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Les jeux sont des objets de société à la fois communs et singuliers, dont on sous-estime encore trop le rôle qu’ils peuvent jouer pour accompagner les publics, les décideurs et les scientifiques dans les processus de transition à l’œuvre dans notre rapport à l’océan.
Ils sont communs car profondément inscrits dans nos cultures comme un objet d’évasion, de divertissement, de plaisir mais également d’apprentissage. Ils sont singuliers car ils peuvent traiter de sujets et d'enjeux sérieux tels le changement climatique, la pandémie, les catastrophes naturelles, tout en permettant aux joueurs de rester dans un rapport fictif (sans conséquences directes). Singuliers aussi du fait qu’ils imposent aux joueurs un système de règles avec lequel interagir, tout en leur laissant la liberté de les changer.
Atelier de jeu Mon Lopin de Mer au sein d’une école primaire de Nancy en juin 2021.
© N. Becu
Jeu et simulation, une histoire en commun
Le jeu peut en quelque sorte être considéré comme une mini-expérience et se rapproche fortement de la simulation. Ils partagent une histoire commune depuis la fin des années 1960, avec l’essor aux États-Unis, en Russie, puis en Europe, en Australie et au Japon, du domaine du Simulation and Gaming. On y utilise des modèles de simulation à des fins d’enseignement, de formation ou bien encore d’aide à la décision. Comme par exemple le jeu HEX utilisé dès les années 1970 dans de nombreux pays pour former des hauts cadres gouvernementaux à la régulation des ressources à l’échelle nationale, régionale et locale. À la fin des années 1990, le groupe de recherche « modélisation d’accompagnement » rassemblant des chercheurs et chercheuses du Cirad1 notamment, de l’actuel INRAE2 et du CNRS, en fait un outil au service de l’accompagnement des acteurs locaux. Aujourd’hui, simulations et jeux s’inscrivent dans les démarches participatives autour de problématiques interdisciplinaires : sociales, au travers des règles du jeu incarnées par les joueurs qui ont la liberté d’ajouter, de modifier, d’inventer de nouvelles règles d’organisation sociale ; environnementales, au travers de règles, voire de modèles numériques traduisant le fonctionnement de l’écosystème. Cette hybridation a deux conséquences : d’une part, la simulation/jeu prend forme par la manière dont les joueurs jouent ; d’autre part, les joueurs vivent une expérience sociale d’interactions avec l’écosystème simulé et avec les autres joueurs.
Elus et agents de la Communauté de communes de la Côte d’Albâtre lors d’un atelier du jeu LittoSIM en novembre 2021.
© N. Becu
Mon Lopin de Mer, FiShcope, LittoSIM : des jeux différents pour sensibiliser des publics variés
Trois cas d’application donnent à voir la diversité des jeux, des publics et des usages autour des enjeux de l’océan.
Le jeu Mon Lopin de Mer, développé dans le cadre d’un partenariat entre l’Ifremer, Les Petits Débrouillards, le Réseau Canopé et le CNRS, s’adresse aux enfants de 10 à 15 ans. Le matériel de jeu se compose de tuiles, de plateaux et de cartes qui représentent les différents habitats et éléments d’un socio-écosystème marin. En construisant une parcelle d’océan, tout d’abord librement, puis en fonction de leurs activités du quotidien, ils sont sensibilisés aux liens étroits qui les unissent aux socio-écosystèmes marins. Le jeu se joue en équipe de quatre à huit joueurs sur une durée de quarante minutes durant laquelle les enfants vivent une expérience sensible et intellectuelle qui vise à renforcer leur sentiment de connexion à la mer.
Le jeu FiShcope, développé par le CNRS et La Rochelle Université en partenariat avec l’OFB3 s’adresse quant à lui aux acteurs publics et privés travaillant sur des sujets liés à la pêche. Le jeu permet à des équipes de deux à quatre personnes d’expérimenter durant une à deux heures le métier de marin-pêcheur : en mer, en cherchant à cibler des espèces en fonction des zones et des saisons ; au port, en vendant en fonction du prix du marché ; à terre, en simulant des réunions d’organisation de producteurs pour discuter de nouvelles mesures de gestion ou de nouveaux cadres réglementaires. FiShcope a notamment été déployé auprès des agents de l’OFB pour engager le débat autour d’enjeux de pêches durables, entre scientifiques, gestionnaires et professionnels de la pêche.
Le jeu de simulation participative LittoSIM, enfin, est destiné aux élus et aux agents des collectivités locales concernés par la gestion des risques de submersion marine. Il a été développé dans le cadre d’un partenariat entre le CNRS, l’IRD, les Universités de La Rochelle, Tours, Grenoble, Paris 1 et Limoges, la Fondation de France et la Région Nouvelle-Aquitaine. Le jeu se joue avec quatre équipes de deux à trois joueurs sur une durée de trois à quatre heures. Le matériel de jeu se compose notamment de tablettes numériques et d’un modèle de calcul des surfaces submergées en fonction d’événements de tempête simulés. En outre, différents espaces et temps de jeu sont réservés aux échanges, tantôt entre joueurs d’une même équipe, tantôt entre les équipes. Ce qui se joue pour les participants aux sessions LittoSIM qui ont été déployées sur les trois façades maritimes de la métropole, c’est la solidarité territoriale entre les équipes et l’expérimentation de mesures de prévention alternatives face aux risques littoraux.
Si les questions de design, de conception, voire de modélisation, liées au développement de ces jeux et simulations sont plutôt bien cernées, les recherches dans ce domaine peinent encore à entrevoir les conditions d’usages et les facteurs contextuels qui favorisent l’engagement des publics dans l’utilisation de ces médias pour tester et débattre des transformations à venir dans notre rapport à l’océan. À ce titre, il paraît d’autant plus important de poursuivre les efforts de recherche en sciences sociales sur le suivi-évaluation de ces dispositifs de jeu.
Matériel du jeu FiShcope.
(Atelier réalisé à La Rochelle en mai 2018. Participants : observateurs en mer)
1. Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.
2. Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
3. Office français de la biodiversité
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