 1000 mètres de profondeur pour ensuite se laisser emporter par les courants. Dans un deuxième temps, au bout d’une dizaine de jours, ils descendent à nouveau jusqu’à 2000 mètres pour enfin remonter à la surface.
Tout au long de cette manœuvre, équipés de capteurs CTD, ils mesurent aussi la température et la salinité. Une fois arrivées à la surface, ces données sont envoyées par satellite dans le laboratoire d'océanographie de Villefrance-sur-mer, en France. Puis ils replongent pour un nouveau voyage et un nouveau cycle. Actuellement il y a plus de 10 000 flotteurs dans les océans. Ces données, ainsi que les observations de la surface de la mer par satellite, sont ensuite introduites dans un modèle qui décrit l’état de la mer (température, salinité, courants, en surface et profondeur) en temps réel et pour quelques jours à venir, analogue aux prévisions météorologiques. L’analyse de ces produits permet à Julie Deshayes de guider Catherine Jeandel et Hélène Planquette afin qu’elles positionnent correctement leurs prélèvements.
Ensuite, et après analyse des observations réalisées à bord du Marion Dufresne, une nouvelle modélisation sera effectuée pour tester, la valeur du paramètre de diffusion d’un élément chimique, les éventuelles sources géothermales en profondeur … « Nous allons faire un premier essai avec notre modèle, avec des valeurs par défaut de ce paramètre de diffusion. Par la suite on observe si la carte de distribution que l’on obtient est correcte. Si celle-ci ne l’est pas, nous changeons les valeurs. À nouveau, nous regardons si nous trouvons des résultats correspondants. On y va « à tâtons ». C’est de cette façon, que l’on déduit la valeur de diffusion et de distribution d’un paramètre que l’on doit mettre dans la modélisation. »
Vous l’aurez compris, une entraide et une totale confiance entre collègues sont primordiales pour mener à bien cette mission océanique.
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du journal CNRS